2. Aspects théoriques
2. Aspects théoriques2.1. Vous avez dit comportementale ?
2.1. Vous avez dit comportementale ?
Le behaviorisme et la personne de B.F. Skinner sont associés, en particulier dans le domaine francophone, à des images négatives. Le behaviorisme radical de Skinner est confondu avec le behaviorisme méthodologique ou behaviorisme «stimulus-réponse» de Watson. Comme l'expérimentation animale portant principalement sur des rats et sur des pigeons a joué un rôle fondamental dans les recherches de Skinner, on lui a reproché de vouloir réduire l'être humain à ce qu'il a en commun avec les animaux, reproche encore étayé par le fait qu'il a adopté une position déterministe mettant en question la notion de liberté. Dans l'avant-propos qu'il a rédigé à la traduction française de «Science et comportement humain», A. Dorna résume la manière dont Skinner est vu en France : Disons brièvement que l'oeuvre scientifique et "morale" de Skinner se trouve entourée d'une étrange inimitié au sein des milieux académiques et intellectuels en France. Certains jugements, transmis généralement de bouche à oreille, sont repris par des journalistes désinformés et également par des enseignants au point que des "bruits de couloir" sont présentés comme des "vérités" incontestables à force de les marteler sans discernement.
Il faudrait écrire un livre ou plusieurs pour réfuter ces critiques. D'autres s'en sont chargés. On lira avec profit l'ouvrage de Marc Richelle B.F. Skinner ou le péril behavioriste. J'en extrais le passage suivant : Pour le behavioriste (...) la psychologie, si elle veut être une science, doit se donner pour objet des phénomènes observables à l'aide des méthodes habituelles des sciences de la nature; elle doit rechercher objectivement les variables dont ces phénomènes sont fonction. Cette position a paru à beaucoup inadmissible, parce qu'elle réduirait le champ de la psychologie aux seuls actes moteurs accessibles à l'observateur et en exclurait ces innombrables événements intérieurs que tout être humain sait se dérouler en lui. En fait, c'est se méprendre sur le parti pris méthodologique du behaviorisme. Il ne nie nullement les phénomènes intérieurs. Mais, d'une part, il dénie au sujet l'aptitude à en fournir une analyse scientifique (il rejoint en cela les positions de Freud et de Janet); d'autre part, il dénie aux événements psychiques internes, ou, si l'on veut, aux événements mentaux, un statut foncièrement différent de celui des conduites aisément observables de l'extérieur. Le problème de la psychologie est de les rendre accessibles à l'analyse, de les traiter comme des comportements et non comme des sources abstraites et invérifiées de comportements. L'antimentalisme, qui constitue l'un des traits dominants du behaviorisme actuel, n'est pas négation des événements mentaux, mais refus de les invoquer comme explication.
La définition opérationnelle des concepts utilisés en psychologie est considérée par le behaviorisme skinnérien comme un critère de premier ordre pour la validité scientifique du discours.
Dans leur présentation de la psychothérapie analytique fonctionnelle (Functional Analytic Psychotherapy), une thérapie appartenant comme ACT à la troisième vague des thérapies comportementales, Kohlenberg et Tsai décrivent les tenants et aboutissants du behaviorisme radical : Le behaviorisme radical est une théorie riche et profonde qui tente de s'approcher des racines du comportement humain. Les lapsus, l'inconscient, la poésie, la spiritualité, la métaphore figurent parmi les sujets qui ont été discutés par les behavioristes radicaux. Les sentiments et les autres expériences privées sont pris en compte et "les stimulations prenant naissance à l'intérieur du corps jouent un rôle important dans le comportement." (Skinner, 1974) (...) Skinner rejette l'idée selon laquelle, quand nous connaissons quelque chose, l'expression de notre connaissance est constituée par une représentation de ce que l'objet de la connaissance est et que l'objet de notre connaissance a une identité plus ou moins permanente comme un élément réel de la nature. Nous "chosifions" volontiers des événements parce que nous avons l'habitude de discourir à propos d'un monde composé d'objets dont nous avons la sensation qu'ils possèdent une consistance et une stabilité inhérentes. En fait, le but de découvrir des vérités objectives que la science s'était fixé s'est avéré impossible à poursuivre. Au coeur de la science il y a soit le comportement des scientifiques, soit les artefacts produits par leur activité, et le comportement scientifique est vraisemblablement contrôlé par le même genre de variables qui gouvernent tous les autres aspects de la complexité du comportement humain. Le chercheur n'est donc rien de plus qu'un organisme en train de se comporter si bien que les intérêts et les activités de l'observateur scientifique ne peuvent jamais être complètement désintriqués des observations qu'il produit. Cette position anti-ontologique de Skinner se rapproche d'un point de vue constructiviste ou Kantien.
Si Skinner s'est intéressé au comportement des animaux, c'était pour pouvoir ultérieurement construire sur des bases conceptuelles solides étayées par des travaux expérimentaux reproductibles et vérifiables, une psychologie qui rendrait compte du comportement humain. En 1938, il écrivait dans les dernières pages de «The Behavior of Organisms» : Le lecteur aura remarqué qu'il n'est pratiquement fait aucune allusion à une possible extension au comportement humain dans cet ouvrage. Cela ne signifie pas que l'intérêt pour le comportement du rat est présenté comme une fin en soi. L'importance qu'il y a à développer une science du comportement dépend en grande partie de la possibilité de l'étendre ultérieurement aux affaires humaines. (...) Il n'est pas possible pour le moment de dire si une telle extrapolation est ou non justifiée. Il est possible que le comportement humain présente des particularités qui requerront une approche différente. (...) Je puis dire que les seules différences que je m'attends à voir mises en évidences entre le comportement du rat et celui de l'être humain (hormis une immense différence en matière de complexité) résident dans le domaine du comportement verbal.
L'étude du comportement verbal a occupé Skinner pendant toute la seconde partie de sa carrière. L'ouvrage dans lequel il a présenté sa théorie du langage (Verbal Behavior, 1957) n'a pas permis le développement d'une ligne de recherches expérimentales fructueuses. La théorie des cadres relationnels représente une nouvelle manière de concevoir une théorie fonctionnelle du langage reposant sur les principes fondamentaux du behaviorisme.
2.1.1. Quelques notions fondamentales
2.1.1. Quelques notions fondamentalesLes expériences classiques de Pavlov sur la salivation des chiens ont abouti à la notion de conditionnement répondant. Si on présente de la nourriture à un chien, pour peu qu'il en ait été privé depuis suffisamment longtemps, ce stimulus va déclencher une réponse, en l'occurrence la production de salive. Cette relation entre un stimulus et une réponse n'a pas à être apprise ou conditionnée.
Si l'on fait régulièrement précéder la présentation de nourriture par le tintement d'une cloche, le son de la cloche acquerra bientôt la fonction qui est celle du stimulus nourriture dans le contexte en question : Le tintement de la cloche conduira donc aux mêmes conséquences que la présentation de nourriture.
Le phénomène du conditionnement répondant s'observe essentiellement dans les réactions autonomes médiatisées par le système nerveux neuro-végétatif. Les réponses ainsi conditionnées ne dépendent que très peu de leurs conséquences, contrairement à ce qu'on observe dans le conditionnement opérant, dont le paradigme demeure la situation expérimentale inventée par Skinner avec la fameuse «boîte» dans laquelle un rat reçoit un granule de nourriture à chaque fois qu'il appuie sur un levier. Une telle situation expérimentale simple permet de définir de manière précise et reproductible des termes sur lesquels on pourra édifier une construction théorique solidement fondée.
Ainsi, un opérant est une classe de réponses définie de manière fonctionnelle. Dans l'exemple de base que nous avons choisi, l'opérant est donc constitué par l'ensemble des réponses qui vont avoir pour conséquence la présentation de nourriture. Il faut remarquer qu'une telle définition est fonctionnelle et non topographique. Il importe peu que le rat utilise les pattes de devant pour appuyer sur le levier. S'il s'assied dessus ou qu'il l'actionne avec le museau, ces réponses seront également considérées comme faisant partie de l'opérant. Lorsque les réponses appartenant à une classe donnée augmentent en fréquence quand chacune d'entre elle est suivie par une certaine conséquence, on dit que cette réponse a été renforcée.
Une modification simple de notre expérience de base permet de définir un terme supplémentaire : Si l'abaissement du levier par le rat ne conduit à la présentation d'un granule de nourriture que lorsqu'une lumière verte est allumée, la lumière verte acquerra bientôt la fonction d'un stimulus discriminatif. Skinner (Science et comportement humain, 2005, p. 110) utilise le vocabulaire suivant : «Nous décrivons les contingences en disant qu'un stimulus (la lumière) est une occasion pour une réponse (...) d'être renforcée.»
Hineline et Wanchisen (Hineline, P.N, Wanchisen, B.A, Correlated Hypothesizing and the Distinction between Contingency-Shaped and Rule-Governed Behavior, in Hayes, 1989) soulignent les subtilités inhérentes à une approche apparemment simpliste : «Le comportement opérant est par principe un comportement interprété en relation avec ses conséquences, les événements le précédant ou l'accompagnant jouant un rôle favorisant, "occasionnant" ou modulateur. Les rapports entre le comportement opérant et les événements qui l'entourent impliquent un mode particulier de causalité interactive que Skinner (1981) a appelé la "sélection par les conséquences", le comportement et ses conséquences dans l'environnement constituant en l'occurrence des relations en boucle fermée. L'entité ainsi sélectionnée est mercurielle : Elle n'est jamais présente comme un tout; on peut certes y discerner une organisation mais c'est celle d'un motif en activité plutôt que celle d'une structure matérielle. Il y a dans ce concept central de l'analyse du comportement une subtilité et un aspect abstrait qui demeurent souvent ignorés. L'opérant (notion à laquelle il faudrait, pour être précis, toujours adjoindre le terme de classe) est une entité impalpable en raison de sa dispersion.»
Catania (Learning, 4th Ed.1998, p. 410) décrit comme suit la notion de stimulus : «Tout événement physique, toute combinaison d'événements ou relation entre événements.» Il signale encore que l'absence d'un événement peut constituer un stimulus et insiste lui aussi sur la notion de classe, que ce soient des classes définies par des propriétés physiques comme l'ensemble des lumières s'inscrivant dans un certain registre de longueurs d'onde et d'intensités ou des classes définies par certaines fonctions comportementales (par exemple une classe de stimuli discriminatifs efficaces dans un contexte donné.)
Lectures recommandées : Science et comportement humain est un des rares ouvrages de Skinner actuellement disponibles en traduction française. La lecture en est parfois difficile mais toujours intéressante.
La quatrième édition du passionnant (et parfois ardu...) Learning de Catania n'est malheureusement disponible qu'en anglais.
2.1.2. La définition opérationnelle des termes utilisés en psychologie
2.1.2. La définition opérationnelle des termes utilisés en psychologieLe behaviorisme radical attache de l'importance à une définition opérationnelle des concepts qu'il utilise.
Ce point a été développé de façon simple par E. Reese en 1966 dans «The analysis of human operant behavior» :
Ce qui caractérise le scientifique, c'est l'attitude d'objectivité et d'«honnêteté intellectuelle» qu'il adopte vis-à-vis de son objet d'étude ainsi que l'insistance avec laquelle il se concentre sur des données empiriques observables et mesurables. Une description scientifique du comportement commence avec l'observation d'un certain comportement. Vous pourriez par exemple, en traversant le campus avec un ami par une journée bien ensoleillée, constater que ses pupilles deviennent très petites et remarquer aussi, plus tard, peut-être au crépuscule, que ses pupilles sont bien plus grandes. Vous pourriez alors attirer son attention sur le phénomène et apprendre une des premières principales règles de la science : Elle doit pouvoir être communiquée. Afin de communiquer avec d'autres personnes qui souhaiteraient vérifier ses découvertes, le scientifique doit être en mesure de définir ses termes; le mode de définition en usage est la définition opérationnelle. Une définition opérationnelle décrit ce qu'il faut faire (y compris les mesures à effectuer) pour d'observer le phénomène défini. (Nous utilisons le terme «observer» dans le sens de voir, entendre, ressentir, sentir [tactile ou gustatif] ou discriminer de tout autre manière.) Les opérations définissant le changement de taille de la pupille que vous avez observé pourraient simplement consister dans le fait de disposer une règle graduée à proximité de l'oeil d'une personne et de mesurer le diamètre de la pupille à différentes heures de la journée.
Dans «On the principle of operationism in a science of behavior», un article publié en 1975 par Jay Moore dans la revue «Behaviorism» qui est recommandé comme une bonne introduction aux questions difficiles mais fondamentales discutées dans l'article publié en 1945 par Skinner sur la question, on trouve la définition originale du principe d'opérationisme formulée par le physicien P.W. Bridgman en 1927 : Chaque concept que nous utilisons ne signifie rien de plus qu'un ensemble d'opérations. Si le concept est physique, comme la longueur par exemple, il s'agit alors d'opérations physiques concrètes, c'est-à-dire celles par lesquelles la longueur est mesurée. Si le concept est mental, comme celui de la continuité mathématique, il s'agira d'opérations mentales, à savoir celles par lesquelles nous déterminons si une certain aggrégat de magnitudes est continu. Moore souligne que quand bien même ce principe visait en premier lieu à clarifier la pensée critique en physique, il a été favorablement accueilli comme une découverte méthodologique importante pour la pensée scientifique en général. S.S. Stevens devait publier dans les années 20 une série d'articles dans lesquels il a établi une interprétation du principe d'opérationisme pour l'adapter à la science psychologique, interprétation qui a bientôt été acceptée par l'ensemble de la discipline. L'article de Moore fait le point des particularités de l'interprétation du principe d'opérationisme données par Kantor en 1938 puis par Skinner en 1945.
Le 18 février 2006, Jacqueline A-Tjak disait sa difficulté à comprendre la définition donnée par Skinner d'une observation scientifiquement valable :
Une observation ne peut prétendre à la validité scientifique que quand elle a été contrôlée par des événements-stimuli particuliers (essentiellement ceux de nature non-verbale) et par une histoire générale de renforcement pour le fait de parler de manière contrôlée par ce type d'événements, par opposition au fait de parler sous le contrôle de facteurs liés à la composition de l'audience, d'états de renforçabillité etc.
Kelly Wilson lui a répondu le même jour (vous trouverez le texte original anglais de sa réponse sur la page où les membres de l'ACBS peuvent aussi télécharger le fameux «article de 1945»)
Skinner parle ici du concept de définition opérationnelle. Il a participé en 1945 à un séminaire consacré à cette question. Sa contribution, intitulée «Operational Analysis of Psychological Terms» est bien connue des accros de l'analyse du comportement qui l'appellent simplement «l'article de 1945». Nous l'y voyons développer un point de vue sur l'opérationisme bien différent de celui de la plupart de ses contemporains. Il y affirme essentiellement que c'est dans ses déterminants, c'est-à-dire dans son contexte, que réside la signification d'un terme. Ainsi, si nous voulons connaître la signification d'un terme, il nous faut une analyse des conditions contextuelles qui l'ont généré et qui le maintiennent (les stimuli discriminatifs, les stimuli renforçateurs, les opérations d'établissement). Dans l'article de 1945, Skinner propose que nous soumettions le discours des scientifiques à la même analyse que tout autre comportement. Les répercussions sur la question de la «validité» des observations verbales d'un scientifique sont les suivantes : Dans la mesure où le comportement du scientifique est renforcé de manière prédominante par une capacité accrue à prédire et influencer les événements (principalement non-verbaux) qui constituent son objet d'étude, ses observations sont «valables.» Dans la mesure où elles sont renforcées par des renforçateurs dispensés par la société comme l'argent, la réputation, les éloges (plutôt que par une capacité accrue à prédire et influencer), elles sont «invalides». Je pense que c'est ça qui est vraiment radical dans le behaviorisme radical : L'accent mis sur la nécessité de ne pas appliquer l'analyse seulement au comportement des organismes faisant l'objet de l'expérience, mais aussi à celui du scientifique qui l'effectue et à celui du théoricien dont les constructions intellectuelles ont orienté la recherche.
Pour un analyste du comportement, comprendre les déterminants dans le contexte, c'est tout simplement ce que nous appelons comprendre.
Je dis à mes étudiants que s'ils veulent comprendre ce que Skinner veut dire dans pratiquement tout ce qu'il écrit, c'est dans l'article de 45 qu'ils trouveront la clé du royaume. Le Skinner de 1945 est un homme en pleine maturité. Il a dans les années qui ont suivi raffiné et élaboré son analyse, mais c'est ici qu'on en trouve le coeur et l'esprit. Il y a dans ce petit article toute l'épistémologie de Skinner, sa théorie générale, sa théorie du comportement verbal. Si vous comprenez ce que Skinner écrit ici, alors vous pouvez passer à la lecture d'«Au-delà de la liberté et de la dignité» et de «About Behaviorism» et voir ce qu'il en fait dans ces livres provocateurs.
Inutile de le dire, en tant qu'accro de la psycho, j'aime cet article. J'aimerais ajouter que ce qu'écrit Jay Moore sur l'opérationisme est bien plus facile à lire que l'article de Skinner (...)
2.1.3. Le conditionnement aversif
2.1.3. Le conditionnement aversifUne des raisons pour lesquelles le comportementalisme a mauvaise presse réside dans l'assimilation qui en est faite avec des techniques de conditionnement aversif telles qu'elles ont été illustrées dans le film de Stanley Kubrick «Orange mécanique».
Les manuels de thérapie comportementale (comme par exemple l'ouvrage classique de Martin et Pear) mettent en garde contre les risques inhérents à l'utilisation des techniques aversives et les questions éthiques qu'elles posent. L'excellent Coercion and its Fallout de Murray Sidman n'a jamais été réédité (ni traduit en français) mais reste disponible d'occasion. On peut en résumer le propos comme suit : Les techniques aversives de modification du comportement sont efficaces mais elles ont des effets secondaires dévastateurs. Elles peuvent conduire à la suppression temporaire du comportement visé mais n'ajoutent rien au répertoire comportemental du sujet chez qui elles favorisent l'émergence de stratégies de dissimulation, d'échappement et de fuite, la personne ou l'instance administrant la contrainte ou la punition acquérant automatiquement le statut d'un stimulus aversif.
Skinner était un utopiste qui rêvait de développer une science du comportement qui permettrait de définir et de mettre en place des conditions de vie garantissant à chacun le maximum de liberté (voir à ce propos son ouvrageWalden 2). Cette position continue à inspirer ceux qui se réclament de la tradition behavioriste. La notion de liberté n'est pas incompatible avec une position déterministe. Nous pouvons concevoir la liberté comme un état dans lequel notre comportement est soumis à un minimum d'influences résultant de processus de conditionnement aversif.
D'un point de vue théorique, les points suivants sont importants pour comprendre la thérapie ACT :
1. L'association d'une conséquence punitive avec un stimulus quelconque donne lieu à un conditionnement aversif. Lors de présentations futures du même stimulus, les conséquences pour l'organisme conditionné seront de trois ordres:
a. Une réaction neurovégétative
b. Le déclenchement de comportements d'évitement
c. La cessation de tout autre comportement dans lequel l'organisme était engagé. Le conditionnement aversif a donc pour conséquence un rétrécissement marqué du répertoire comportemental.
2. Le langage et la forme d'intelligence qui lui est associée (et qui le rend possible) représente un mécanisme de survie particulièrement efficace. Il a aussi ses inconvénients : Des objets et des notions qui ne sont pas présents peuvent donner lieu à un conditionnement aversif chez l'être humain. On sait que beaucoup de chiens connaissent des réactions anxieuses marquées devant les feux d'artifice habituellement tirés lors de la fête nationale suisse qui est aussi un événement à l'occasion duquel rues et maisons sont pavoisées; on n'a cependant jamais vu un chien se mettre à trembler devant un drapeau suisse, alors qu'un être humain est capable de ce type d'extension qui peut se poursuivre à l'infini et qui a notamment pour conséquence que des notions abstraites et des «événements privés» comme des pensées, des émotions ou des sensations corporelles peuvent donner lieu à un conditionnement aversif chez l'homme avec pour conséquence les trois réactions 1a, b et c décrites plus haut.
Le but du traitement n'est pas tant de réduire les composantes 1a et 1b que de restaurer autant que possible une flexibilité comportementale en présence du stimuli aversif. Nous aimerions que, en même temps qu'il a peur, le sujet puisse continuer à s'engager dans des activités autres que l'évitement et la fuite. Ce but est poursuivi grâce à des exercices d'exposition, d'activation comportementale et de défusion.
2.2. Le contextualisme fonctionnel
2.2. Le contextualisme fonctionnel«On peut définir la philosophie comme réunissant les hypothèses préalables à toute analyse et les règles d'évidence (critères de véracité) utilisées pour concevoir et évaluer des théories et des progrès dans la connaissance des la réalité» (Fox, 2005). Comme Gödel l'a montré dans le domaine des mathématiques, il est impossible de construire un système symbolique qui ne repose pas sur des axiomes ne pouvant eux-mêmes pas être analysés en utilisant le système en question. De manière plus générale, il n'est pas possible de tenir un discours sur le monde sans adopter de manière au moins implicite un système d'hypothèses pré-analytiques et de critères de véracité - donc une position philosophique. A ce titre, nous faisons tous de la philosophie sans le savoir comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir ! Notre ignorance en la matière nous permet de ne pas nous rendre compte quand, pour critiquer la position d'un adversaire dans un débat d'idées, nous utilisons notre propre système de référence pour nous en prendre aux points d'ancrage du système de pensée de l'autre. «Il est en effet malhonnête de dire : "Mes présupposés et mes valeurs correspondent mieux à mon système de référence que vos présupposés et vos valeurs ne correspondent à mon système de référence; donc, mes présupposés et mes valeurs sont les meilleurs." Tout ce que l'on peut honnêtement dire, c'est : "Voici mes présupposés, voici mon système de référence. Et voici ce qui se passe (c'est une description, non une évaluation) quand on adopte ce système-ci plutôt que celui-là".» (Hayes et al., 1999)
«Il est donc particulièrement important pour tout discours scientifique que la position philosophique sur laquelle il s'appuie soit clairement énoncée; cela en améliore la cohérence, diminue le risque de malentendus, évite des débats sans objet et permet de comparer et d'évaluer les théories de manière plus constructive» (Fox, 2005).
Dans un ouvrage publié en 1942, le philosophe S. Pepper a proposé une classification des différents systèmes philosophiques en grandes catégories correspondant à des «visions du monde» ou «hypothèses sur le monde» articulées chacune autour d'une métaphore fondamentale et d'un critère de véracité. Par métaphore fondamentale, il entend «un concept ou un objet dont la compréhension est évidente pour le sens commun et qui peut fournir une analogie de base sur laquelle une démarche de compréhension analytique du monde pourra s'étayer. A chaque métaphore fondamentale correspond de manière indissociable un critère de véracité à l'aune duquel la validité des analyses pourra être évaluée» (Fox, 2005). La pertinence de ces différents systèmes peut être évaluée en fonction de leur précision et de leur portée. «Le concept de précision fait référence au nombre d'explications différentes découlant, pour un phénomène donné, de la mise en oeuvre des concepts fondant une vision du monde (moins il y en aura, plus la précision sera grande), le concept d'étendue (en anglais scope) fait référence au nombre de phénomènes susceptibles d'être expliqués en utilisant ces concepts. Toutes les visions du monde visent à l'étendue complète et la précision absolue - mais aucune ne parvient complètement à un tel idéal. Les 4 visions suivantes s'en rapprochent le plus : Le formisme, le mécanisme, le contextualisme et l'organicisme» (Fox, 2005).
L'approche de la psychologie présentée sur ce site internet repose sur une variété de contextualisme appelée contextualisme fonctionnel.
L'approche mécaniste versus l'approche contextuelle fonctionnelle
L'approche mécaniste versus l'approche contextuelle fonctionnelleNotre façon de concevoir le monde est fondée sur un système d’hypothèses ou un système de références. Ce n’est pas parce qu’il y a différents systèmes de références, qu’un système est meilleur qu’un autre, mais c’est simplement une manière de se positionner face à l’objet d’étude.
Comme l’a déjà mentionné Dr Philippe Vuille, on peut s’entendre sur quatre visions principales du monde : le formalisme (centré sur la forme et les symboles, les mathématiques), l’organicisme (la vie est le résultat d’une organisation, par exemple, la maladie est causée par une lésion d’organe), le mécanisme et le contextualisme ou constructivisme.
L’approche mécaniste prédomine dans la compréhension de l’être humain, autant aux niveaux médical que psychologique. On essaie de comprendre l’être humain comme s’il était une machine : on analyse les parties + on cherche des relations entre les parties + les forces qui régissent la machine. On prétend qu’on peut découvrir toutes les parties d’une machine et comprendre son fonctionnement. Sur le plan psychologique, on prétend qu'il est possible d'expliquer le fonctionnement psychologique d’une personne par un modèle de compréhension univoque, considéré comme étant une description véridique, ou une vérité objective de la psyché humaine. Tel que le conçoit l’empirisme de Locke, la connaissance serait alors un calque du monde extérieur sur notre cerveau. En constatant la diversité des théories psychologiques avec chacune des logiques internes très intéressantes, on peut se questionner quant au choix d’une théorie particulière comme étant un modèle exact de compréhension d’un client. Alors, comment choisir, parmi toutes ces théories, celle à privilégier? Les résultats thérapeutiques pourraient nous éclairer. Mais souvent, dans la plupart des approches psychologiques, une fois que la logique du fonctionnement psychologique du client est établie, qu’il y ait changement ou pas, cela ne remet pas en question la justesse, l’évidence ou la vérité du modèle. La thérapie est présentée comme un moyen et non un résultat. Les processus psychologiques internes « les pensées, émotions, attentes, désirs, etc ..» sont analysés et décortiqués et on crée des liens entre eux. On est alors dans la compréhension, la cohérence, la prédiction des comportements, la correspondance qu’ils ont entre eux. Les clients établissent une compréhension de leur problème par des conclusions sur eux-mêmes. La thérapie repose sur l’insight et la compréhension du problème et le résultat est secondaire.
Dans l’approche contextualiste, on prétend qu'il y a une variété d’explications possibles au comportement humain de par toutes les variables du contexte actuel et historique qui peuvent l’affecter. Tenter de retracer la vraie histoire ou de faire des liens peut être intéressant. Mais ce qu’on sort de son contexte se vide de son sens. Mettez-le dans un autre contexte et il prendra un autre sens. Pour cette raison, la compréhension du contenu des pensées, émotions, etc… n’est pas le focus de la thérapie. Comment fait-on pour s’y retrouver devant cette infinité de possibilités ? C’est l’utilité ou la fonction des phénomènes psychologiques dans leur contexte qui vont orienter la thérapie et non la quête d’une vérité objective ou le reflet d’une réalité. On est davantage intéressé aux conséquences que les phénomènes internes (pensées, émotions, images etc..) auront dans le contexte actuel de la personne . Quant une personne mentionne le contenu d’une phrase, on lui demande souvent « À quoi cela vous sert-il de vous dire cela? Où cela vous amène-t-il par rapport à vos valeurs? » plutôt qu'à savoir si cette pensée est vraie, rationnelle, adéquate (sens arbitraire). Toutefois, il est important de préciser que la compréhension ou faire des liens pourront être utilisés en thérapie s'il s'avère que de le faire est utile au client pour s'accepter (la mentalisation peut permet de le faire) et de s'ouvrir à son expérience subjective (incluant le désagréable). En d'autres termes, on est pas intéressé au contenu de cette compréhension, mais à quoi elle sert. On s’attarde donc à son utilité dans son contexte pour aller efficacement vers des buts valorisés. On ne s’attarde donc pas à la pensée en donnant de l’importance à son contenu, à moins que cette pensée ne devienne utile dans le contexte.
Par exemple, disons que l'on vous donne un plan de construction d’une maison ou une photo de cette maison et qu'on vous demande « quelle est la vraie représentation de cette maison? » Est-ce que vous êtes la personne qui va la construire ou vous voulez la reconnaître sur votre chemin? Il n’y a pas de vraie représentation en soi à part l’utilité de cette représentation dans le contexte. On parle alors de contexte fonctionnel.
Votre vérité n’est peut-être pas la même qu'une autre personne parce que vous avez des objectifs différents. Cette vérité pragmatique est différente de la vérité de correspondance ou d’association mentionnée précédemment avec la vision mécaniste. On ne parle pas d’une vérité ontologique, mais d’une vérité fonctionnelle.
Inspiré du chapitre « The Philosophical And Theoretical Foundations Of ACT » dans Acceptance and Commitment Therapy de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson
La métaphore fondamentale
La métaphore fondamentaleLa métaphore fondamentale du contextualisme
On parle souvent d'action-dans-son contexte ou d'événement historique (Pepper, 1942, p.232) pour caractériser la métaphore fondamentale du contextualisme et ces termes font référence à la manière dont le sens commun comprend tout événement de la vie. Prenez par exemple le simple fait de se brosser les dents. Comment comprenez-vous cet événement en termes de sens commun ? En premier lieu, il consiste en une multitude de caractéristiques dont l'ensemble concourt à le définir. «Se brosser les dents» ne peut se réduire à une brosse à dent, ni à une personne, ni au dentifrice, ni à la salle de bains, ni au fait d'appuyer sur le tube de dentifrice, d'effectuer des mouvements circulaires de la main ou encore de cracher dans le lavabo. Cet événement comprend tout cela à la fois; toutes ces choses et bien d'autres encore concourent à le définir et à le caractériser. Pour comprendre, au sens commun du terme, une action ou un comportement, nous l'appréhendons avec son cadre ou son contexte du moment comme un tout intégré «dans lequel les nombreuses caractéristiques d'une action se fondent, à la fois entre elles et aussi avec leur contexte» (Gifford and Hayes, 1999, p.289). Nous pourrions bien sûr aussi analyser l'action de «se brosser les dents» comme une collection de composantes individuelles. Toutefois, notre expérience et notre compréhension quotidiennes de cette action sont celles d'un événement entier, complet, indissociable de son contexte.
Des considérations quant à son utilité, sa signification et sa fonction interviennent aussi dans notre compréhension (toujours au sens commun du terme) d'un événement donné et elles dépendent d'événements passés, de ce qu'on peut appeler le contexte historique de l'événement présent. Si nous nous brossons les dents, c'est probablement parce qu'on nous a dit que cela préviendrait la formation de caries ou parce qu'une négligence en matière d'hygiène dentaire a eu pour conséquence dans le passé des séances particulièrement douloureuses chez le dentiste. On se brosse les dents dans la salle de bains parce que l'expérience passée a montré que l'endroit s'y prêtait, on utilise une une brosse à dents et du dentifrice et on effectue des mouvements circulaires parce qu'on a appris à le faire. Tous ces événements passés, toutes ces expériences de vie et bien d'autres encore contribuent à notre compréhension du pourquoi et du comment nous nous brossons les dents. C'est la raison pour laquelle, pour le contextualiste, la notion de contexte fait référence à la fois au contexte actuel et au contexte historique d'une action. Il semble que Pepper se soit inspiré dans son utilisation de la notion de contexte de la manière dont le terme était utilisé par Dewey qui le définissait comme "la situation historique de la signification et de la fonction d'un comportement" (Morris, 1997, p. 533).
Les contextualistes analysent tous les phénomènes comme des actions_dans_leur_contexte. Un contextualiste ne séparera un événement de son contexte pour en faire des parties distinctes que lorsqu'il vise un but pratique particulier. Gifford and Hayes, 1999 écrivent : «Une approche contextuelle commence avec une action complète en situation et n'y délimite des composantes que lorsque des raisons pratiques le demandent (...) C'est l'entité complète qui est première : discriminations et distinctions utiles sont toujours secondaires» (p. 294) . Ainsi, lorsqu'un contextualiste élabore des théories et des analyses dans lesquelles le monde apparaît comme divisé en des sous-unités, c'est toujours pour atteindre un certain but et non afin de révéler la «véritable» organisation ou la «vraie» structure du monde. Dans le contextualisme, de telles divisions sont utilitaires et non fondamentales. Le contextualisme ne connaît en fait aucune «véritable» unité d'analyse et le contexte actuel et historique d'un événement donné inclut toujours l'ensemble de l'univers et toute l'étendue du temps. Comment donc un contextualiste peut-il savoir combien de caractéristiques (et lesquelles) de ce contexte potentiellement illimité il doit prendre en considération pour caractériser une action de manière adéquate ? En d'autres termes, comment un contextualiste détermine-t-il la «vérité» ou l'adéquation d'une analyse contextuelle ? Les considérations relatives au critère de véracité du contextualisme apporteront la réponse à ces questions.
Le critère de véracité
Le critère de véracitéCette page constitue la traduction de la page Truth Criterion.
Le critère de véracité du contextualisme
Une analyse basée sur la métaphore fondamentale du contextualisme consiste essentiellement en une description d'un certain événement ou phénomène et de son contexte actuel et historique. On ne sera pas surpris d'apprendre que la validité d'une telle analyse s'évalue sur la base de l'examen du contexte dans lequel elle a été générée. Les contextualistes déterminent en particulier la validité ou la «véracité» d'une analyse au regard de l'intention de l'analyste ou de la fonction qu'il a voulu lui donner. Si l'analyse inclut suffisamment de caractéristiques du contexte pour que le but dans lequel elle avait été élaborée soit atteint, elle sera considérée comme «vraie». En d'autres mots, pour un contextualiste, la véracité et la signification d'une idée résident dans sa fonction ou son utilité et non dans la mesure dans laquelle on peut dire qu'elle constitue un reflet de la réalité. On parle ainsi de fonctionnement réussi pour qualifier le critère de véracité du contextualisme, une analyse étant considérée comme vraie ou valable pour autant qu'elle permette une action efficace ou la réalisation d'un certain but.
La manière dont il conçoit la notion de vérité est révélatrice de l'ancrage du contextualisme dans la tradition philosophique d'un pragmatisme marqué par les figures de Charles Sanders Pierce, William James, Oliver Wendell Holmes Jr., George Herbert Mead et John Dewey. Le pragmatisme et le contextualisme ne s'intéressent pas à la recherche de vérités absolues ou fondamentales à propos de l'univers. Comme James l'a écrit, «la vérité d'une idée n'est pas une propriété inerte qu'elle contient. La vérité, c'est quelque chose qui arrive à une idée. Elle devient vraie, ce sont les événements qui la rendent vraie» (1907, p. 161).
Pour le contextualiste, c'est l'expérience humaine qui vérifie une idée; la «signification» en est essentiellement déterminée par les conséquences pratiques qu'elle peut avoir et sa «vérité» par la mesure dans laquelle ces conséquences peuvent être considérées comme une action réussie. La manière extrêmement fonctionnelle dont le contextualisme conçoit la notion de vérité et le fait qu'il insiste sur les conséquences empiriques des idées signalent l'influence d'une autre grande figure qui a marqué le courant de pensée pragmatiste : Charles Darwin. On peut concevoir le pragmatisme comme une application à l'épistémologie du sélectionisme de Darwin : Dans le pragmatisme, une idée est «sélectionnée» (elle est retenue comme vraie ou valable) si elle favorise le succès de l'action, de la même manière que, dans la sélection naturelle, une caractéristique du phénotype est «sélectionnée» (retenue par l'espèce) si elle favorise le succès de la reproduction. On ne sera pas surpris par cette influence dans la mesure où les idées de Darwin commençaient à s'imposer dans le monde universitaire à l'époque où les jeunes pragmatistes affûtaient leurs premières armes intellectuelles.
2.3. La théorie des cadres relationnels
2.3. La théorie des cadres relationnelsCette page constitue la traduction française de la page RFT.
La théorie des cadres relationnels (TCR) rend compte d'un point de vue explicitement psychologique du langage et de la cognition humaines. Conçue pour comprendre de manière pragmatique des comportements humains complexes, elle offre des instruments empiriques et conceptuels permettant d'aborder l'analyse expérimentale de pratiquement toute question significative dans le domaine visé. En outre, la TCR offre un compte-rendu fonctionnel de la structuredu savoir verbal et de la cognition, créant ainsi un lien important entre les perspectives traditionnellement divergentes de la psychologie cognitive et de la psychologie comportementale.
La TCR offre différents avantages par rapport aux théories du langage et de la cognition déjà élaborées. Nous pensons que ces avantages de la TCR la rendent intéressante non seulement pour les théoriciens behavioristes mais aussi pour les psychologues cognitivistes, les thérapeutes, les éducateurs et d'une façon générale toute personne intéressée à mieux comprendre la condition humaine. Cliquez sur un lien ci-dessous ou ci-contre (sous FAQ, vous trouverez par exemple des réponses (en anglais) à certaines question fréquemment posées à propos de la TCR) pour en apprendre davantage à propos de la TCR, ou visitez le forum RFT (en anglais) pour participer ou simplement assister aux discussions en cours.
2.3.1. La TCR expliquée simplement (ou presque...)
2.3.1. La TCR expliquée simplement (ou presque...)Le propos de la TCR est d'offrir une analyse du comportement verbal et des phénomènes cognitifs propres à l'être humain qui puisse s'appuyer sur les concepts de base définis par le behaviorisme dont la connaissance constitue un préalable indispensable à la compréhension de la discussion qui va suivre.
Le behaviorisme décrit comment des phénomènes de conditionnement conduisent à une transformation des fonctions d'un stimulus donné. Un stimulus peut avoir toutes sortes de fonctions :
• Des fonctions discriminatives (la couleur rouge d'un abricot offre l'occasion pour mon comportement de le choisir d'être récompensé).
• Des fonctions renforçantes (le goût sucré de l'abricot survenant comme une conséquence de mon action de le manger va entraîner une augmentation de la probabilité des comportements appartenant à cette classe de réponses).
• Des fonctions punitives. Le conditionnement aversif est généralement rejeté par les behavioristes en tant que technique de modification du comportement. Cela dit, on conseille aux propriétaires de chien qui trouvent judicieux de punir leur animal de ne pas le frapper de la main mais d'utiliser un journal roulé afin de diminuer le conditionnement de la main comme stimulus aversif. Dans cet exemple, le stimulus constitué par le journal roulé dans la main du maître acquiert des fonctions punitives.
• Etc. (on pourrait varier les exemples à l'envi).
Le stimulus constitué par quelques gouttes de citron sur la langue a la fonction de déclencher une sécrétion salivaire, et ce sans qu'aucun processus d'apprentissage ne soit nécessaire. Dans les expériences classiques de Pavlov, le stimulus initialement neutre du tintement de la cloche acquiert une fonction similaire de déclenchement de la sécrétion salivaire. Nous utilisons le terme de «conditionnement» pour désigner ce phénomène de transformation des fonctions d'un stimulus.
La manière la plus simple de définir un opérant consiste à en décrire la topographie (c'est-à-dire la forme concrète du comportement observé), ce qui n'est jamais tout-à-fait correct puisque la notion d'opérant est définie de façon fonctionnelle et non topographique. Ce type de raccourci est utile et ne pose pas de problèmes dans la plupart des applications pratiques; y recourir de façon habituelle peut toutefois rendre difficile la compréhension du concept d'opérant purement fonctionnel. L'exemple le plus typique d'un tel opérant est l'imitation généralisée : En renforçant une réponse à chaque fois que sa topographie est similaire à celle d'un comportement présenté et en variant fréquemment, sur un grand nombre d'essais, la forme de la gestique à imiter, on peut entraîner non seulement chez l'être humain mais chez bon nombre d'animaux une classe de réponses qui n'ont entre elles aucun point commun topographique tout en ayant la même fonction.
Répondre relationnellement constitue un autre exemple d'un opérant purement fonctionnel. Un singe ou une otarie peuvent être entraînées de manière à toujours choisir le plus grand de deux objets. Ainsi, dans une série d'essais, l'animal chez qui un tel opérant a été établi pourra être renforcé pour choisir l'objet B, plus grand que l'objet A. Au prochain essai, il choisira l'objet C, plus grand que l'objet B, ce quand bien même il venait d'être renforcé pour avoir choisi B. Beaucoup d'animaux sont capables de répondre ainsi à la relation entre les propriétés non-arbitraires de deux stimuli (relation pouvant en elle-même être considérée comme un stimulus).
L'être humain a la capacité d'apprendre à répondre relationnellement à des objets d'une manière qui n'est pas définie par les propriétés physiques des objets, mais par d'autres aspects de la situation (Hayes et al. 2001, p. 21). On parle alors de réponse relationnelle arbitrairement applicable (RRAA). Ce type de réponse s'est avéré très difficile à entraîner chez les animaux, y compris les primates, tandis qu'elle peut très facilement l'être chez les êtres humains à partir de l'âge (environ 18 mois) où leur compétence verbale commence à se développer.
Une réponse relationnelle de cette sorte ne dépend plus seulement des propriétés physiques des objets mis en relation (...) Elle est arbitrairement applicable. Nous entendons simplement par arbitrairement applicable le fait que, dans certains contextes, une telle réponse est sous le contrôle de particularités susceptibles d'être modifiées par simple convention sociale (Hayes et al., 2001, p. 21). Le fait que la pièce de 50 centimes suisse, plus petite que celles de 10 et de 20 centimes, vaut davantage, de la même manière que la «dime» américaine a plus de valeur que le nickel pourtant physiquement plus grand sont des exemples de ce que peut impliquer la notion de réponse relationnelle arbitrairement applicable (RRAA).
J.T. Blackledge nous offre une compréhension facilitée de la notion de propriété arbitraire ou non-arbitraire : le terme «non-arbitraire» désigne les propriétés physiques d'un stimulus susceptibles d'être, de façon immédiate, vues, entendues, senties (olfaction), goûtées ou touchées. Nous pouvons qualifier d'arbitraires toutes les autres propriétés d'un stimulus. Il est intéressant de remarquer que ce sont ces propriétés-là qui occupent l'essentiel de notre discours et de nos pensées : Ça, c'est bien, ça, c'est pas bien, ceci est important, mais pas cela, celui-ci est cher, cet autre est meilleur marché, c'est magnifique, c'est épouvantable, c'est honteux, etc. Blackledge propose encore un exemple de RRAA : On peut entraîner un phoque à choisir systématiquement le plus grand d'une série d'objets qu'il n'a jamais vus auparavant. Si on le mettait en présence du président des Etats-Unis, d'un employé de banque et d'un clochard, il choisirait celui qui est physiquement le plus grand des trois tandis qu'une personne disposant de compétences verbales ferait probablement la discrimination entre l'importance de l'homme et sa taille et réaliserait ainsi que, dans ce contexte, le plus grand n'est pas forcément le plus long. Le fait qu'en lisant ces lignes nous pouvons tous avoir des réactions différentes illustrant une variété d'opinions à propos du concept d'importance et de la manière dont il est appliqué dans cet exemple constitue une des subtilités du comportement verbal !
La TCR affirme que le fait de répondre relationnellement peut être décrit comme un opérant généralisé auquel les principes régissant le comportement opérant des organismes non-verbaux peuvent légitimement être appliqués. La notion de cadre ne doit pas être comprise dans une perspective mentaliste comme une structure qui serait localisée quelque part à l'intérieur du sujet mais comme une activité; la tendance du langage à «substantiver» par commodité des concepts se référant à des actions ou des processus peut ici encore poser problème. «Cadrer relationnellement» apparaît comme une compétence que nous acquérons très tôt dans la vie grâce à un entraînement portant sur un très grand nombre d'exemples. Le premier des cadres (il faudrait plutôt, pour être tout-à-fait correct, dire : la première des façons de cadrer relationnellement) que l'enfant apprend est le cadre de coordination. «Ça, c'est une balle !» Les mots «ça c'est une...», la gestique avec laquelle nous pointons l'objet ainsi que d'autres aspects du contexte fonctionneront comme un Crel, un signal contextuel susceptible d'entraîner l'application d'un type particulier de réponse relationnelle à la balle elle-même et à l'événement auditif "balle". Dans le cas particulier, un "cadre de coordination", avec pour résultat une relation d'équivalence (Hayes et al. 2001, p. 30). A travers des centaines et des milliers d'exemples de ce type, l'enfant est récompensé à chaque fois qu'il émet une comportement montrant qu'il a cadré correctement. Typiquement, l'adulte lui dira ensuite : «Où est la balle ?» et renforcera un comportement d'orientation en direction de la balle par des marques d'approbation et de tendresse. Une fois cette première modalité bien établie, différentes façons de cadrer contrôlées par d'autres signaux contextuels seront acquises : Cadre d'opposition, cadre de distinction, cadre de comparaison, cadre hiérarchique, cadre temporel, etc. Il est intéressant de remarquer que la dimension physique appelée «temps» ne peut être ni touchée, ni vue, ni entendue, ni goûtée, ni sentie. Elle constitue un exemple des domaines que l'aptitude à la RRAA ouvre à l'être humain.
L'action de cadrer relationnellement a pour conséquence une transformation des fonctions d'un stimulus. Si vous entendez le mot «chocolat», il y a de fortes chances que cette suite de sons acquière pour vous certaines des fonctions du chocolat réel. Peut-être visualiserez-vous l'emballage de votre marque préférée, peut-être entendrez-vous le son du papier d'argent qui se déchire ou celui de la tablette qui se rompt, peut-être aurez-vous une réminiscence du goût d'un carré de chocolat fondant dans votre bouche ? Vous aurez remarqué que les différentes phrases qui précèdent ont éveillé en vous différentes modalités sensorielles. Chaque phrase a constitué un Cfunc, un signal contextuel contrôlant laquelle des fonctions du chocolat a été transférée par le fait de cadrer relationnellement le son «chocolat» (ou la suite de signes tracés sur le papier formant ce mot) avec la confiserie brune obtenue à partir de la fève du cacaoyer. Si je vous parle d'un grand verre de jus d'orange bien frais sur un plateau par une chaude journée d'été, les fonctions du jus d'orange qui sont transférées ne sont pas les mêmes que si je vous dis que vous avez renversé le même verre de jus d'orange sur la robe de votre voisine dans une soirée de gala.
Nous avons vu que les relations d'équivalence établies par le cadre de coordination ne sont qu'un cas particulier des différentes façons de cadrer décrites par la TCR. Dans une relation d'équivalence, la théorie classique du comportement parle du «transfert» des fonctions du stimulus. Dans d'autres types de cadrage comme le cadrage d'opposition, les fonctions d'un stimulus ne sont pas simplement transférées mais transformées, comme le montre l'exemple suivant : Supposons qu'une personne a été entraînée à choisir le stimulus B comme le «contraire» du stimulus A. Supposons maintenant que nous avons donné à A une fonction punitive conditionnée, par exemple en associant régulièrement A à une perte de points. Nous pouvons prédire que B va alors acquérir une fonction renforçante en vertu de sa relation d'«opposition» au stimulus punitif A (...) Il ne paraîtrait pas correct dans un tel cas de dire que les effets renforçants ont été «transférés» puisqu'ils ont été acquis de manière indirecte par le biais de la relation d'opposition entre B et un stimulus punitif. Il semble plus approprié d'utiliser le terme de transformation plutôt que celui de transfert et c'est pour cette raison que la TCR a adopté le terme général de transformation des fonctions d'un stimulus. Nous continuerons à utiliser le terme de transfert des fonctions d'un stimulus, mais nous le réserverons aux situations dans lesquelles la relation sous-jacente a pour effet la dérivation de fonctions similaires à celles qui avaient été entraînées ou qui étaient préexistantes (Hayes et al. 2001, p. 32) .
Pour suivre jusqu'ici, vous avez sans doute dû surmonter quelques difficultés. En voici une dernière qui me donne encore et toujours du fil à retordre : Immédiatement après la dernière phrase de la citation tirée de la page 21 dulivre consacré à la TCR par Hayes et al., on lit : Dans les situations de langage naturel, cette classe de réponses n'est toutefois généralement pas appliquée de manière arbitraire car le langage est étroitement lié aux caractéristiques non-arbitraires de l'environnement. Ainsi, comme le résume Blackledge la TCR décrit essentiellement l'application non arbitraire de réponses relationnelles dérivées arbitrairement applicables. Il reconnaît que la terminologie semble difficile et est résolument technique, mais nous venons d'en décrire la plupart des composantes. Il vaut la peine de lire l'article dans lequel il a réalisé le tour de force de résumer une théorie complexe en 13 pages relativement faciles d'accès. J'espère mettre prochainement une traduction de ce texte à disposition des lecteurs francophones.
C'est la capacité d'appliquer de façon arbitraire des réponses dérivées relationnellement qui rend possible le langage humain et qui lui donne toute sa puissance (pour le meilleur et pour le pire). Une fois que nous avons en main ce merveilleux outil, nous devons nous en servir pour interagir (de manière si possible efficace) avec un monde essentiellement fait de choses «non-arbitraires» qui peuvent être vues, toucées, senties, etc. Cette dualité, ces allers et retours entre la dimension arbitraire et la dimension non-arbitraire sont probablement au coeur de l'ambiguïté de beaucoup de problèmes auxquels nous devons faire face. Et représentent aussi une des difficultés majeures dans la compréhension de la TCR !
2.3.2. Les avantages de la TCR
2.3.2. Les avantages de la TCRCette page constitue la traduction de la page Advantages of RFT.
Les avantages de la TCR comme approche du langage et de la cognition humaines.
Il existe de nombreuses théories – issues de diverses disciplines – qui s'efforcent d'expliquer le langage et la cognition humaines. Qu'est-ce que la TCR peut bien offrir d'unique ou de particulier sur un terrain déjà aussi densément occupé ?
Nous croyons que l'approche fonctionnelle et contextualiste choisie par la TCR pour aborder la compréhension des comportements humains complexes a permis le développement d'un système d'analyse offrant de nombreux avantages par rapport aux modèles traditionnels du langage et de la cognition (modèle structuraliste, modèle de la «transmission de l'information») (Blakledge, 2003). On citera notamment :
• La TCR est une approche parcimonieuse reposant sur un relativement petit nombre de principes et de concepts de base pour rendre compte des phénomènes du langage et de la cognition.
• La TCR est précise, elle permet de mener une étude du langage humain en accord avec les processus qui la composent dont la définition est soigneusement spécifiée.
• La TCR a une large portée, elle propose des explications plausibles et de nouvelles approches empiriques pour un large éventail de comportements humains complexes, à la fois en matière de réflexion théorique et de recherche appliquée (citons la résolution de problèmes, les métaphores, le soi, la spiritualité, les valeurs, le comportement gouverné par des règles, la psychopathologie, etc.)
• La TCR a de la profondeur, c'est-à-dire que ses analyses concordent avec des descriptions bien admises à d'autres niveaux d'analyse. Elle rend par exemple compte de manière plausible de phénomènes culturels comme l'amplification de la connaissance; des recherches récentes en neurologie montrent que les processus cérébraux pouvant être mis en évidence chez des sujets s'engageant dans des réponses relationnelles dérivées correspondent aux prédictions émises par la TCR pour les phénomènes liés au langage; le type d'histoire d'apprentissage postulée par les modèles connectionnistes pour que des cadres relationnels soient établis concorde avec la TCR.
• Les principes de la TCR sont accessibles à l'observation directe, en particulier dans des conditions de laboratoire; ainsi, il n'est jamais nécessaire d'affaiblir la théorie en inférant des structures ou des processus non-observables comme des schémas cognitifs ou des instruments d'acquisition du langage.
• La TCR est solidement étayée par des recherches expérimentales qui en ont sans exception confirmé les principes. Au-delà de plus de 30 publications scientifiques explicitement consacrées à la TCR, la théorie rend compte de façon pertinente des données recueillies dans les centaines d'études effectuées depuis 1971 dans le domaine de l'équivalence des stimuli. La TCR a passé avec succès tous les tests empiriques auxquels elle a été soumise; à l'heure actuelle, chacun des principes qu'elle affirme est étayé par un minimum de données et aucune donnée contredisant la théorie n'a été recueillie.
• La TCR comporte des applications cliniques directes, ce qui ne semble pas être le cas des autres théories du langage et de la cognition humaines. Les applications cliniques de la TCR (en particulier la thérapie d'ACceptation et d'engagemenT mais aussi des méthodes visant à un changement d'attitude ou des procédures mises en oeuvre pour les problèmes de préjugés et de discrimination) ont fait l'objet de près de 30 études expérimentales qui en ont montré l'efficacité et bon nombre d'applications potentielles sont encore en voie de développement.
• La TCR est générative. La théorie conduit rapidement au développement d'approches expérimentales nouvelles dans pratiquement tous les domaines importants du langage et de la cognition humaines, approches qui se sont avérées (jusqu'à présent) fructueuses.
• La TCR est testable. Son affirmation principale (à savoir que le fait de dériver des relations peut être compris comme un comportement opérant obéissant aux lois de l'apprentissage) est accessible à l'expérimentation. Si les cadres relationnels n'ont pas un développement progressif, s'il ne sont pas contrôlés par le contexte, s'il ne répondent pas au formage par le biais de l'entraînement reposant sur la présentation d'exemples multiples et s'ils ne répondent pas aux conséquences, alors la théorie est fausse. De plus, l'affirmation émise par la TCR selon laquelle la notion de cadre relationnel constitue le phénomène fondamental du langage humain peut être soumise à l'expérimentation de manière directe et pragmatique. Si par exemple la TCR ne permet pas de développer des interventions éducatives plus efficaces que celles couramment utilisées, il faudra considérer la théorie comme un échec. (Voir la section sur les résultats expérimentaux).
• La TCR est progressive. La TCR étaie les phénomènes appartenant à la «ceinture de protection» du paradigme comportementaliste tout en restant générative dans le sens décrit ci-dessus (voir Lakatos pour cette façon de concevoir la progressivité). La TCR est une théorie comportementale reposant sur l'ensemble des principes comportementaux de base connus à l'heure actuelle mais elle entraîne le comportementalisme dans une direction fondamentalement nouvelle comportant des implications profondes et stimulantes dans pratiquement tous les domaines en relation avec les comportements humains complexes. Et elle fait sans alourdir les principes de base du paradigme behavioriste de corrections surajoutées.
• La TCR est cohérente. Son fondement philosophique est clairement articulé. Ses présupposés sont clairement énoncés; ses concepts soigneusement définis; et tous ces différents niveaux s'ajustent entre eux sans déhiscence.
2.3.3. L'intelligence verbale
2.3.3. L'intelligence verbaleComme la rapidité du cheval ou la longueur du cou de la girafe, l'intelligence humaine est un produit de l'évolution. Elle a donc été sélectionnée comme un mécanisme de survie permettant la matérialisation de dangers qui ne sont pas immédiatement présents, la mise en oeuvre de stratégies d'anticipation ainsi que l'élaboration d'une organisation sociale basée sur des règles verbalement transmissibles. L'intelligence est un outil de survie, pas un outil de bien-être. En même temps qu'elle confère à l'être humain un pouvoir inconnu de tout autre être vivant, elle l'afflige d'une lucidité lourde à porter : Quels que soient les avantages et les qualités du lieu dans lequel je me trouve, mon intelligence va automatiquement en repérer les inconvénients et me faire miroiter un ailleurs meilleur. Aussi heureux mon présent soit-il, elle va me dresser la liste des pertes auxquelles je peux m'attendre et des catastrophes que je puis encourir. Elle fonctionne ainsi comme une formidable machine à pourrir l'ici et le maintenant.
Notre capacité de représenter virtuellement des réalités futures ou lointaines comme si elles étaient présentes nous protège contre des dangers avec lesquels nous n'avons jamais eu de contact immédiat et nous permet d'échafauder des solutions à des problèmes complexes sans avoir à multiplier les essais et les erreurs. Mais nous ne pouvons pas l'inactiver temporairement comme on débranche son téléphone quand on veut être tranquille. La théorie des cadres relationnels qui propose un compte rendu scientifique du fonctionnement de l'intelligence humaine nous aide à mieux comprendre pourquoi.
Nous avons appris dès notre plus jeune âge à utiliser l'intelligence pour agir sur le monde qui nous entoure. Nous ne sommes pas davantage conscients de son fonctionnement que de la matérialité de l'air que nous respirons et il est probablement encore plus difficile de prendre conscience du fonctionnement de l'intelligence qu'il ne l'est d'être attentif à sa respiration. La voix intérieure qui sans cesse commente nos actes, planifie et prévoit, regrette ou critique, nous est si familière que nous avons tendance à nous confondre avec elle et à croire que ce qu'elle nous dit est la vérité – surtout quand elle nous dit que c'est la vérité !
Agir avec intelligence sur la réalité extérieure apporte des expériences de succès, des satisfactions grisantes. L'enfant reçoit très tôt le message qu'il peut aussi appliquer son intelligence pour modifier son monde interne : Ne pleure pas, ce n'est pas grave. Il ne faut pas avoir peur, il n'y a pas de monstres ici. Du haut de ses trois pommes, il peut avoir l'impression que les adultes réussissent à faire ce qu'ils préconisent puisqu'il ne les voit pas pleurer ou trembler.
Votre intelligence vous dit sans doute qu'il est effectivement possible de se faire une raison, de se convaincre que tout ira bien, et qu'il vaut mieux «penser positif» comme le préconise le «psy» de service dans votre journal du dimanche. Mais que vous dit votre expérience ? La question est complexe. Machine à survivre, sans cesse à l'affût de nouveaux problèmes à résoudre, l'intelligence a naturellement tendance à produire des pensées «négatives». On peut l'utiliser pour penser positif comme on peut utiliser une voiture pour rouler en arrière : On ne dispose alors que d'une seule vitesse fort lente et la position de conduite est peu naturelle. On fera un bout de chemin, mais pour un long voyage, on finira toujours par se retrouver en marche avant car la voiture est construite pour ça. Le psychanalyste René Diatkine a résumé l'aspect tragique de la condition de l'homme en disant : «A partir du moment où il quitte les bras de sa mère pour marcher seul vers le tombeau, la dépression est l'état naturel de l'homme».
L'intelligence fonctionne à merveille lorsqu'il s'agit d'éliminer un inconfort dans le monde situé à l'extérieur de la peau. Quand on cherche à éliminer un inconfort dans le monde intérieur, à se débarrasser d'une douleur, à oublier un souvenir pénible, à se convaincre qu'un événement qu'on redoute ne va pas se produire, elle est souvent utile... pour autant que la douleur ne soit pas trop forte ni trop durable, que le souvenir ne soit pas trop insistant ni l'inquiétude trop tenace. Les situations où l'application de l'intelligence au monde intérieur aboutit au but recherché apparaissent comme des exceptions confirmant la règle valable pour les événements privés (les pensées, les images mentales, les émotions, les sensations physiques) : Moins vous les voulez, plus vous les avez. L'ACT considère que ces caractéristiques de l'évitement d'expérience constituent un mécanisme jouant un rôle central dans de nombreuses psychopathologies.
2.3.4. L'évitement d'expérience
2.3.4. L'évitement d'expérienceLe concept de l'évitement d'expérience Hayes et al. 1996 est pris en compte d'une manière ou d'une autre par les principales écoles de psychothérapie. Lever le refoulement empêchant les représentations mentales menaçantes d'accéder à la conscience représente un des objectifs thérapeutiques principaux de la psychanalyse freudienne. Les thérapeutes rogériens cherchent à promouvoir une attitude d'ouverture devant l'expérience. La thérapie gestaltiste considère que le blocage ou l'interruption d'émotions est au coeur de nombreux problèmes psychologiques, une position à laquelle adhèrent aussi les tenants de la psychothérapie existentielle qui s'intéressent toutefois plus particulièrement à l'évitement de la peur de la mort.
Les thérapies comportementales et cognitives ont abordé le problème différemment en développant des procédures permettant aux patients de mieux réussir à éviter certaines expériences pénibles comme des pensées «négatives» ou des états émotionnels désagréables. Toutefois, des approches récemment développées comme la thérapie comportementale-dialectique ou ACT prennent en compte l'évitement d'expérience comme un aspect central de leur démarche thérapeutique et les thérapies cognitives constructivistes évoluent vers une position où il s'agit moins de contrôler les émotions négatives que de les prendre en compte comme un aspect essentiel de l'expérience vécue.
Ce sont les compétences verbales de l'être humain qui le rendent capable de construire des stratégies pour éviter des événements privés comme des pensées, des images ou des sensations physiques en même temps qu'elles créent les situations où de telles stratégies apparaissent comme nécessaires puisque des stimuli internes peuvent se voir conférer par conditionnellement relationnel les fonctions de dangerosité de réalités extérieures menaçantes.
Prenons l'exemple d'un rat entraîné à presser un levier A s'il a récemment reçu un choc électrique et un levier B s'il n'a pas été récemment choqué. Presser le levier A revient pour lui à «dire» qu'il a été choqué. Cela ne lui pose aucun problème: le choc était certes aversif mais le fait de le «rapporter» ne l'est pas puisqu'il n'a pas pour conséquence l'expérience d'un nouveau choc, mais l'obtention d'un granule de nourriture. Un être humain pourra par contre éprouver de grandes difficultés à parler d'un événement traumatisant, puisque, comme en rend compte la TCR, quand il interagit symboliquement avec un événement, les fonctions du référent sont psychologiquement présentes dans le symbole et vice-versa et peuvent de surcroît, dans certaines conditions, s'étendre à d'autres symboles via un réseau de termes en relation les uns avec les autres. En raison de ce phénomène de transformation bidirectionnelle des fonctions d'un stimulus, la souffrance éprouvée au moment du traumatisme est revécue par le sujet quand il en parle ou quand il y pense.
Le terme «émotion» désigne un processus complexe dans lequel des sensations physiques sont associées à des cognitions sous forme de pensées verbales et/ou de représentations imagées, la composante cognitive comportant régulièrement une dimension d'évaluation : La joie, la détente et l'amour sont «bonnes» tandis que l'angoisse, la colère et la tristesse sont «mauvaises». Pour un être humain, l'angoisse n'est pas simplement un état caractérisé par la présence simultanée de certaines sensation physiques et de certaines tendances à l'action, mais une catégorie verbale évaluative et descriptive intégrant un large éventail d'expériences comme des souvenirs, des pensées, des évaluations et des comparaisons sociales. La bidirectionalité des processus fondant le langage crée l'illusion que le caractère «mauvais» que nous attribuons à l'anxiété constitue une qualité inhérente à l'émotion elle-même. Nous disons «c'est une mauvaise émotion» et non «c'est une émotion et je l'évalue comme mauvaise».
Les processus fondant le langage et la cognition humaines sont le résultat d'un processus de sélection favorisant les caractéristiques propres à favoriser la survie. Ils sont donc axés sur la reconnaissance et l'élimination des dangers. Une fois qu'un événement privé est évalué comme «mauvais» ou «dangereux», il va donc tout naturellement devenir la cible des processus cognitifs tant de fois renforcés par les innombrables succès qu'il nous assurent dans la maîtrise de l'environnement matériel, ce d'autant plus que notre éducation et notre culture nous ont appris qu'il devait être possible de les appliquer à notre monde intérieur. Combien de fois nous a-t-on dit – parfois avec beaucoup de tendresse et avec les meilleures intentions du monde – de ne pas pleurer ou de ne pas avoir peur ? La plupart d'entre nous n'avons vu que très exceptionnellement, quand nous étions petits, ces géants qui nous donnaient l'exemple fondre en larmes ou trembler de peur. Contrôler les manifestations émotionnelles et contrôler l'expérience de l'émotion sont pourtant deux choses bien différentes. L'enfant qui réussit à s'empêcher de pleurer ne devient pas heureux mais simplement silencieux. Le fait que notre culture accepte l'idée que les pensées et les émotions sont la cause de comportements favorise aussi les efforts pour éviter celles qui sont négatives puisqu'elles risqueraient de conduire à de «mauvaises» actions.
Les conséquences à court terme d'un comportement ont un impact bien plus grand sur sa fréquence que les conséquences éloignées. Quand bien même elles s'avèrent souvent destructrices ou à tout le moins contre-productives à long terme, les manoeuvres d'évitement d'expérience apportent généralement un soulagement à court terme. De nombreux facteurs contribuent ainsi à l'installation et au maintien de l'évitement d'expérience qui peut être considéré comme un comportement appris, généralisé, entretenu par renforcement négatif.
Il existe de nombreuses situations où l'évitement d'expérience est utile : S'absorber dans un travail pour chasser l'inquiétude que nous cause l'attente d'un être cher voyageant sur une route dangereuse, se distraire de la douleur d'une intervention dentaire en pensant aux prochaines vacances, etc. J'aime bien illustrer l'aspect potentiellement problématique de l'évitement d'expérience par un petit exercice : J'allume une allumette et je demande au patient de l'éteindre avec une méthode simple, rapide et intelligente. Je n'ai encore rencontré personne qui ait utilisé un autre moyen que de souffler dessus. Je propose ensuite d'imaginer une situation de début d'incendie de ma bibliothèque, avec des flammes de 50 cm de haut et j'encourage le patient a essayer de les éteindre en utilisant la même méthode simple, rapide et intelligente. Il est facile de se rendre compte qu'on ne va ainsi qu'attiser le feu.
La capacité de l'être humain à éviter délibérément certains stimuli repose sur son aptitude à formuler et à suivre une règle verbale. Cela devient problématique lorsque ce sont des pensées que l'on cherche à éviter puisque la règle qu'il faut construire pour y parvenir contient l'objet qu'on veut fuir. Les travaux expérimentaux sur la suppression de pensées confirment que les contenus psychiques que le sujet cherche à éviter ont tendance à devenir envahissants et nous pouvons facilement aider le patient à en faire l'expérience. Nous lui demandons d'imaginer un aliment qu'il apprécie particulièrement comme un gâteau au chocolat en en détaillant quelques aspects visuels et gustatifs, puis nous lui proposons de s'efforcer pendant deux minutes de ne pas y penser.
Bien des aspects de l'expérience que l'on cherche à éviter ne répondent que peu ou pas du tout au contrôle verbal. Les réactions anxieuses sont ainsi largement l'effet de conditionnements répondants, elles sont médiatisées par le système nerveux neuro-végétatif que l'on appelle aussi «autonome», précisément parce qu'il n'est pas soumis au contrôle volontaire. Quand l'anxiété devient la «chose» à éviter à tout prix, le moindre signe d'angoisse devient menaçant et mobilise des stratégies de contrôle. Dès qu'elles sont perçues comme inefficaces – dès que les «flammes» sont trop grandes pour pouvoir être «éteintes» – un mécanisme de cercle vicieux est amorcé. Les attaques de panique obéissent vraisemblablement à une logique de ce type.
En fonction de notre histoire, nous sommes tous dépositaires d'un registre plus ou moins étendu de processus de conditionnement aversif qui vont avoir pour conséquence que certaines situations de réalité mais aussi certaines pensées, certaines images, certaines sensations physiques vont mobiliser une tendance à l'évitement d'expérience. L'ubiquité et le caractère envahissant des processus relationnels expliquent comment les efforts d'évitement doivent sans cesse être renouvelés. Je pense à ces bougies truquées qu'on met parfois sur les gâteaux d'anniversaire. Elles s'éteignent quand on souffle dessus mais se rallument peu après, conduisant la victime de la plaisanterie à s'époumonner en vain. L'évitement d'expérience peut ainsi devenir une occupation de plus en plus contraignante et envahissante, au détriment d'activités qui iraient dans le sens des valeurs qui nous sont chères. La souffrance «positive» liée aux émotions et aux pensées désagréables est ainsi diminuée au prix de la souffrance «négative» liée à l'appauvrissement d'une existence privée de toutes les activités auxquelles il faut renoncer en attendant d'en avoir fini avec ce travail de Sisyphe. Certains changements que nous devons mettre en oeuvre dans notre vie pour qu'elle ressemble davantage à ce que nous voulons en faire vont inévitablement s'accompagner d'événements privés inconfortables. Là aussi, l'évitement d'expérience a des conséquences délétères. Enfin, certaines formes d'évitement d'expérience sont en elles-mêmes destructrices : L'abus d'alcool et d'autres toxiques offre un exemple et les troubles du comportement que l'on considère parfois comme «addictifs» comme les troubles alimentaires, le jeu pathologique ou le «workaholism» peuvent entrer dans ce cadre.
2.4. Le comportement gouverné par des règles
2.4. Le comportement gouverné par des règlesSkinner avait défini le concept de règle comme équivalent à un stimulus spécifiant la nature des contingences. Toutefois, son analyse n'était pas complète en ce sens qu'elle n'incluait pas les processus nécessaires chez l'auditeur pour que la règle puisse être comprise.
Les processus de cadrage relationnel étudiés par la TCR décrivent comment des mots et des phrases acquièrent une signification pour celui qui les entend (Hayes & Hayes, 1989), préalable indispensable pour qu'une règle au sens où l'entendait Skinner d'un stimulus spécifiant la nature des contingences puisse avoir une influence sur le comportement.
Nous distinguons avec des néologismes trois modalités fonctionnelles selon lesquelles une règle peut exercer son influence (Zettle & Hayes, 1982): La pliance («ply»), le pistage («tracking») et l'augmentage («augmental»).
La première et la plus simple des façons dont nous apprenons à suivre une règle correspond au concept d'obéissance : nous sommes récompensés pour avoir suivi la règle et punis pour l'avoir transgressée. Je mets mon bonnet pour que maman soit contente, ou pour éviter qu'elle soit fâchée. Ce type de règle est donc suivi en raison de renforcements d'ordre social. En fonction des conditions émotionnelles de renforcement et de punition avec lesquelles elles ont été assorties, certaines des règles qui nous ont été fixées pour être une bonne fille ou un bon garçon vont s'avérer extrêmement résistantes à toute modification et la moindre velléité de nous comporter autrement que ce qu'elles nous prescrivent pourra mobiliser une réaction émotionnelle intensément aversive à laquelle nous n'échapperons qu'en nous montrant, une fois encore, obéissants, «compliants», d'où le terme de «pliance». Il est important de noter que les comportements de rébellion ou de résistance pour lesquels nous utilisons le terme de «contrepliance» ne diffèrent pas fondamentalement de la pliance en ce sens que, quand on prend systématiquement le contre-pied d'une règle établie, ce sont une fois encore les conséquences d'ordre social et non les contingences naturelles qui déterminent le comportement. Il y a donc une grande similitude fonctionnelle entre les actions d'obéissance et les actions de révolte.
Nous apprenons ensuite à suivre une règle par l'expérience de récompenses et de punitions qui ne sont plus dispensées par des personnes, mais simplement par le résultat de notre comportement. Si la règle représente un «mode d'emploi» correct du monde qui m'entoure, les conséquences d'un comportement conforme à la règle seront renforçantes. Je mettrai maintenant mon bonnet quand il fait froid parce que j'ai fait à maintes reprises l'expérience qu'il m'apportait un confort accru. Une telle règle me signale quel est le chemin à suivre pour arriver au but qui est le mien, d'où le terme que nous avons choisi pour traduire le concept de «tracking». Toute pliance nécessite qu'un membre de la communauté verbale fasse une discrimination à propos de la source du comportement qu'il observe. Dans ce sens, la contingence impliquée dans la pliance est toujours arbitraire. Par contraste, le pistage met celui qui suit une règle en contact avec les contingences naturelles qui vont déterminer si le comportement sera maintenu. Signalons en passant que la distinction «naturel/arbitraire» n'est pas la même que la distinction «non-social/social». Une règle disant à quelqu'un comment se comporter pour être aimé par les autres pourrait par exemple constituer une instance de pistage. La distinction entre pliance et pistage est fonctionnelle et non formelle. Une règle peut être présentée sous toutes les apparences d'une piste et induire néanmoins une pliance. L'adolescent auquel son père dira de manière parfaitement pertinente : «Tu n'auras que des ennuis si tu continues à fréquenter ce genre d'amis» va probablement lui rétorquer qu'il devrait cesser d'essayer de le contrôler. (Hayes et al. 1999, p. 36)
La façon probablement la plus élaborée dont nous pouvons suivre une règle correspond à la notion d'augmentage. Un augmenteur est une règle qui va modifier la manière dont un événement fonctionnera en tant que conséquence d'un comportement. La publicité fait un usage étendu de cette forme de règles. Si nous entendons, un jour d'été, la voix sortant du poste de radio nous suggérer qu'un bon coca bien glacé serait vraiment la manière la plus cool de nous passer la soif, il y a des chances pour que la fonction renforçante de cette boisson soit au moins momentanément accrue pour bon nombre d'entre nous. Les processus d'augmentage sont en relation avec la notion de valeur et nous les utilisons dans le travail thérapeutique pour construire la motivation nécessaire au changement.
Si elle ouvre d'innombrables possibilités à l'humain, l'aptitude à voir son comportement influencé par des règles a un prix : le comportement gouverné par des règles est en effet remarquablement résistant à des changements dans les contingences naturelles. Dans une expérience (Hayes et al., 1986) où un groupe de sujets avaient appris à résoudre un problème par l'expérience d'essais et d'erreurs et l'autre par une règle apprise, seule la moitié de ce du second groupe ont pu le résoudre quand les données en avaient été modifiées à leur insu tandis que l'ensemble des sujets du premier groupe y parvenaient.
2.4.1 Problématique des techniques d'affirmation de soi
2.4.1 Problématique des techniques d'affirmation de soiL'entraînement aux techniques d'affirmation de soi est sans doute très utile mais nous observons souvent que les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Je me souviens du précieux enseignement de Frédéric Fanget précisant qu'une situation où on serait menacé par des voleurs exigeant sous la menace d'un couteau qu'on leur remette son portefeuille n'était peut-être pas le moment le mieux choisi pour mettre en oeuvre la technique «JEEPP». Si elle constitue certainement une règle supplémentaire nuançant et précisant celles transmises par la technique, une telle remarque ne rémédiera probablement que très partiellement aux problèmes inhérents à une telle approche tels qu'ils ont été détaillés par Hayes et coll. dans un chapitre dont je traduis ci-dessous un extrait significatif :
Les approches comportementales de l'entraînement aux compétences sociales ont traditionnellement été sous-tendues par les hypothèses suivantes :
1. Le client est vu comme souffrant d'un déficit (ou d'un excès) dans un domaine particulier de compétences.
2. Le thérapeute est en mesure d'identifier et de décrire les compétences sociales que le client doit acquérir ou modifier.
3. Le thérapeute a la possibilité de faire acquérir les compétences en question au client grâce à des instructions verbales, des jeux de rôle et des processus de modelage.
4. Le thérapeute est en mesure de perfectionner les compétences en question en donnant au client un feedback quant à la manière dont ses performances se rapprochent de l'idéal qui lui a été enseigné.
Même si cette approche traditionnelle a parfois donné de bons résultats, elle reste problématique pour les raisons suivantes :
2.1.1 Opérationalisation du comportement cible
L'approche traditionnelle repose sur l'idée qu'il est possible d'opérationaliser le comportement particulier qu'on cherche à établir. Il demeure pourtant très difficile de décrire les composantes spécifiques d'une «compétence sociale». Puisque ce n'est que quand un comportement cible peut être opérationalisé que le thérapeute est en mesure de l'établir par formage d'approximations successives du comportement désiré, des centaines d'études ont été effectuées ces 20 dernières années pour identifier les composantes des compétences sociales; elles n'ont à ce jour permis d'identifier qu'une poignée de composantes qui ne rendent compte que d'une petite part de la variation des performances sociales.
Le problème semble résider dans le fait que les comportements sociaux sont extrêmement complexes et difficiles à classifier. Les compétences sociales peuvent inclure des classes entières de comportements ayant des similitudes fonctionnelles mais peu de points communs au plan structural et topographique. En plus de la forme des comportements concernés, des questions complexes de timing, de contrôle situationnel etc. rendent particulièrement difficile la tâche d'établir une liste des composantes des compétences sociales.
Compte tenu de notre hypothèse qu'une réponse n'a pas de sens en-dehors de son contexte, une spécification des comportements-cible est impossible sans référence au contexte. Si nous ignorons le contexte, nous ne pouvons plus que nous reposer sur des descriptions topographiques du comportement, c'est-à-dire sur la structure plutôt que sur la fonction du comportement. Une telle approche représente une distorsion complète de la perspective behavioriste. Le sourire produit par une personne à qui on a dit «Souriez et je vous donnerai un euro» n'est pas le même comportement que celui produit par un sujet découvrant dans son courrier la lettre d'un vieil ami.
Quand on s'intéresse à des difficultés sociales faciles à discriminer comme des comportements auto- et hétéroagressifs ou un manque d'hygiène, les définitions structurales peuvent s'avérer adéquates car on peut partir de l'a priori d'un contexte social consistant : Un manque d'hygiène aura les mêmes conséquences dans un vaste éventail de situations sociales et on pourra dans un tel cas s'en tenir à la mesure des topographies du comportement sans risquer de tomber dans la confusion.
D'autres actions vont par contre avoir des formes et des effets extrêmement variables selon le contexte dans lequel elles se produiront. Lorsqu'on essaie par exemple de répondre à des questions comme : «Comment est-ce que je peux arriver à être proche de quelqu'un ?» ou «Pourquoi est-ce que j'attire toujours des partenaires qui vont ensuite m'abandonner ?», la difficulté inhérente à la perspective topographique et structurale devient évidente. La littérature relative aux compétences sociales a traditionnellement cherché à opérationaliser de manière topographique les comportements-cible; une telle approche demeure ainsi problématique si l'on veut rester fidèle à un modèle privilégiant l'aspect fonctionnel.
Si l'on s'attelle à la mesure du contexte, les problèmes inhérents à l'approche classique deviennent évidents. Même s'il était possible d'identifier chaque composante des compétences sociales et de metre chacune d'entre elles en relation avec tous les contextes imaginables, il en résulterait une liste de plusieurs milliers de règles qui serait virtuellement impossible à enseigner. Il faudrait des générations pour la développer, et, comme beaucoup de comportements sociaux sont affaire de conventions qui changent avec le temps, cette liste devrait être constamment remise à jour.
2.1.2 Généralisation
Le problème de la généralisation représente une autre question que la littérature traditionnelle à propos des compétences sociales n'est jamais parvenue à résoudre de manière satisfaisante. On observe en effet certes des changements comportementaux dans le contexte dans lequel l'entraînement a été dispensé, mais il reste le plus souvent très difficile d'obtenir qu'ils se généralisent à d'autres contextes.
2.1.3 Entraînement reposant sur des règles
La littérature de base sur le comportement gouverné par des règles nous apprend que, lorsqu'on s'efforce d'enseigner un comportement précis, il risque de devenir insensible aux nombreuses autres contingences pertinentes à tout moment. Même s'il était possible d'identifier un ensemble particulier de comportements dont l'acquisition serait bénéfique pour un individu, le fait de l'établir par le biais d'instructions verbales est susceptible de le rendre insensible aux particularités d'une situation différant de la situation d'entraînement. En d'autres mots, le comportement restera sous le contrôle des instructions du thérapeute et non sous celui de la situation sociale dans laquelle le sujet évoluera le moment venu.
2.5. Les thérapies de la troisième vague
2.5. Les thérapies de la troisième vagueLes thérapies comportementales de la troisième vague
La MBCT (en bon français thérapie cognitive basée sur la pleine conscience) et la thérapie comportementale dialectique (dialectical behavior therapy ou DBT) sont les représentantes les plus connues dans les pays francophones des thérapies de la troisième vague dans lesquelles l'ACT s'inscrit. D'autres thérapies appartiennent à cette mouvance comme la FAP (Functional Analytic Psychotherapy, que nous avons choisi traduire par psychothérapie basée sur l'analyse fonctionnelle) et la thérapie intégrative de couple (ICBT).
Après une première vague correspondant aux premières applications cliniques du behaviorisme et une deuxième vague née dans les années 1960 avec l'avènement de la psychologie cognitiviste, on a vu émerger dans les deux dernières décennies du vingtième siècle une troisième vague qui a été définie comme suit :
La troisième vague des thérapies comportementales et cognitives repose sur une approche centrée sur des principes empiriques; elle accorde une attention particulière au contexte des phénomènes psychologiques et s'intéresse davantage à leur fonction qu'à leur forme, ce qui a conduit au développement de stratégies de changement contextuelles et expérientielles venues s'ajouter à des techniques plus directement didactiques. Les approches thérapeutiques en question tendent à la construction de répertoires comportementaux d'une extension, d'une flexibilité et d'une efficacité accrues plutot qu'à l'élimination de problème définis de manière étroite et elles soulignent que les questions sur lesquelles elles se penchent concernent autant les cliniciens que leurs clients. La troisème vague reformule et synthétise les acquis des générations précédentes de thérapie comportementale et cognitive et les applique à des domaines et à des questions qui ont dans un premier temps été traitées par d'autres orientations thérapeutiques, ce dans l'espoir de mieux les comprendre et de les traiter avec une efficacité accrue.
(Hayes, 2004)
Il est intéressant de constater que les thérapies s'inscrivant plutôt dans une perspective cognitiviste comme la MBCT et les thérapies se réclamant du behaviorisme radical comme la DBT, la FAP ou l'ACT privilégient de la même manière des interventions portant sur le contexte plutôt que sur le contenu des phénomènes psychologiques problématiques.
Dans une sorte de synthèse dialectique entre une ancienne thèse et son antithèse, les thérapies de la troisième vague semblent en voie de guérir les plaies du passé et d'aplanir les anciens différends entre les perspectives comportementales et cognitive (...) Les interventions de la troisième vague ne représentent pas un rejet des premières et deuxième vagues de la thérapie comportementale et cognitive mais plutôt une transformation des phases précédentes aboutissant à une approche nouvelle, plus large et plus interconnectée. Ainsi, si les implications de ce mouvement peuvent être révolutionnaires, le processus qui le sous-tend est évolutif – comme on pouvait s'y attendre dans une domaine se réclamant explicitement de l'empirisme. (Hayes, 2004)
2.5.1. La première vague
2.5.1. La première vagueLa première vague des thérapies du comportement a vu le jour en partie comme une réaction contre les théories et la méthodologie qui dominaient le champ de la psychothérapie dans la première moitié du vingtième siècle. Même s'il existait différentes orientations au sein du mouvement behavioriste, l'importance attachée au respect du paradigme scientifique fonctionnait comme un ciment unificateur. Les premiers thérapeutes du comportement pensaient qu'une élaboration théorique n'avait de valeur que si elle reposait sur des principes scientifiques bien établis et que les techniques thérapeutiques mises en oeuvre devaient être clairement définies et rigoureusement évaluées.
La thérapie du comportement a pris directement pour cible les comportements et les émotions problématiques en s'appuyant dans son approche sur les principes du conditionnement classique et ceux du néo-behaviorisme. Le but n'était plus de résoudre le conflit entre les désirs et les craintes hypothétiques du petit Hans ou de ses semblables, le but était de le faire sortir de la maison et retourner à l'école (...) Le fait de se concentrer sur des changements concrets a toutefois aussi entraîné un certain rétrécissment du champ de vision des behavioristes. Les concepts psychanalytiques et humanistes qu'ils avaient rejeté étaient d'une grande richesse au plan clinique. Ils concernaient généralement des questions fondamentales inhérentes à la condition humaine comme le sens de la vie ou les raisons pour lesquelles il est si difficile pour un être humain d'être heureux.
(Hayes, 2004)
Le mouvement behavioriste s'est ainsi progressivement trouvé dans une impasse. Quand bien même Skinner avait rejeté les limitations du behaviorisme méthodologique et affirmé que des événements privés comme les pensées ou les sensations pouvaient légitimement faire l'objet d'une analyse scientifique, sa tentative de fournir un compte-rendu expérimentalement fondé du langage et de la cognition humaines (1957) a été un échec.
2.5.2 La deuxième vague
2.5.2 La deuxième vagueL'adoption par les psychologues cognitivistes d'un modèle théorique plus souple faisant appel à des structures internes hypothétiques a permis la transition de la première à la deuxième vague des thérapies comportementales. Pour Franks et Wilson (1974, p. 7) "on peut étudier des processus ou des événements inférés et rester fidèle aux principes du behaviorisme pour autant que ces événements ou ces processus comportent des référents mesurables et opérationnels.”
Comme certaines types d'erreurs cognitives paraissaient caractériser certains groupes de patients, des recherches ont été développées pour identifier directement les erreurs en question ainsi que les méthodes nécessaires pour les corriger. Certains thèmes principaux de la première vague des thérapies du comportement ont été conservés dans la deuxième, en particulier l'accent mis sur des changements dans le contenu ou ce qui a parfois été appelé des "changements de premier ordre". De la même manière que les praticiens de la première vague s'efforçaient de remplacer l'anxiété par un état de relaxation, les thérapeutes de la deuxième vague ont cherché à affaiblir ou à éliminer les pensées irrationnelles, les schémas cognitifs pathologiques ou les styles de traitement de l'information erronés en insistant sur leur détection, leur correction, leur mise à l'épreuve et leur réfutation (...) Quand bien même l'accent était désormais mis sur les concepts cognitifs au détriment des principes comportementaux, rien ne semblait empêcher l'utilisation de méthodes empiriquement validées destinées à obtenir des changements de premier ordre touchant les comportements ouverts, les émotions, et les cognitions en fonctions des préférences du praticien et de la situation particulière à laquelle il se trouvait confronté. Dans ce sens, la deuxième vague a dans une large mesure assimilé la première. (Hayes, 2004 p.642-643)
La psychothérapie basée sur l'analyse fonctionnelle
La psychothérapie basée sur l'analyse fonctionnelleLa psychothérapie basée sur l'analyse fonctionnelle (PBAF) a été développée par Robert Kohlenberg et Mavis Tsai. Elle repose sur une conception behavioriste radicale du rôle joué par la relation entre thérapeute et patient dans le processus thérapeutique.
Les auteurs distinguent différents types de «comportements cliniquement significatifs» (CCS) pouvant (entre autres) correspondre à la mise en action, dans le champ de la thérapie, des problèmes qui sont habituellement ceux du patient dans toute relation (CCS1) ou au contraire représenter un progrès (CCS2). Le travail du thérapeute consiste notamment à identifier les CCS2 et à leur apporter un renforcement naturel (par opposition au renforcement «artificiel» que peuvent représenter des renforçateurs comme les récompenses matérielles mais aussi les éloges et félicitations), la relation thérapeutique fonctionnant ainsi en quelque sorte comme une «pépinière» dans laquelle des compétences qui permettront au patient de se conduire de manière plus constructive dans des situations de rapprochement et d'intimité vont pouvoir s'exercer et se développer d'une manière favorisant la généralisation ultérieure aux situations de sa vie privée.
Il n'existe malheureusement pas de littérature consacrée à la PBAF en français. Un de mes rêves est de traduire un jour l'excellent livre de Kohlenberg et Tsai. Pour le moment, je n'ai achevé que l'introduction et le premier chapitre. Les membres de l'ACBS peuvent le télécharger à partir du lien s'affichant ci-dessous quand on s'enregistre sur le site.
La thérapie intégrative comportementale de couple
La thérapie intégrative comportementale de coupleAndrew Christensen et Neil Jacobson ont développé la thérapie intégrative comportementale de couple en associant à la thérapie comportementale de couple orientée sur le changement des interventions destinées à améliorer l'acceptation émotionnelle. Dans le chapitre qu'ils ont écrit en collaboration avec K. Koerner dans le recueil «Acceptance and change: Content and context in psychotherapy», l'analyse des aspects problématiques de la relation de couple motivant la mise en oeuvre de stratégies d'acceptation est décrite comme suit :
Au cours de l'évolution d'une relation amoureuse, les partenaires découvrent inévitablement que leurs désirs et leurs besoins ne sont pas (en tout cas pas toujours) les mêmes. Ces différences peuvent concerner la capacité de chacun à donner et à recevoir un soutien émotionnel, la priorité relative donnée au travail, à la famille et à des buts personnels, la préférence donnée à la spontanéité ou au calcul dans la manière de passer le temps libre ou de dépenser l'argent, le style de prise de décision ou d'exercice de la fonction parentale, etc. Ils parviendront facilement à élaborer des compromis dans certains domaines mais d'autres pourront entraîner des conflits intenses et douloureux. Tous les couples trouvent des moyens de résoudre les conflits mais les couples consultant un thérapeute le font souvent parce qu'ils ont développé l'habitude de réagir à leurs différences sur un mode coercitif. L'un ou l'autre partenaire (ou les deux) essaie de résoudre le conflit en tentant de faire changer l'autre, d'obtenir de lui ce qu'il veut, ce dont il a besoin, en recourant à des moyens de plus en plus aversifs (bouderie, plaintes, pleurs, attitude d'ignorance, paroles culpabilisantes ou humiliantes, menaces de rupture, etc.) Dans la mesure où il résiste avant de céder, le partenaire mis sous pression augmente la probabilité que l'autre va devoir «augmenter le volume» pour obtenir le changement qu'il désire. En cédant par intermittences, il va sans le vouloir renforcer les techniques mises en oeuvre. Les deux partenaires adoptent habituellement à tour de rôle la position active et la position passive dans les interactions coercitives qui conduisent au développement d'un cercle vicieux de plus en plus aversif et douloureux pour chacun.
Les auteurs comprennent comme suit le fait qu'un tiers environ des couples traités en thérapie comportementale de couple «classique» n'en tirent pas de bénéfice :
L'explication la plus pragmatique de ces échecs est que les partenaires sont incapables de mettre en oeuvre les changements qui leur sont demandés.Quand ils en arrivent à consulter un thérapeute, ils sont enfermés dans des positions antagonistes, avec une attitude d'incrédulité ou de cynisme à propos de la capacité de l'autre à changer, aucun ne voulant prendre le risque d'un changement tant que l'autre ne fait pas le premier pas. Même les interventions les plus simples de l'approche traditionnelle exigent que le couple collabore. Vouloir étayer la thérapie sur la collaboration est une recette garantissant l'échec quand les positions dans le couple sont polarisées de manière rigide. De plus, l'apprentissage de nouvelles compétences n'aide pas le couple à éviter ou à désamorcer les disputes. (...) En même temps, les efforts du thérapeute en vue d'aider le couple à utiliser le renforcement positif pour favoriser le changement sont mis en échec parce que les habitudes qui se sont naturellement développées dans le cours de la relation ont affadi et affaibli les renforçateurs qui augmentaient dans le passé l'intimité et le plaisir. Les auteurs soulignent encore le caractère envahissant d'une problématique qui ne se laisse que difficilement ramener à des déficits spécifiques susceptibles d'être palliés par l'apprentissage de compétences précises : La résolution de problèmes appliquée ponctuellement à chaque manifestation est inefficace en raison du grand nombre de comportements différents servant la même fonction. Ils mentionnent aussi le fait que le thérapeute, mis en situation d'échec, va être tenté d'appuyer sa démarche sur des attitudes directives et des renforcements artificiels qui vont s'avérer contre-productifs lorsqu'on souhaite augmenter l'intimité. Ils concluent en disant que la dernière et la plus importante des raisons pour lesquelles les approches traditionnelles orientées sur le changement, utilisées seules, risquent de rester inefficaces, réside dans le fait que les différences qui entretiennent le conflit ne sont peut-être simplement pas accessibles à un changement. Ces limites sont en parties dues au choix du partenaire. Les facteurs qui conduisent au choix du partenaire ne sont pas forcément celles qui favorisent la longévité de la relation, et les différences qui ont au départ attiré les partenaires l'un vers l'autre ne vieillissent pas toujours bien. Les différences peuvent aussi s'exacerber en réaction à des changements à l'intérieur ou à l'extérieur de la relation. Il devient beaucoup moins facile de poursuivre ses propres intérêts après la naissance du premier enfant; manquer de confiance en ses propres capacités ne devient un problème que lorsque le partenaire a connu une promotion sociale; un conflit entre économiser et dépenser devient manifeste au moment où les revenus diminuent avec l'entrée en retraite.
Les auteurs proposent donc d'intégrer dans le travail thérapeutique des interventions d'acceptation émotionnelle (AE).
Le terme «acceptation émotionnelle» désigne un changement dans le contexte interpersonnel influençant la réponse émotionnelle du partenaire qui se plaint. Ce changement survient en plus – et parfois en lieu et place – d'un changement du comportement problématique de l'autre. Le thérapeute structure l'interaction du couple durant la thérapie de telle manière que chacun des partenaires cesse de lutter pour changer l'autre et en vienne à appréhender le comportement jusque-là aversif de l'autre d'une manière nouvelle permettant d'amorcer, à propos des problèmes et des différences, un dialogue favorisant l'intimité (...) Le principe directeur du travail d'acceptation émotionnelle est d'identifer dans les modalités d'interaction du couple, dans le contenu des désaccords, les contingences associées avec la souffrance, l'accusation et les reproches. Ensuite, plutôt que d'essayer d'enseigner de nouveaux comportements qui n'ont que peu de chances de s'établir dans des circonstances peu favorables (un exemple serait de vouloir enseigner des compétences de communication au milieu d'une dispute) les interventions d'AE visent à modifier les aspects marquants de la situation de manière à tirer le meilleur parti des capacités des partenaires à répondre à la souffrance de l'autre avec compassion. Les interventions d'AE créent un contexte qui va naturellement exploiter le répertoire positif existant chez chacun des partenaires pour augmenter l'intimité et diminuer la détresse (...) Les interventions d'AE s'appuient sur les réponses émotionnelles normales. Une intervention d'AE, la réunion empathique autour du problème, augmente l'acceptation émotionnelle parce qu'elle amplifie la tristesse et la déception qui encouragent une approche empathique et qu'elles entrent en compétition et interfèrent avec les reproches, la colère et le repli défensif. La plupart des gens ont une longue histoire de comportements d'approche, de réconfort, de commisération et de consolation devant la détresse d'une personne aimée. Ainsi, dans le contexte d'une dispute, des commentaires du thérapeute soulignant ou modifiant certains aspects de la situation en rendant plus manifestes les émotions susceptibles de modifier l'empathie augmentent la probabilité que ces aspects vont exercer un contrôle sur le comportement. Ils vont aussi conduire rapidement à la modification de la manière qu'a la personne d'appréhender et de répondre à ce qui la dérangeait puisque la signification s'en trouve radicalement modifiée, d'où un effet allant bien au-delà du vécu dans la séance de thérapie. Quand le thérapeute réussit à favoriser l'acceptation émotionnelle, il en résulte une réorganisation des comportements en faveur d'un répertoire potentiellement disponible qui va bloquer les comportements problématiques ou interférer avec eux.
2.6. Terminologie
2.6. TerminologieLe behaviorisme radical attache une grande importance à la définition opérationnelle des termes qu'il utilise. La TCR a pour ambition d'étendre au domaine du langage et de la cognition humaines le registre des termes ainsi définis d'une manière correspondant à une épistémologie scientifique rigoureuse.
La thérapie ACT a été développée à partir des principes mis en lumière par la TCR. Nous utilisons cependant aussi dans notre discours un certain nombre de concepts dont la définition opérationnelle n'est pas satisfaisante ou complète. Steve Hayes a parlé de «jargon de niveau moyen» pour décrire ce genre de termes, à propos desquels il a écrit le 23.9.06 sur le forum international ACT : Nous avons besoin de termes cliniques de niveau moyen comme défusion, valeurs, pistage etc. pour passer des opérants relationnels au monde des comportements humains complexes et des contextes sociaux dans lesquels ils prennent place.
Dans la première partie qui traite des bases théoriques, il n'est pas question des valeurs; par contre, les différents aspects de la notion de comportement gouverné par des règles (CGR) y sont exposés dans le détail. Dans l'introduction à la seconde partie du manuel ACT de 1999 (consacrée aux applications cliniques), on peut lire l'avertissement suivant : Le ton des six chapitres qui vont suivre est passablement différent des précédents. Le discours scientifique repose sur des descriptions précises et techniques. Il dépend de la signification littérale et de la cohérence du discours à ce niveau. Le discours thérapeutique est purement pragmatique; dès lors, toute façon de parler qui va permettre de mener avec succès le travail à faire sera pragmatiquement "vraie" même si elle peut être scientifiquement "fausse" ou s'il peut y avoir incompatibilité entre une période de temps et une autre.
Le lecteur voudra bien garder ces remarques à l'esprit en furetant dans notre glossaire, qui est par ailleurs à considérer comme en construction.