Ce n'est généralement qu'au bout d'une démarche longue et pénible que le patient décide de consulter un psychothérapeute, après avoir fait tout son possible pour tenter de régler lui-même les problèmes avec lesquels il se débat. La question de savoir ce qu'il attend de la thérapie représente souvent une bonne porte d'entrée dans l'analyse fonctionnelle. Il pourra mentionner des résultats qu'il souhaite obtenir comme de réussir à étudier, à voyager ou à établir une relation amoureuse mais insistera le plus souvent sur ce qui lui apparaît comme la condition indispensable à toute réussite existentielle : réussir à «gérer» son anxiété, à garder son calme, augmenter son «estime de soi», se débarrasser de ses sentiments d'infériorité et de ses doutes, en résumé : réussir à se sentir bien.
Nous nous intéressons alors à tout ce qu'il a fait jusqu'à présent pour essayer d'arriver lui-même à ce résultat. Nous passons en revue les diverses stratégies mises en oeuvre et regardons quelles en ont été l'efficacité et le coût. Ce travail permet habituellement de dégager les caractéristiques communes aux différents avatars de l'évitement d'expérience : On ne parvient que rarement, de façon incomplète et pour peu de temps à l'expérience de sérénité recherchée, il faut sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier et les coûts sont élevés en termes d'efforts galvaudés et de renoncements. A ce stade, le patient avance souvent l'idée que s'il n'a pas réussi, c'est parce qu'il n'est pas assez intelligent, trop «névrosé», paresseux etc. Nous reconnaissons la remarque comme logique et nous gardons de la mettre en question autrement qu'en rendant attentif le patient entre la discordance qu'il peut y avoir entre ce que lui dit son intelligence et ce que lui dit son expérience. Parler de «l'intelligence» comme d'une entité distincte introduit une des conventions de langage par lesquelles nous cherchons à atténuer la dominance des processus verbaux, à aider le patient à voir ses pensées pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles disent qu'elles sont.
L'exercice de l'allumette illustre comment les stratégies d'évitement d'expérience peuvent fonctionner lorsqu'elles sont appliquées à des pensées, des images et des sensations physiques modérément désagréables mais vont à fins contraires dès que l'intensité de l'inconfort dépasse un certain seuil. L'exercice des trois chiffres, la métaphore de la personne tombée dans le trou, la métaphore «nourrir le tigre» ou celle de la chambre pleine de toile adhésive peuvent également être utiles à ce stade de la thérapie.
Cette phase du traitement est parfois appelée «désespoir créatif». Elle peut être difficile pour le thérapeute qui doit renoncer à l'attitude de «réassurance positive» que le simple bon sens propose à quiconque veut venir en aide à une personne qui souffre. A y regarder de plus près, le désir de rassurer s'inscrit dans une logique d'évitement par le thérapeute des émotions pénibles auxquelles il va devoir faire face devant la souffrance d'autrui : «Ne ressens pas ce que tu ressens pour que je n'aie pas à ressentir ce que je ressens quand tu ressens ce que tu ressens.» Si le travail thérapeutique est bien mené, le patient va se sentir moins seul, réaliser qu'il n'est pas «détraqué», défectueux ou fou mais simplement pris dans un piège que les efforts qu'il fait pour s'en libérer ne font que resserrer autour de lui. L'exercice des menottes chinoises illustre ce point, il permet aussi de suggérer une autre attitude que nous cherchons à décrire avec des termes comme «donner son accord».