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3. L'évitement des expériences désagréables

Voici un exemple clinique d'évitement d'expérience désagréable: Une personne se présente avec un vide existentiel dans sa vie. Elle habite près de sa mère dans un appartement et elle n’a jamais eu de relation amoureuse, d’enfant ou de travail. Elle mentionne avoir refusé récemment une invitation pour une activité de fin de semaine. Elle ajoute qu’elle se serait sentie trop coupable d’abandonner ainsi sa mère. Sa mère n'a pas d'incapacité ou de limitation particulière.

Une question se présente alors : « Est-ce cette personne va attendre de ne pas se sentir coupable pour commencer à vivre sa vie? » De façon plus générale, est-ce qu'une personne doit attendre de n'être plus anxieuse, agressive, triste, coupable pour faire ce qu'elle souhaite faire de sa vie? il est possible que le problème ne soit pas tant l’angoisse, la culpabilité, la tristesse ou la colère, mais plutôt la réponse de cette personne à la présence de ses émotions (pensées, sensations, images, souvenirs, etc.) désagréables…

Il arrive que des gens restent coincés à l’intérieur d’un patron relationnel pour se protéger de ne pas ressentir des émotions désagréables. Par exemple, pour ne pas ressentir l’intensité de la culpabilité résultant de ne pas être disponible pour sa mère, la personne ci-dessus mentionnée semble prête à sacrifier tous ses projets de vie. Il est cependant possible d’apprendre à apprivoiser ces émotions désagréables progressivement en commençant par un contact à petite dose avec l’émotion désagréable. Au lieu de partir une fin de semaine au complet, cette personne peut se permettre de faire une activité personnelle une fois dans la semaine. Par exemple, elle peut décider d’inviter au cinéma une connaissance qu’elle rencontre régulièrement au parc. Si sa mère l’appelle 15 minutes avant la représentation du film pour lui demander un service (aller chercher du lait au magasin), elle peut lui exprimer poliment qu’elle aimerait bien répondre à sa demande, mais malheureusement, elle a un rendez-vous prévu et elle ne peut lui rendre ce service. Il est possible que la mère réagissent mal, malgré la manière respectueuse du refus de sa fille, peut-être parce qu'elle n’est pas habituée à la voir s’affirmer. Elle peut par exemple lui répondre en la blâmant ou encore, en lui raccrochant au nez. Le réflexe naturelle de la fille pourrait être de rappeler sa mère, de s’excuser et de lui dire « je vais répondre à ta demande, on ne va pas se disputer pour cela » afin d’éviter de ressentir la culpabilité. Dans ce cas, le risque est d'être prise de nouveau dans la spirale habituelle selon laquelle elle choisit le confort à court terme pour éviter les émotions désagréables accompagnant son évolution vers une plus grande autonomie.

Arrivé à la frontière de l’inconfort, là où une impasse commence, la tendance d'une personne peut être de se dire « oh non, non, je ne veux pas me sentir coupable, anxieux, rejeté, triste » et la spirale du confort à court terme l'emporte, même si à long terme, sa vie n’est pas ce qu'elle souhaite. Il est possible que pour avancer, il faille justement accepter d’apprendre à porter les inconforts, aussi intenses soient-ils, plutôt qu’à les éviter, les supprimer ou les fuir. Autrement, il est possible que ce ne soit plus la personne elle-même qui mène sa vie, mais la lutte contre l’inconfort et donc, l’inconfort lui-même. En passant ce temps à contrôler ses états intérieurs, cette personne est peut-être en train de perdre le contrôle de sa vie.

L’évitement des expériences désagréables est donc cet acharnement à fuir, éviter ou supprimer les occasions d’éprouver la présence de réactions intérieures désagréables (i.e., pensées dérangeantes, émotions, souvenirs, sensations physiques, etc.) lorsque celles-ci accompagnent les étapes nécessaires à l’accomplissement des choix de vie. Il existe plusieurs formes d’évitement. La suppression consiste à contrôler ou éliminer les états intérieurs désagréables (par exemple, l’utilisation d’alcool, de drogue pour réduire l’inconfort) et l’évitement des situations consiste à restreindre le répertoire des comportements pour éviter l’inconfort (l’isolement d’une personne, refus de faire des activités). En général, l’évitement a le désavantage de renforcer la répétition du malaise par un effet de boucle d’amplification. Des recherches ont démontré que ceux qui utilisent la suppression comme stratégie d’adaptation ont un plus haut niveau de symptômes dépressifs ou obsessionnels. Sur un ensemble de 1100 études quantitatives, une recherche a conclu qu’être en contact et ouvert aux émotions était corrélé à un meilleur résultat thérapeutique (Orlinski et Howard).

L’évitement expérientiel est un exemple de comportement gouverné par les règles verbales. Un tel comportement peut avoir un effet soulageant à court terme, mais c’est un éternel recommencement. Il est probable que s’il était si facile de se débarrasser des inconforts, tout le monde serait heureux! Souvent, quand une personne se dit « débarrasse toi de la pensée X », les mots inclus dans cette règle sont en relation bidirectionnelle (voir théorie des cadres relationnels). La règle crée elle-même la pensée X, juste par le fait de la nommer. En essayant d’éliminer certaines pensées et émotions, cette personne augmente leur emprise à déterminer ses comportements. Par exemple, l’anxiété n’est pas juste un état d’inconfort physique, car une évaluation hautement désagréable s’y ajoute. À cause de la bidirectionnalité du langage, le cerveau crée l’illusion que « mauvais » est une qualité intrinsèque à l’émotion. La tendance est de dire « c’est une mauvaise émotion » et non de constater qu’il s’agit d’une émotion à laquelle on attribue l’évaluation « mauvaise ».

Nous pourrions donc poser la question : serait-ce davantage le refus de vivre l’expérience avec tout ce qu’elle contient (par l’application de processus d’évitement et de fusion cognitive), c’est-à-dire l'attitude ou la relation d'une personne face à ses états intérieurs désagréables, qui serait responsable des symptômes psychologiques (dépression, anxiété, alcoolisme, etc) plutôt que la présence en soi d’états intérieurs ou d’événements extérieurs désagréables?

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