Le propos de la TCR est d'offrir une analyse du comportement verbal et des phénomènes cognitifs propres à l'être humain qui puisse s'appuyer sur les concepts de base définis par le behaviorisme dont la connaissance constitue un préalable indispensable à la compréhension de la discussion qui va suivre.
Le behaviorisme décrit comment des phénomènes de conditionnement conduisent à une transformation des fonctions d'un stimulus donné. Un stimulus peut avoir toutes sortes de fonctions :
• Des fonctions discriminatives (la couleur rouge d'un abricot offre l'occasion pour mon comportement de le choisir d'être récompensé).
• Des fonctions renforçantes (le goût sucré de l'abricot survenant comme une conséquence de mon action de le manger va entraîner une augmentation de la probabilité des comportements appartenant à cette classe de réponses).
• Des fonctions punitives. Le conditionnement aversif est généralement rejeté par les behavioristes en tant que technique de modification du comportement. Cela dit, on conseille aux propriétaires de chien qui trouvent judicieux de punir leur animal de ne pas le frapper de la main mais d'utiliser un journal roulé afin de diminuer le conditionnement de la main comme stimulus aversif. Dans cet exemple, le stimulus constitué par le journal roulé dans la main du maître acquiert des fonctions punitives.
• Etc. (on pourrait varier les exemples à l'envi).
Le stimulus constitué par quelques gouttes de citron sur la langue a la fonction de déclencher une sécrétion salivaire, et ce sans qu'aucun processus d'apprentissage ne soit nécessaire. Dans les expériences classiques de Pavlov, le stimulus initialement neutre du tintement de la cloche acquiert une fonction similaire de déclenchement de la sécrétion salivaire. Nous utilisons le terme de «conditionnement» pour désigner ce phénomène de transformation des fonctions d'un stimulus.
La manière la plus simple de définir un opérant consiste à en décrire la topographie (c'est-à-dire la forme concrète du comportement observé), ce qui n'est jamais tout-à-fait correct puisque la notion d'opérant est définie de façon fonctionnelle et non topographique. Ce type de raccourci est utile et ne pose pas de problèmes dans la plupart des applications pratiques; y recourir de façon habituelle peut toutefois rendre difficile la compréhension du concept d'opérant purement fonctionnel. L'exemple le plus typique d'un tel opérant est l'imitation généralisée : En renforçant une réponse à chaque fois que sa topographie est similaire à celle d'un comportement présenté et en variant fréquemment, sur un grand nombre d'essais, la forme de la gestique à imiter, on peut entraîner non seulement chez l'être humain mais chez bon nombre d'animaux une classe de réponses qui n'ont entre elles aucun point commun topographique tout en ayant la même fonction.
Répondre relationnellement constitue un autre exemple d'un opérant purement fonctionnel. Un singe ou une otarie peuvent être entraînées de manière à toujours choisir le plus grand de deux objets. Ainsi, dans une série d'essais, l'animal chez qui un tel opérant a été établi pourra être renforcé pour choisir l'objet B, plus grand que l'objet A. Au prochain essai, il choisira l'objet C, plus grand que l'objet B, ce quand bien même il venait d'être renforcé pour avoir choisi B. Beaucoup d'animaux sont capables de répondre ainsi à la relation entre les propriétés non-arbitraires de deux stimuli (relation pouvant en elle-même être considérée comme un stimulus).
L'être humain a la capacité d'apprendre à répondre relationnellement à des objets d'une manière qui n'est pas définie par les propriétés physiques des objets, mais par d'autres aspects de la situation (Hayes et al. 2001, p. 21). On parle alors de réponse relationnelle arbitrairement applicable (RRAA). Ce type de réponse s'est avéré très difficile à entraîner chez les animaux, y compris les primates, tandis qu'elle peut très facilement l'être chez les êtres humains à partir de l'âge (environ 18 mois) où leur compétence verbale commence à se développer.
Une réponse relationnelle de cette sorte ne dépend plus seulement des propriétés physiques des objets mis en relation (...) Elle est arbitrairement applicable. Nous entendons simplement par arbitrairement applicable le fait que, dans certains contextes, une telle réponse est sous le contrôle de particularités susceptibles d'être modifiées par simple convention sociale (Hayes et al., 2001, p. 21). Le fait que la pièce de 50 centimes suisse, plus petite que celles de 10 et de 20 centimes, vaut davantage, de la même manière que la «dime» américaine a plus de valeur que le nickel pourtant physiquement plus grand sont des exemples de ce que peut impliquer la notion de réponse relationnelle arbitrairement applicable (RRAA).
J.T. Blackledge nous offre une compréhension facilitée de la notion de propriété arbitraire ou non-arbitraire : le terme «non-arbitraire» désigne les propriétés physiques d'un stimulus susceptibles d'être, de façon immédiate, vues, entendues, senties (olfaction), goûtées ou touchées. Nous pouvons qualifier d'arbitraires toutes les autres propriétés d'un stimulus. Il est intéressant de remarquer que ce sont ces propriétés-là qui occupent l'essentiel de notre discours et de nos pensées : Ça, c'est bien, ça, c'est pas bien, ceci est important, mais pas cela, celui-ci est cher, cet autre est meilleur marché, c'est magnifique, c'est épouvantable, c'est honteux, etc. Blackledge propose encore un exemple de RRAA : On peut entraîner un phoque à choisir systématiquement le plus grand d'une série d'objets qu'il n'a jamais vus auparavant. Si on le mettait en présence du président des Etats-Unis, d'un employé de banque et d'un clochard, il choisirait celui qui est physiquement le plus grand des trois tandis qu'une personne disposant de compétences verbales ferait probablement la discrimination entre l'importance de l'homme et sa taille et réaliserait ainsi que, dans ce contexte, le plus grand n'est pas forcément le plus long. Le fait qu'en lisant ces lignes nous pouvons tous avoir des réactions différentes illustrant une variété d'opinions à propos du concept d'importance et de la manière dont il est appliqué dans cet exemple constitue une des subtilités du comportement verbal !
La TCR affirme que le fait de répondre relationnellement peut être décrit comme un opérant généralisé auquel les principes régissant le comportement opérant des organismes non-verbaux peuvent légitimement être appliqués. La notion de cadre ne doit pas être comprise dans une perspective mentaliste comme une structure qui serait localisée quelque part à l'intérieur du sujet mais comme une activité; la tendance du langage à «substantiver» par commodité des concepts se référant à des actions ou des processus peut ici encore poser problème. «Cadrer relationnellement» apparaît comme une compétence que nous acquérons très tôt dans la vie grâce à un entraînement portant sur un très grand nombre d'exemples. Le premier des cadres (il faudrait plutôt, pour être tout-à-fait correct, dire : la première des façons de cadrer relationnellement) que l'enfant apprend est le cadre de coordination. «Ça, c'est une balle !» Les mots «ça c'est une...», la gestique avec laquelle nous pointons l'objet ainsi que d'autres aspects du contexte fonctionneront comme un Crel, un signal contextuel susceptible d'entraîner l'application d'un type particulier de réponse relationnelle à la balle elle-même et à l'événement auditif "balle". Dans le cas particulier, un "cadre de coordination", avec pour résultat une relation d'équivalence (Hayes et al. 2001, p. 30). A travers des centaines et des milliers d'exemples de ce type, l'enfant est récompensé à chaque fois qu'il émet une comportement montrant qu'il a cadré correctement. Typiquement, l'adulte lui dira ensuite : «Où est la balle ?» et renforcera un comportement d'orientation en direction de la balle par des marques d'approbation et de tendresse. Une fois cette première modalité bien établie, différentes façons de cadrer contrôlées par d'autres signaux contextuels seront acquises : Cadre d'opposition, cadre de distinction, cadre de comparaison, cadre hiérarchique, cadre temporel, etc. Il est intéressant de remarquer que la dimension physique appelée «temps» ne peut être ni touchée, ni vue, ni entendue, ni goûtée, ni sentie. Elle constitue un exemple des domaines que l'aptitude à la RRAA ouvre à l'être humain.
L'action de cadrer relationnellement a pour conséquence une transformation des fonctions d'un stimulus. Si vous entendez le mot «chocolat», il y a de fortes chances que cette suite de sons acquière pour vous certaines des fonctions du chocolat réel. Peut-être visualiserez-vous l'emballage de votre marque préférée, peut-être entendrez-vous le son du papier d'argent qui se déchire ou celui de la tablette qui se rompt, peut-être aurez-vous une réminiscence du goût d'un carré de chocolat fondant dans votre bouche ? Vous aurez remarqué que les différentes phrases qui précèdent ont éveillé en vous différentes modalités sensorielles. Chaque phrase a constitué un Cfunc, un signal contextuel contrôlant laquelle des fonctions du chocolat a été transférée par le fait de cadrer relationnellement le son «chocolat» (ou la suite de signes tracés sur le papier formant ce mot) avec la confiserie brune obtenue à partir de la fève du cacaoyer. Si je vous parle d'un grand verre de jus d'orange bien frais sur un plateau par une chaude journée d'été, les fonctions du jus d'orange qui sont transférées ne sont pas les mêmes que si je vous dis que vous avez renversé le même verre de jus d'orange sur la robe de votre voisine dans une soirée de gala.
Nous avons vu que les relations d'équivalence établies par le cadre de coordination ne sont qu'un cas particulier des différentes façons de cadrer décrites par la TCR. Dans une relation d'équivalence, la théorie classique du comportement parle du «transfert» des fonctions du stimulus. Dans d'autres types de cadrage comme le cadrage d'opposition, les fonctions d'un stimulus ne sont pas simplement transférées mais transformées, comme le montre l'exemple suivant : Supposons qu'une personne a été entraînée à choisir le stimulus B comme le «contraire» du stimulus A. Supposons maintenant que nous avons donné à A une fonction punitive conditionnée, par exemple en associant régulièrement A à une perte de points. Nous pouvons prédire que B va alors acquérir une fonction renforçante en vertu de sa relation d'«opposition» au stimulus punitif A (...) Il ne paraîtrait pas correct dans un tel cas de dire que les effets renforçants ont été «transférés» puisqu'ils ont été acquis de manière indirecte par le biais de la relation d'opposition entre B et un stimulus punitif. Il semble plus approprié d'utiliser le terme de transformation plutôt que celui de transfert et c'est pour cette raison que la TCR a adopté le terme général de transformation des fonctions d'un stimulus. Nous continuerons à utiliser le terme de transfert des fonctions d'un stimulus, mais nous le réserverons aux situations dans lesquelles la relation sous-jacente a pour effet la dérivation de fonctions similaires à celles qui avaient été entraînées ou qui étaient préexistantes (Hayes et al. 2001, p. 32) .
Pour suivre jusqu'ici, vous avez sans doute dû surmonter quelques difficultés. En voici une dernière qui me donne encore et toujours du fil à retordre : Immédiatement après la dernière phrase de la citation tirée de la page 21 dulivre consacré à la TCR par Hayes et al., on lit : Dans les situations de langage naturel, cette classe de réponses n'est toutefois généralement pas appliquée de manière arbitraire car le langage est étroitement lié aux caractéristiques non-arbitraires de l'environnement. Ainsi, comme le résume Blackledge la TCR décrit essentiellement l'application non arbitraire de réponses relationnelles dérivées arbitrairement applicables. Il reconnaît que la terminologie semble difficile et est résolument technique, mais nous venons d'en décrire la plupart des composantes. Il vaut la peine de lire l'article dans lequel il a réalisé le tour de force de résumer une théorie complexe en 13 pages relativement faciles d'accès. J'espère mettre prochainement une traduction de ce texte à disposition des lecteurs francophones.
C'est la capacité d'appliquer de façon arbitraire des réponses dérivées relationnellement qui rend possible le langage humain et qui lui donne toute sa puissance (pour le meilleur et pour le pire). Une fois que nous avons en main ce merveilleux outil, nous devons nous en servir pour interagir (de manière si possible efficace) avec un monde essentiellement fait de choses «non-arbitraires» qui peuvent être vues, toucées, senties, etc. Cette dualité, ces allers et retours entre la dimension arbitraire et la dimension non-arbitraire sont probablement au coeur de l'ambiguïté de beaucoup de problèmes auxquels nous devons faire face. Et représentent aussi une des difficultés majeures dans la compréhension de la TCR !