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3.8. Donner son accord et s'engager

Un mot comme «acceptation» est chargé de connotations négatives. Il suggère une attitude défaitiste, passive, résignée. Nous parlons plus volontiers de «donner la permission» ou de «donner son accord». Russ Harris propose d'utiliser le terme «expansion» plutôt que de parler d'acceptation, pour souligner l'aspect actif d'une démarche où il s'agit de «s'agrandir» pour «faire la place» aux événements privés indésirables. Le mouvement que nous aimerions rendre possible comme un choix différent des stratégies de contrôle inefficaces ou destructrices revient à embrasser activement les événements privés indésirables, à leur donner la permission d'être là. On peut le comparer à la posture du skieur qui doit apprendre à mettre le poids de son corps sur le ski aval, donc à se pencher vers le vide alors que le mouvement naturel est de chercher réconfort et réassurance en se penchant vers l'amont. Il est pratiquement impossible de skier de cette manière et on court paradoxalement davantage de risques de tomber et de se blesser. Se lancer encore et encore dans la pente est également la métaphore avec laquelle Marsha Linehan décrit (dans un chapitre paru en 1994 dans le recueil Acceptance and change : Content and context in psychotherapy) ce qu'elle appelle l'acceptation radicale:

L'acceptation radicale est une action de la personne donnant à la réalité de ce moment présent la permission d'être ce qu'il est. C'est un acte sans discrimination. En d'autres termes, il ne s'agit pas de choisir entre ce qu'on va accepter et ce qu'on va refuser ou essayer de changer. Il n'est pas question d'opérer une distinction entre ce qu'on va accepter et ce qu'on ne va pas accepter comme s'il y avait des pensées, des images, des émotions et des sensations physiques qui sont acceptables et d'autres non. La notion d'acceptation radicale est celle d'une entière permission donnée à l'instant présent d'être ce qu'il est. Il ne s'agit donc pas simplement d'une activité de la pensée ou d'une attitude intellectuelle; c'est un acte total. C'est comme de sauter dans le vide depuis une crête rocheuse. Il vous faut sauter encore et encore parce que vous ne pouvez accepter que dans l'instant présent. En conséquence, vous devez continuer à accepter activement, encore et encore, à chaque instant. Si l'acceptation radicale est comparable au fait de sauter dans le vide depuis une crête rocheuse, on peut étendre la comparaison en disant qu'il y a toujours un tronc d'arbre auquel on peut se raccrocher à peine la chute commencée si bien qu'on est aussi toujours en train de se rétablir sur une nouvelle crête en se demandant peut-être comment on est arrivé là et dont il faudra à nouveau sauter. L'acceptation radicale est ce processus de sans cesse sauter dans le vide, elle comprend aussi l'acceptation sans émettre de jugement du fait qu'on s'accroche sans cesse de nouveau aux branches.

Le fonctionnement verbal omniprésent chez l'être humain rend difficile un tel mouvement. L'intelligence verbale de l'être humain est un outil de protection et d'adaptation qu'il est impossible de «débrancher». Il fonctionne en continu, toujours au service des mêmes objectifs : assurer le confort, le bien-être, éviter le danger, l'inconfort, avec un biais permanent en faveur de ce qui est familier, connu, sûr, logique. Dans cette phase du traitement, on voit à tout moment l'intelligence du patient tenter de «reprendre la main». Avec par exemple la pensée qu'accepter représente enfin le «truc» qu'on a cherché depuis si longtemps pour enlever leur impact négatif aux événements privés désagréables. Mais si l'acceptation est utilisée dans le but de ne plus ressentir d'inconfort, elle va connaître le même sort que les stratégies habituelles de contrôle et d'évitement d'expérience. Le mouvement que nous cherchons à favoriser ne peut pas être effectué avec l'intelligence. C'est une posture ou une attitude qu'on peut adopter, et non une pensée qu'il s'agit d'avoir. Il ne s'agit ni d'aimer ce qui est désagréable ni de se convaincre qu'il «faut» l'accepter ou de se s'évertuer à penser qu'on est d'accord de l'éprouver. A tous moments, on va se retrouver dans la lutte, «au niveau des pièces» du jeu d'échecs. La mise en oeuvre de stratégies de défusion est donc indispensable pour réussir au moins par moments à adopter une posture acceptante et ouverte qui nous permettra aussi de prendre le risque de nous engager dans des actions mises au service du sens que nous souhaitons donner à notre vie.

L'intelligence va aussi interférer avec les processus de prise de risque et d'exposition inhérents à l'action d'accepter la réalité du moment présent en proposant des précautions, des aménagements, des demi-mesures et des garde-fou. L'acceptation est alors vidée de son sens d'acte total. Pas plus qu'on ne peut être vivant à 50, 80 ou même 99%, on ne peut accepter partiellement. Accepter, c'est comme sauter : Il y a un moment où les deux pieds sont dans le vide. On peut sauter depuis un escabeau, mais il est aussi possible de réduire la prise de risques en descendant par un pas, en posant un pied sur le sol avant que le second ait quitté son support. Nous cherchons dans le traitement à favoriser l'engagement dans des actions comparables à un saut plutôt qu'à un pas. Nous sommes certes favorables à une prise de risques progressive; toutefois, même si la «hauteur de saut» est faible, il est important que le mouvement d'abandon total et sans défense au moment présent puisse être exercé.

Les valeurs du patient impliquent des buts désirés et des actions pour les atteindre. Un mouvement d'acceptation dans lequel il va pouvoir faire de la place aux événements privés désagréables faisant obstacle à l'engagement dans de telles actions sera nécessaire pour qu'il puisse infléchir le cours de sa vie dans le sens qui lui est cher.

La question qui se pose ici est la suivante : pouvez-vous prendre un engagement et vous y tenir ? Est-ce qu'il vous est possible de dire : «Ma vie marcherait mieux si je faisais cette action, donc je la fais» et ensuite de la réaliser ? Et si vous faites marche arrière ou que vous vous plantez, pouvez-vous y retourner et vous y mettre une fois encore ? (...) Ce n'est pas de la vie ou des objectifs de quelqu'un d'autre qu'il est question ici mais de vous et de votre vie. Ce que je suis en train de vous proposer ne sera pas forcément une partie de plaisir. Je peux même vous dire que la première chose que vous allez probablement rencontrer sur votre chemin (si ça n'a pas déjà commencé) ce sont les mises en garde et les critiques de votre intelligence qui va vous dire que vous êtes incapable, que vous n'y arriverez jamais, etc. Voici ma question : Sachant que tout cela va arriver et que vous ne pourrez probablement pas réussir tous les jours à vivre votre engagement, est-ce que vous êtes à 100\% d'accord de prendre cet engagement ? Est-ce que vous êtes d'accord de faire ce que vous avez à faire pour que votre vie aille dans le sens qui vous est cher et d'accueillir toutes les pensées, toutes les émotions et tous les souvenirs qui vont venir quand vous le ferez ? Qu'est-ce qui s'oppose à ce que vous régliez maintenant, en ce moment précis, votre niveau d'acceptation sur «haut» ? (Manuel ACT de 1999, p. 242)

Les patients sont souvent réticents à prendre un engagement parce qu'ils craignent de ne pas pouvoir le tenir. Il est important de souligner que les échecs et les déceptions font partie du voyage. De même qu'il n'est pas possible d'apprendre à skier sans tomber, l'apprentissage de la construction progressive d'un répertoire toujours plus large et flexible d'actions efficaces et constructives ne pourra se faire sans faillir. «Personne ne peut vous apprendre à skier sans jamais tomber. C'est vrai que quand on tombe on se fait mal, c'est vrai aussi qu'on peut parfois se blesse. Ce qui compte, ce n'est pas tant de ne pas tomber, mais de se relever encore et encore, dès que possible. Tant que vous vous relevez une fois de plus que vous êtes tombé, le voyage continue.»

En fonction de la situation clinique, il m'arrive ici d'emprunter une approche de Hank Robb : «La seule façon de reprendre possession de votre vie, c'est d'accepter le risque de la perdre, ce qui finira de toutes manière par arriver. C'est vrai par exemple que la seule manière d'être sûr qu'on ne va pas mourir en voiture, c'est de ne jamais monter dans une automobile. Ce n'est qu'en acceptant que vous pourriez perdre votre vie que pourrez la vivre plutôt que de survivre en attendant votre fin.»

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