3. Aspects pratiques

3. Aspects pratiques

Cette section est consacrée à la description des différents aspects du processus thérapeutique.

ACT emprunte des techniques à diverses orientations psychothérapeutiques. Ce n'est toutefois pas la topographie des techniques qui importe, mais leur fonction. Elles sont en effet toujours mises au service de l'affaiblissement du contexte de littéralité établi par la communauté verbale/culturelle afin de favoriser l'engagement du patient dans des activités allant dans le sens des valeurs les plus chères à son coeur.

Comme dans toute psychothérapie, la relation thérapeutique est une composante essentielle du processus curatif.

L'analyse fonctionnelle demeure un instrument privilégié du thérapeute et l'un des buts de la thérapie est d'apprendre au patient à l'utiliser lui-même en situation.

Le recours à la métaphore, au paradoxe et à des exercices expérientiels favorisent le travail de «délittéralisation».

La façon le plus simple de décrire le déroulement de la thérapie est linéaire, elle ne rend toutefois pas compte de manière adéquate du fait que nous abordons toute situation de manière pragmatique en orientant toujours notre démarche en fonction des buts que nous voulons atteindre et de la conception que nous avons de la psychopathologie. Ainsi, les diverses composantes de la thérapie – que l'on peut aussi décrire selon un modèle à 6 facettes – peuvent être intégrés dans les interventions du thérapeute à tous les stades de la thérapie. Pour la clarté de l'exposé et pour rendre la compréhension du modèle plus facile à ceux pour qui il n'est pas familier, nous reprendrons dans notre résumé la structure linéaire organisant la partie clinique du livre ACT de 1999.

Nous aborderons ainsi successivement :

La futilité de la lutte
Les stratégies de défusion
L'expérience de «soi comme contexte»
La notion de valeurs
Donner son accord et s'engager

Philippe Vuille

3.0.1 La rigidité psychologique

3.0.1 La rigidité psychologique

Un des objectifs d’ACT (« la thérapie de l’acceptation et de l’engagement ») est de diminuer l'emprise du langage et de la pensée sur les comportements de l’individu lorsque ceux-ci l’empêchent de se connecter à l’expérience du moment présent et/ou de considérer ce qui est utile dans l’expérience vécue pour aller dans le sens de ses valeurs personnelles. La rigidité psychologique — décrite ci-dessous par la fusion cognitive, l’évaluation, l’évitement d’expériences désagréables et la justification — illustre les limites du langage et de la pensée.

Inspiré du chapitre « The Act Model Of Psychopathology and Human Suffering » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson (1999).

Cristel Neveu

1. La fusion cognitive

1. La fusion cognitive

La fusion cognitive est la tendance d'une personne à considérer le contenu de ses pensées comme s’il était le reflet de la réalité. Elle se traduit par une adhésion au contenu littéral de ses pensées. La communauté en général présente souvent le contenu des pensées comme un modèle de régulation des comportements, ce qui peut mener à confondre la pensée pour la réalité. Les comportements d'une personne deviennent alors le produit de relations dérivées entre stimuli et règles verbales (voir la théorie des cadres relationnels) et sont moins fondés sur l’expérience directe et l’utilité.

Le suicide peut être un bel exemple de comportement fondé sur l’adhésion à des pensées autant négatives que positives. Les gens formulent des conséquences à leur propre mort (aboutissement de la souffrance, constatations par autrui du mal ressenti, présence d’un meilleur monde ailleurs, d’une assurance-vie pour la famille, promesse d’un paradis, etc.). Ce contenu verbal renferme des termes à connotations positives (le paradis relié à une myriade d’événements positifs, l’absence de souffrance, l’espoir d’un meilleur monde). La personne refuse le contact avec la souffrance en imaginant un état sans souffrance, dans lequel elle aurait des pensées positives, des émotions agréables, des sensations confortables, et de tout ce qu’il faudrait qu’elle soit dans l’univers du « rationnel, positif, agréable, confortable, etc.». L’adhésion à ces règles verbales à connotations positives agit en renforçant la fuite de la souffrance et le comportement suicidaire (voir cadre d’opposition et d’équivalence de la théorie des cadres relationnels).

Il est possible d’assouplir cette adhésion aux règles verbales. Par exemple, en se disant « je suis nulle », la tendance naturelle d’une personne est d’adhérer à cette pensée comme si elle était la réalité. Elle oublie qu’une pensée n’est qu’une pensée et que selon le contexte actuel (quantité et qualité du sommeil, alimentation, neurotransmetteurs dans son cerveau, les personnes rencontrées dans la journée, etc.) et le contexte historique (entendre plusieurs fois par jour qu’elle était nulle dans son enfance, humiliation à l’école, ou tout autre possibilités, etc.), elle va avoir un certain type de pensée plutôt qu’un autre. En d'autres termes, ce n’est pas forcément parce que cette pensée remonte à la surface de son cerveau plus facilement qu’une autre qu’elle est plus réelle. Il est facile d'oublier qu’une pensée n’est qu’une pensée, une production du cerveau. L’objectif d’ACT est d’affaiblir cette domination verbale sur les comportements. Au lieu de se laisser guider aveuglément par le contenu des pensées pour percevoir le monde, il est possible de devenir conscient qu'une pensée est un processus du cerveau et alors trier, à partir de l’expérience vécue, ce qui est utile en fonction des valeurs. Quand une personne mentionne le contenu d’une phrase, comme par exemple, « je suis nulle », on peut demander « À quoi cela vous sert-il de vous dire cela? En quoi est-ce utile? Où est-ce que ce contenu vous amène? » On ne s’intéresse pas à savoir si le contenu est vrai (car trop arbitraire), mais en quoi il est utile à la personne (voir la section « approche contextuelle fonctionnelle versus approche mécaniste »). Malheureusement, la plupart du temps, la fusion cognitive incite à éviter les expériences désagréables alors que celles-ci peuvent rapprocher des valeurs (voir section « évitement des expériences désagréables »). Des exemples de fusion cognitive sont l’attachement à des principes, à des attentes, à des évaluations de type « avoir raison/avoir tort », bon/mauvais, etc. Par exemple, une personne qui cherche à tout prix à avoir raison dans une discussion plutôt qu’à reconnaître le point de vue d’autrui procède par fusion cognitive.

Voici d’autres exemples de fusion cognitive:

Fusion avec « l’histoire de vie » ou avec des souvenirs traumatisants du passé: en pensant ou évoquant verbalement un traumatisme passé, les mêmes émotions présentes lors de l’événement traumatisant réapparaissent. La personne perd alors contact avec son environnement actuel.

Fusion avec des événements futurs envisagés: une pensée d’inquiétude par rapport au futur est perçue comme un reflet exact du futur à venir plutôt qu’une production du cerveau émergeant dans le moment présent.

Fusion avec un passé, présent, futur conceptualisé: la pensée « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue » est perçue comme une conclusion réelle à propos de la vie et de ses qualités plutôt qu’un processus d’évaluation verbale produit par notre cerveau (l’adhésion au contenu de cette conclusion produira alors une perte de vitalité, de sens à la vie, et de plaisir de vivre, consolidant à son tour la fusion à cette conclusion et engendrant un effet de rétroaction positive).

Fusion avec les évaluations (voir section suivante).

Cristel Neveu

2. L'évaluation versus la description

2. L'évaluation versus la description

L'évaluation versus la description: Si on demande à une personne de décrire une chaise, elle peut dire par exemple « elle est grise, en métal, de forme carrée, etc. » Si cette personne sort de la pièce et qu'elle revient un peu plus tard, la description sera la même. Si une autre personne décrit cette chaise, il y a de bonnes chances d’obtenir des descriptions semblables. Si on lui demande «est-ce une bonne ou une mauvaise chaise?», et si elle n'a pas de problème de dos, elle pourrait dire « oui, elle est confortable ». Si au contraire, elle a des problèmes de dos ou elle a mal dormi, elle pourrait répondre « je la trouve inconfortable ». Selon la personne qui va s’asseoir sur la chaise et l’histoire de ses expériences avec les chaises (habitude de s’asseoir sur des chaises ergonomiques ou pas, etc.), l’évaluation sera différente et donc, arbitraire.

La souffrance peut résulter de l'évaluation que la douleur est inacceptable. Par exemple, l’évaluation peut prendre la forme d'une lutte ou d'une non-acceptation de "ce qui est" par des jugements sur soi ou les autres, des accusations, etc. En fait, l’évaluation, quand elle n’est pas utile peut être une manière de fuir le contact direct avec les expériences de la vie, une forme d’évitement de vivre l’expérience vécue telle qu’elle se présente (aussi désagréable soit-elle). Il arrive d'observer ce phénomène lorsqu'une personne exprime à une autre un sentiment désagréable. La personne qui reçoit la plainte peut alors chercher à s'en défendre en rejetant le blâme sur l'autre ou se culpabiliser elle-même de n'être jamais adéquate, etc. Ce type d'évaluation empêche la résolution du conflit puisque la personne est plus occupée à évaluer la situation qu'à la régler ou à entendre le sentiment de l'autre.

Il existe différentes formes d’évaluation, dont les suivantes (inspiré du livre « Act On Life Not On Anger » de Eifert, Mckay, Forsyth) :

Le jugement (approprié/pas approprié, bon/mauvais, adéquat/inadéquat, normal/pas normal, etc.) : le cerveau cherche à mettre les gens ou soi-même dans des catégories prédéterminées par une norme (une étiquette), comme si c’était une vérité objective;

Les accusations: le cerveau a de la difficulté à composer avec la souffrance, donc il cherche à blâmer quelqu’un ou soi-même comme responsable de cette souffrance;

Prêter des intentions aux autres : le cerveau a de la difficulté à tolérer l’ambiguïté. Il cherche avidement à donner un sens aux comportements d’autrui et c’est ainsi qu’il attribue des intentions aux autres. Cela devient un problème lorsque ces conclusions sont prises pour des certitudes à propos de l’autre personne et qu'elles en dirigent les actions.

Cristel Neveu

3. L'évitement des expériences désagréables

3. L'évitement des expériences désagréables

Voici un exemple clinique d'évitement d'expérience désagréable: Une personne se présente avec un vide existentiel dans sa vie. Elle habite près de sa mère dans un appartement et elle n’a jamais eu de relation amoureuse, d’enfant ou de travail. Elle mentionne avoir refusé récemment une invitation pour une activité de fin de semaine. Elle ajoute qu’elle se serait sentie trop coupable d’abandonner ainsi sa mère. Sa mère n'a pas d'incapacité ou de limitation particulière.

Une question se présente alors : « Est-ce cette personne va attendre de ne pas se sentir coupable pour commencer à vivre sa vie? » De façon plus générale, est-ce qu'une personne doit attendre de n'être plus anxieuse, agressive, triste, coupable pour faire ce qu'elle souhaite faire de sa vie? il est possible que le problème ne soit pas tant l’angoisse, la culpabilité, la tristesse ou la colère, mais plutôt la réponse de cette personne à la présence de ses émotions (pensées, sensations, images, souvenirs, etc.) désagréables…

Il arrive que des gens restent coincés à l’intérieur d’un patron relationnel pour se protéger de ne pas ressentir des émotions désagréables. Par exemple, pour ne pas ressentir l’intensité de la culpabilité résultant de ne pas être disponible pour sa mère, la personne ci-dessus mentionnée semble prête à sacrifier tous ses projets de vie. Il est cependant possible d’apprendre à apprivoiser ces émotions désagréables progressivement en commençant par un contact à petite dose avec l’émotion désagréable. Au lieu de partir une fin de semaine au complet, cette personne peut se permettre de faire une activité personnelle une fois dans la semaine. Par exemple, elle peut décider d’inviter au cinéma une connaissance qu’elle rencontre régulièrement au parc. Si sa mère l’appelle 15 minutes avant la représentation du film pour lui demander un service (aller chercher du lait au magasin), elle peut lui exprimer poliment qu’elle aimerait bien répondre à sa demande, mais malheureusement, elle a un rendez-vous prévu et elle ne peut lui rendre ce service. Il est possible que la mère réagissent mal, malgré la manière respectueuse du refus de sa fille, peut-être parce qu'elle n’est pas habituée à la voir s’affirmer. Elle peut par exemple lui répondre en la blâmant ou encore, en lui raccrochant au nez. Le réflexe naturelle de la fille pourrait être de rappeler sa mère, de s’excuser et de lui dire « je vais répondre à ta demande, on ne va pas se disputer pour cela » afin d’éviter de ressentir la culpabilité. Dans ce cas, le risque est d'être prise de nouveau dans la spirale habituelle selon laquelle elle choisit le confort à court terme pour éviter les émotions désagréables accompagnant son évolution vers une plus grande autonomie.

Arrivé à la frontière de l’inconfort, là où une impasse commence, la tendance d'une personne peut être de se dire « oh non, non, je ne veux pas me sentir coupable, anxieux, rejeté, triste » et la spirale du confort à court terme l'emporte, même si à long terme, sa vie n’est pas ce qu'elle souhaite. Il est possible que pour avancer, il faille justement accepter d’apprendre à porter les inconforts, aussi intenses soient-ils, plutôt qu’à les éviter, les supprimer ou les fuir. Autrement, il est possible que ce ne soit plus la personne elle-même qui mène sa vie, mais la lutte contre l’inconfort et donc, l’inconfort lui-même. En passant ce temps à contrôler ses états intérieurs, cette personne est peut-être en train de perdre le contrôle de sa vie.

L’évitement des expériences désagréables est donc cet acharnement à fuir, éviter ou supprimer les occasions d’éprouver la présence de réactions intérieures désagréables (i.e., pensées dérangeantes, émotions, souvenirs, sensations physiques, etc.) lorsque celles-ci accompagnent les étapes nécessaires à l’accomplissement des choix de vie. Il existe plusieurs formes d’évitement. La suppression consiste à contrôler ou éliminer les états intérieurs désagréables (par exemple, l’utilisation d’alcool, de drogue pour réduire l’inconfort) et l’évitement des situations consiste à restreindre le répertoire des comportements pour éviter l’inconfort (l’isolement d’une personne, refus de faire des activités). En général, l’évitement a le désavantage de renforcer la répétition du malaise par un effet de boucle d’amplification. Des recherches ont démontré que ceux qui utilisent la suppression comme stratégie d’adaptation ont un plus haut niveau de symptômes dépressifs ou obsessionnels. Sur un ensemble de 1100 études quantitatives, une recherche a conclu qu’être en contact et ouvert aux émotions était corrélé à un meilleur résultat thérapeutique (Orlinski et Howard).

L’évitement expérientiel est un exemple de comportement gouverné par les règles verbales. Un tel comportement peut avoir un effet soulageant à court terme, mais c’est un éternel recommencement. Il est probable que s’il était si facile de se débarrasser des inconforts, tout le monde serait heureux! Souvent, quand une personne se dit « débarrasse toi de la pensée X », les mots inclus dans cette règle sont en relation bidirectionnelle (voir théorie des cadres relationnels). La règle crée elle-même la pensée X, juste par le fait de la nommer. En essayant d’éliminer certaines pensées et émotions, cette personne augmente leur emprise à déterminer ses comportements. Par exemple, l’anxiété n’est pas juste un état d’inconfort physique, car une évaluation hautement désagréable s’y ajoute. À cause de la bidirectionnalité du langage, le cerveau crée l’illusion que « mauvais » est une qualité intrinsèque à l’émotion. La tendance est de dire « c’est une mauvaise émotion » et non de constater qu’il s’agit d’une émotion à laquelle on attribue l’évaluation « mauvaise ».

Nous pourrions donc poser la question : serait-ce davantage le refus de vivre l’expérience avec tout ce qu’elle contient (par l’application de processus d’évitement et de fusion cognitive), c’est-à-dire l'attitude ou la relation d'une personne face à ses états intérieurs désagréables, qui serait responsable des symptômes psychologiques (dépression, anxiété, alcoolisme, etc) plutôt que la présence en soi d’états intérieurs ou d’événements extérieurs désagréables?

Cristel Neveu

4. La justification

4. La justification

LA JUSTIFICATION :

On pourrait se demander "pourquoi la personne ci-dessus mentionnée (voir la section "l'évitement des expériences désagréables") se sentait-elle coupable?" (Merci au cerveau de chercher la vraie réponse parmi les infinités de réponses possibles). Le cerveau a la capacité de tisser divers liens et de nombreuses possibilités du pourquoi, du comment, de tous les programmes enregistrés lors de ses interactions avec les environnements utérin, familial, scolaire, social, culturel, etc. L'esprit aime souvent entretenir la conviction qu’il va trouver LA CAUSE du problème par l’exploration, l’analyse rationnelle et il peut facilement oublier qu’il n'a pas forcément accès à tout le matériel dont il a besoin pour comprendre. Exposés à des millions d’informations à chaque instant, il est possible que l'être humain soit limité dans sa capacité à rassembler l’ensemble des influences pouvant expliquer un comportement. De plus, même si une raison est vraie, elle ne peut constituer qu’une partie infime de la vérité. En connaissant tous les faits de l’histoire de vie d’une personne, il y a énormément de liens possibles entre eux. Si on s’en tenait à cela, on pourrait célébrer la créativité du cerveau! Malheureusement, il arrive souvent que cette habileté fournisse des excuses et des raisons afin de ne pas respecter ce qui est valorisé par la personne. En effet, il peut être facile de s’en tenir à toutes ces raisons plutôt qu’au fait que la personne ne va pas dans la direction de ses choix de vie.

L’alternative proposée à la rigidité psychologique peut être résumée par la question fondamentale de l’ACT: Cette personne est-elle prête à accueillir tout le contenu intérieur qui l'habite et la traverse, complètement et sans s'en défendre, pour ce qu’il est (un processus interne) et non pour ce qu’il lui raconte, ET à faire ce qu’il est utile et nécessaire de faire dans sa vie, au moment présent et dans la situation, pour aller dans le sens de ses valeurs?

L’objectif d’ACT n’est pas de « se sentir mieux », mais de « mieux sentir » en transformant la relation qu'entretient la personne à son contenu intérieur. La manière d’exprimer un malaise psychologique est souvent comme suit : « Si je n’étais pas si anxieux, déprimé, dépendant, etc., je pourrais avoir une promotion, être en relation, etc. ». Il est prétendu qu’après avoir enlevé l’inconfort (les mauvaises émotions, pensées, sensations etc.), les engagements pourront se maintenir. Cela ne semble pas fonctionner parce qu'il est difficile de contrôler l’émergence ou l’apparition des états intérieurs. Ils sont souvent déjà présents en soi lorsqu'une personne prend conscience de leur existence. De plus, le fait d’aller dans la direction de ses choix de vie va mener à toutes sortes de réactions intérieures automatiques (angoisse, insomnie, désirs, déceptions, blessures, etc.). Le fait d'éviter ces réactions intérieures désagréables, risque d’éviter l’évolution et le changement. Bien qu’il soit difficile de contrôler l’apparition du contenu intérieur, il est possible pour la personne de choisir ce qu’elle va « faire avec ce contenu » ensuite. Si ce contenu est utile en fonction de ses valeurs, elle peut alors choisir de lui obéir. On pourrait dire que c’est ce qu’une personne choisit de faire avec son contenu intérieur qui détermine le SOI plutôt que son obéissance à ce contenu intérieur (une identité souvent arbitraire non choisie).

Cristel Neveu

3.0.2 Les six étapes de la thérapie

3.0.2 Les six étapes de la thérapie
Les étapes de la thérapie mentionnées ci-dessous ne suivent pas un ordre précis. Il peut être nécessaire d’approfondir une étape chez une personne, et non chez l’autre. Ces étapes fournissent les repères nécessaires à l’analyse fonctionnelle de la problématique d’une personne. Le thérapeute les utilise selon les besoins de la personne.
Cristel Neveu

1. Le désespoir créateur

1. Le désespoir créateur

Parfois une personne peut avoir l’impression d’avoir tout essayé dans la vie pour se sentir mieux et que ce sentiment "d'être mieux" ne dure qu’à court terme. Souvent, après avoir dépensé beaucoup d’effort pour changer l’inconfort (en l’évitant, en se raisonnant, en parlant à des amis), la personne peut se dire alors qu’elle n'y arrive pas (parce que le malaise revient toujours) et qu'elle a besoin d'avoir plus de confiance, d’estime d’elle-même, de motivation ou qu’elle est trop anxieuse, déprimée ou qu’elle n’a pas encore trouvé la bonne manière de régler son problème (malgré toutes les méthodes employées). Habituellement, dans les autres domaines de la vie, quand une personne met autant d’effort, elle obtient souvent des résultats. Et pourtant, dans ce cas, la personne persiste à éliminer l’inconfort à tout prix pour répondre à son exigence de se sentir mieux. Mais, qu’est-ce que cette expérience lui révèle? Et si c’était cet entêtement lui-même, le responsable de cette fausse piste?

Le désespoir créateur est cette reconnaissance qu’il est possible de se retrouver dans un cul-de-sac à répéter de différentes façons les mêmes processus mis en place par le cerveau (la fusion cognitive combinée à l’évitement des états internes désagréables). Est-il plus avantageux de considérer toutes les raisons que le cerveau lui raconte ou de s'en tenir à ce que son expérience vécue lui démontre? La première étape du traitement consiste donc à observer les coûts et bénéfices de cet entêtement contre ses états intérieurs désagréables dans le cheminement de ses choix de vie. Pour cette raison, la formule paradoxale de «désespoir créateur» est employée.

Inspiré du chapitre « Creative Hopelessness » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson (1999)

Cristel Neveu

2. L'acceptation versus le contrôle

2. L'acceptation versus le contrôle

La personne examine ses sensations, ses émotions, ses pensées en scrutant ou contrôlant son environnement intérieur et extérieur pour qu’il corresponde à la « bonne façon d’être ou de faire ».

Les stratégies de contrôle des états intérieurs sont valorisées pour plusieurs raisons :

1) Le contrôle fonctionne quand il s’agit de gérer des choses extérieures à soi-même. Il est possible de sortir de l'environnement extérieur un objet qui dérange. Il est tentant de croire qu'il est possible d'agir de la même manière avec les états intérieurs.
2) Il est souvent demandé aux enfants de contrôler leurs pensées et leurs émotions (ex : une mère qui demande à son fils d’arrêter de pleurer lui dit indirectement qu’elle souhaite qu’il la soulage de son propre malaise de le voir triste. Elle demande à son fils de faire ce qu’elle n’arrive pas à faire elle-même.)
3) En tant qu'enfant, il y a souvent des messages implicites qu’un adulte n’a pas peur et ne pleure pas. L’enfant intériorise qu’il devrait être capable de contrôler ces réactions intérieures parce que les autres le font. Cela ne veut pas forcément dire que les gens apprennent vraiment à contrôler leurs états, mais plutôt à les taire devant les autres. Plus tard, l’enfant peut réaliser la manière déguisée dont les adultes gèrent leurs émotions en prenant de l’alcool, des tranquillisants, en blâmant les autres, etc.
4) Les médias et la société renvoient souvent l’image que le bonheur se résume à une absence d’émotions difficiles.
5) Il arrive que le contrôle des états intérieurs (distraction, absorption dans une tâche, etc.) fonctionne à court terme. Par exemple, une personne peut avoir des pensées qu’elle est sans valeur et devenir un bourreau de travail. Cela n’enlève en rien la pensée qu’elle se sent défectueuse au fond d’elle-même. Le syndrome de l’imposteur en est un bel exemple. Lorsqu’elle est applaudie, la personne a toujours l’impression que les autres la trompe derrière les apparences.

S’il était possible de contrôler ses états intérieurs (à long terme!), il est fort probable que peu de personne serait malheureuse sur terre. Il semble pourtant difficile de remettre en question la stratégie du contrôle, malgré les piètres résultats observés dans les faits et ses conséquences néfastes. Les états intérieurs sont souvent déjà présents en soi lorsque l'individu prend conscience de leur existence. Personne ne demande la présence de pensées désagréables, elles arrivent automatiquement. De plus, le fait de s’impliquer dans la direction de ses choix de vie augmente l'exposition à des réactions internes désagréables (angoisse, insomnie, attentes, déceptions, blessures, etc.). En cherchant à contrôler l’incontrôlable, l'individu cherche souvent alors à manipuler l’environnement (en s’isolant, en fuyant l’intimité relationnelle, en se donnant une pseudo forte estime de soi, etc.). Le contrôle devient alors une protection contre ce à quoi « être vivant » expose. De plus, il peut devenir épuisant de toujours surveiller cet intérieur pour s’assurer qu’un monstre ne sortira pas des rideaux. La thérapie de l’acceptation et de l’engagement rappelle qu’il y a autant de vie dans un moment de douleur que dans un moment de bonheur.

L’alternative au contrôle est l’acceptation. La métaphore du poste de radio permet d’illustrer cette alternative. Imaginez l’existence de deux boutons de contrôle (comme ceux du « volume » et de la « balance ») sur une stéréo. Disons que le bouton du volume représente le degré « d’anxiété » (ou tout autre état intérieur désagréable: colère, culpabilité, pensées dérangeantes, etc.). Ce bouton est gradué de 1 à 10. Le discours intérieur d'une personne ressemble souvent à « l’anxiété est trop élevée. Elle est au maximum de 10 et je veux la baisser à 0. Je souhaite y arriver. » Toute son attention est placée sur ce bouton d’anxiété. Il est cependant possible d'envisager la possibilité de l’existence d’un autre bouton (« la balance »).

Ce bouton est peut-être le seul sur lequel il est possible d'agir, celui du « degré d’acceptation ou d’accueil » (le bouton de «la balance»)? Ce bouton renvoie à la capacité d’ouverture à l’expérience sans chercher à la manipuler, l’éviter, la fuir, la changer ou la modifier. Quand l’anxiété (l’inconfort, dépression, souvenirs déplaisants, pensées obsessives, etc.) est au niveau 10, et qu’une personne cherche de toutes ses forces à la contrôler, à la baisser, à l’enlever, alors elle lutte contre l’anxiété. Le degré d’acceptation est alors à 0. Prenons une autre image, une clef à cliquet sert à resserrer un boulon : une fois la clef enclenchée (qu’importe la direction du mouvement), elle ne fait que resserrer le boulon davantage. De façon similaire, quand le bouton de l’anxiété est élevé et celui de l’acceptation faible, la clef est enclenchée de sorte que l’anxiété ne peut baisser. En effet, si la personne lutte pour ne pas se sentir anxieuse, alors l’anxiété elle-même devient une préoccupation de plus. Elle aurait beau actionner la clef dans tous les sens, elle continuerait à serrer le boulon dans le même sens. Pour cette raison, l’objectif de la thérapie est d’utiliser davantage le bouton de l’acceptation. La personne a beau chercher à contrôler l’anxiété, cela ne donne souvent pas grand chose. Ce n’est pas qu’elle manque d’intelligence ---quoiqu’en dise son cerveau, mais son expérience lui démontre que ça ne fonctionne pas. Si elle augmente le bouton de l’acceptation, le niveau du bouton d’anxiété s’ajustera librement. Parfois il sera bas, d’autres fois, élevé, mais dans les deux cas, il n’y aura plus de lutte inutile menant toujours dans la même direction. L’acceptation est une position active d’accueil et d’ouverture à l’expérience vécue et elle n’a rien à voir avec la passivité de la résignation. Le travail thérapeutique consistera à s’exposer progressivement à des états intérieurs désagréables et à changer cette attitude face à l’inconfort à l’aide d’exercices expérientiels et de métaphores.

Adapté du chapitre « Control Is The Problem, Not The Solution » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson (1999)

Cristel Neveu

3. La défusion cognitive

3. La défusion cognitive

L'être humain a tendance à nager dans ses pensées comme les poissons nagent dans l’eau, inconscients de l’existence de l’eau qui les environnent. Il est facile d'être absorbé par ses pensées au point de ne pas se rendre compte qu’une pensée n’est qu’une pensée, une production du cerveau. Qu’arriverait-il si les poissons devenaient conscients de l’eau?

Au lieu de plonger dans le contenu de ses pensées, il est possible de les envisager comme des pensées qui traversent le cerveau, ni plus ni moins. C’est ainsi, qu’en thérapie, le thérapeute distingue le cerveau de la personne. La personne a des pensées, mais elle n'est pas sa pensée. Il arrive de répéter à toute vitesse une phrase pour faire perdre le pouvoir ou l'emprise d'une pensée sur la personne. La défusion cognitive est une forme particulière d’exposition aux stimuli verbaux de manière à percevoir une pensée pour ce qu’elle est, plutôt que pour ce qu’elle raconte, à percevoir les conceptions de soi-même et des autres comme des conceptions, les évaluations des autres et de soi-même comme des évaluations, etc, et par le fait même, à ne plus considérer le contenu de ces cognitions « si sérieusement » ou comme dangereux, destructif, hostile ou mauvais.

Mais si l'individu n'est pas ses pensées, alors « Qui est-il? » (voir prochaine section du soi contexte)

Adapté du chapitre « The Trouble With Thoughts » dans "Get Out Of Your Mind And Into Your Life" de Steven C Hayes (2005)

Cristel Neveu

4. Le soi contexte versus le soi concept

4. Le soi contexte versus le soi concept

Il est possible d’établir une distinction entre différentes composantes du SOI.

Le soi concept est le résultat d’un soi construit sur des concepts, des catégorisations verbales de soi-même (caractéristiques, qualités, défauts: besogneux, généreux, etc.), des évaluations de soi-même (estime de soi, degré de confiance en soi), et d’une identification au résumé de l'histoire de vie de l'individu. Par exemple, le fait d'avoir vécu un traumatisme (fait historique) devient une relation de cause à effet “Ce traumatisme m’amène à ne pas me sentir en sécurité dans ce monde” et sert d’explication au comportement actuel “Donc, parce que je ne fais confiance à personne, je m’isole et je ne peux pas vivre ma vie.”

Le soi descriptif est aussi fondé sur des catégories verbales, mais il est de nature descriptive de l’état de la personne dans le moment présent, sans caractère évaluatif. Par exemple : « présentement, je me sens comme ça , je pense ça, je vois ça etc. ». « L’alexithymie » est un terme clinique et un exemple de soi descriptif déficient pour désigner les gens qui ont de la difficulté à identifier et nommer leurs émotions présentes.

Le soi contexte n’est pas fondé sur des catégories verbales ou sur le contenu des pensées, des émotions, des sensations, des souvenirs, ou tout autre réaction intérieure transitoire qui traversent l'individu. Semblable au ciel toujours présent derrière la météo quotidienne, passagère et variée (tempête, soleil, pluie, verglas), le soi contexte est traversé par des émotions, des pensées, des sensations et tous les états intérieurs présents à un moment précis de la journée (la météo intérieure). En d’autres termes, le soi contexte est un espace accueillant ces états intérieurs temporaires, un fond continu et permanent. Il existe alors une distinction entre ce qui habite l'individu au quotidien de passager, transitoire et dépendant de toutes sortes de facteurs intérieurs et extérieurs (hormones, grippe, SPM, personnes rencontrées dans la journée, événements stressants etc..) et ce soi contexte toujours présent, stable malgré tous les événements et épisodes traversés dans le courant de la vie. Qu’importe le vécu d'une personne, il y a toujours à l’intérieur d'elle-même, ce fond indépendant des facteurs intérieurs ou extérieurs. Bien que l'individu a souvent tendance à plonger dans le contenu de sa météo intérieure et à croire que cette météo constitue son identité, le soi contexte se trouve plus profondément, immuable. Par exemple, certaines pensées à une certaine époque de la vie peuvent être différentes présentement. Il serait donc fragile de fonder son identité sur des bases aussi fluctuantes. Sans cette habileté à se connecter au soi contexte, les états intérieurs d’une personne peuvent facilement être extrêmement menaçants. Pour cette raison, la reconnaissance de ce soi contexte est essentielle dans la thérapie de l’acceptation et de l’engagement. Divers exercices expérientiels permettront à la personne de saisir cette dimension d’elle-même.

Éléments de réflexion : Il pourrait être utile de faire une distinction entre l’estime de soi et l’acceptation de soi. Il arrive souvent que des gens, affichant une grande estime d’eux-mêmes par leur reconnaissance sociale, leur réussite financière, leur apparence physique, leur assurance, se retrouvent complètement démolis suite à une faillite, une réputation détruite, un accident grave, etc. Parfois, une apparence plutôt trompeuse par la mise en place de mécanisme de compensation cache de profonds sentiments de défectuosité (alimentés par la dualité du soi concept : faible estime compensée par l’apparence d’une forte estime de soi). Il devient alors dangereux de fonder une estime de soi sur des variables aussi fragiles, pouvant disparaître du jour au lendemain. De plus, cette quête d’une pseudo estime de soi comme preuve à soi et aux autres d’être capable n’est pas forcément rassasiante à long terme. C’est un éternel recommencement! La personne se projette constamment dans le futur en quête de la prochaine preuve à faire et le moment présent lui glisse entre les doigts. L’acceptation de soi repose davantage sur l’accueil de toutes les composantes de la personne à partir du soi contexte. Il ne s’agit plus de rester dans les polarités ou dualités du soi concept (faible/fort; pauvre/riche, déficient/intelligent, etc.) et de chercher à se prouver que la personne appartient à un pôle plutôt qu’à l’autre. Ce qui détermine la direction de sa vie n’est plus cette quête d’estime de soi, mais plutôt cette fidélité à soi-même fondée sur des valeurs qui donnent du sens à la vie dans le moment présent. Il ne s’agit pas de réparer une identité perçue comme défectueuse (soi concept), mais de réorienter cette identité fondée sur des concepts (avec toutes ses réactions internes, incluant le sentiment de défectuosité) vers ce qui tient le plus à cœur (les valeurs).

Inspiré du chapitre « If I'm Not My Thoughts,Then who Am I? » dans "Get Out Of Your Mind And Into Your Life" de Steven C Hayes (2005)

Cristel Neveu

5. Les valeurs

5. Les valeurs

La façon la plus simple d’illustrer les valeurs est de demander à la personne « quelle personne aimeriez-vous incarner au quotidien dans les différentes sphères importantes de votre vie (familiale, conjugale, parentale, amicale, professionnelle, environnementale, etc.) ?». Il existe plusieurs questionnaires pour clarifier les valeurs d'une personne (traduit en français dans la section « matériel clinique de ce site »), utile pour cette étape de la thérapie. Une valeur est une direction et non un objectif à atteindre. Avoir une vie satisfaisante est souvent associée à l’atteinte d’objectifs personnels. Cette manière de concevoir peut amener un état de privation dans lequel l'individu est souvent en quête de quelque chose dans le futur qu'il n'a pas en ce moment pour être heureux. Ce faisant, son attention est sur la prochaine chose à atteindre et il devient facile d'être absent du présent. L’objet voulu est ailleurs dans le temps et l’espace. De plus, une fois l’objectif atteint, il peut en trouver un autre à atteindre pour répondre à un autre manque, et ainsi de suite. Une valeur n’est donc pas un objet à atteindre (objectif), mais un « principe directif » sous-jacent aux actions quotidiennes. Une valeur perdure dans le temps et ne peut jamais être atteinte. Il s’agit d’un processus : qu’est-ce que la personne sème dans son quotidien pour porter cette valeur ? Quel sens se trouve derrière ses gestes quotidiens? Une valeur peut inclure des objectifs, mais elle n’est pas l’objectif. En d’autres termes, s’il est important pour une personne d’être un partenaire amoureux, qu’est-ce que cette personne fait au quotidien pour démontrer l’importance de cet amour dans son couple ? Elle peut démontrer son amour par le biais d’objectifs (réserver du temps pour le couple, se marier, faire régulièrement des surprises à son partenaire, etc.), mais la valeur est ce qui motive ces objectifs. Un autre exemple de valeur peut être «d’être un parent présent pour ses enfants». Qu’est-ce que cette personne fait au quotidien pour semer dans cette direction ? Dans la thérapie de l’acceptation et de l’engagement, les obstacles relevant de la peur de l’engagement ou du rejet ne sont pas des raisons justifiant l’abandon des valeurs d’une personne. D’ailleurs, les valeurs révèlent les points de fragilité d’une personne. Une personne craignant l’intimité révèle souvent à quel point l’intimité est importante pour elle. Le travail thérapeutique consistera à apprivoiser, accepter et porter ces peurs en les considérant à partir du soi contexte, tout en poursuivant dans la direction de ce qui lui tient à cœur, l’objectif thérapeutique étant d’être plus vivant même si c’est plus souffrant. Il ne suffit pas d’attendre que la souffrance disparaisse pour passer à l’action. En cherchant à contrôler sa souffrance, la personne prend le risque de perdre le contrôle de sa vie.

De plus, les valeurs sont personnelles à chacun et ne sont pas fondées sur des conventions sociales. La compassion pour autrui peut être un acte découlant du besoin d’être vénéré, aimé ou d’obtenir une certaine reconnaissance sociale, ce qui n’a rien à voir avec la compassion découlant d’une fidélité à soi, comme choix d’une valeur de vie. Il est aussi important de ne pas confondre un plan de vie fondé sur les valeurs sociales contemporaines (par exemple, avoir un travail rémunérateur, se marier et être en famille, être un pourvoyeur financier, etc.) avec ses valeurs personnelles. En effet, le danger est de continuer un travail même s'il est insatisfaisant parce qu'il faut être pourvoyeur, de rester dans une relation abusive parce que le divorce serait mal vu par l'entourage. Par ailleurs, les valeurs sont des choix de vie qui ne sont pas fondés sur des raisons ou des évaluations pour/contre dérivées de la logique. Si elles étaient fondées sur des raisons, il serait alors difficile de maintenir ses engagements, car les raisons initiales peuvent changer au cours du temps. Si par exemple, un homme épouse sa conjointe parce qu’elle est belle, reconnue socialement, etc., le jour où elle aura des enfants et qu’elle restera à la maison non exposée aux regards des autres (ou encore, si elle perd ses attributs physiques suite à un accident d’auto), le conjoint s’en désintéressa et ira voir ailleurs. De la même manière, les valeurs ne sont pas fondées sur des émotions. Les émotions sont aussi très instables. Si une personne décide d’en épouser une autre parce qu’elle est passionnément amoureuse d’elle, lorsque des émotions différentes apparaîtront (éloignement suite à un conflit, distance, etc.), elle remettra la relation en question et se dirigera vers une autre personne. Les valeurs ne sont donc pas fondées sur des états temporaires (pensées, émotions, conventions, etc.) qui traversent l'individu.

Adapté du chapitre « Valuing » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson

Cristel Neveu

6. L'engagement à l'action

6. L'engagement à l'action

Après avoir bien défini ses valeurs de vie, la personne arrive au point de se poser une question fondamentale « Est-elle prête à s’engager dans la direction de ce qui lui tient à cœur avec tout ce que cela comporte ? » Le choix d’avoir des enfants (on parle bien ici d’un choix) est un bel exemple pour comprendre l’engagement. S’engager à avoir des enfants, c’est s’engager à en prendre soin quoiqu’il arrive dans la vie. Est-il possible de s'engager dans la direction de ses valeurs de la même manière? Il ne s’agit pas d’essayer. Une personne n’essaie pas d’avoir des enfants, elle les a. De la même façon, est-elle prête à faire le saut de s’engager dans la direction d’une valeur avec tout ce que cela comporte de connu et d’inconnu, de facteurs intérieurs à sa personne et de situations extérieures ? Est-elle prête à dire « oui » à la vie avec tout ce qui va se présenter sur le chemin de cette valeur ? S’engager, ne veut pas dire garantir qu’elle ne va jamais s’écarter du chemin de ses valeurs. En effet, une valeur n’est pas l’atteinte d’un résultat. Il est donc toujours possible de reprendre le chemin en tout temps. Dès que la personne réalise qu’elle s’est éloignée de lui, elle peut faire le choix d'y retourner. Lorsque quelqu'un sème des graines dans son jardin, elle n’a pas la garantie qu’elles vont pousser. Toutefois, elle peut continuer l’acte de semer dans cette direction, qu’importe le résultat. L’important est d’entretenir cette démarche, qu’importe la grandeur des pas effectués en direction de ses valeurs. Cette dernière étape du traitement vise à préciser les actions concordantes aux valeurs de la personne, à aborder les obstacles à franchir et à formuler son engagement dans cette direction.

Inspiré du chapitre « Willingness and Commitment » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson

Cristel Neveu

Conclusion

Conclusion

Bien qu'il peut être tentant pour un individu de dépenser beaucoup d’énergie à contrôler (enlever ou diminuer) l’émergence de ses réactions intérieures désagréables, son expérience vécue peut lui révéler la futilité de ces efforts. Ces réactions arrivent souvent comme des réflexes déclenchés par toutes sortes de facteurs contextuels. Si cette personne obéit automatiquement à ces réactions intérieures (émotions, pensées, sensations), elle risque de faire des gestes qu'elle n’a pas réellement choisis, mais dictés par sa programmation arbitraire (histoire personnelle, influences sociales et culturelles, etc.) plutôt que par ses valeurs de vie (ce qui lui tient réellement à cœur). Il est probable que les actions d'une personne restent la seule chose dont elle ait réellement le contrôle dans sa vie, de sorte qu'elle puisse tout de même choisir la manière dont elle va répondre à la présence de ses réactions intérieures. Une des interventions de la thérapie d’ACT contribuant à choisir sa vie plutôt qu’à la subir est de prendre conscience de l’existence d’un observateur intérieur (soi contexte) qui accueille ses états passagers, même ceux dont le contenu est désagréable sans les juger ou les évaluer, les fuir ou les combattre. Il s’agit alors de les reconnaître pour ce qu’ils sont : des processus intérieurs qui la traversent, une sorte de météo intérieure déclenchée par des situations quotidiennes et passées. Après avoir bien déposé ses réactions intérieures en observant ce qui la traverse, la personne peut ensuite choisir d’obéir à leur contenu, si ce contenu est utile dans le sens de ses valeurs (la fonction du contenu est plus importante que sa vérité). L’acceptation, l’observation, la connaissance de ses valeurs et l'engagement à celles-ci sont les meilleurs alliés pour faire ce tri intérieur en laissant ses états intérieurs temporaires (arbitraires et non choisis) avoir moins d’emprise sur ses comportements et ses actions. Le film "Un homme d'exception" traduit de l'anglais "A Beautiful Mind" est un bel exemple illustrant les différents processus de la thérapie. D'après une histoire vraie, ce film relate la vie du mathématicien John Nash, ayant obtenu le prix nobel en 1994. Pour ne pas renoncer à la créativité de son cerveau, il doit accepter l'existence du contenu plus destructif de ce même cerveau, sans obéir à ses directives. Bien que ce contenu destructif soit clairement évident dans ce film, il est ainsi possible que le cerveau abrite d'autres contenus destructifs moins apparents (à ne pas confondre avec soi-même!), affectant les rapports aux autres, à la vie et à soi-même.

Pour conclure, le cerveau possède des ressources extrêmement précieuses pour l'individu. Il l'a aidé à survivre en tant qu'espèce humaine devant les créatures robustes par ses capacités à comparer, planifier, évaluer, à se projeter dans le futur, etc. Toutefois, en lui obéissant comme s'il était le maître de soi-même, il est probable qu'il ait autant le pouvoir de détruire l'individu. Il peut devenir dangereux d'être à son service plutôt que l'inverse. Le cerveau est un bel outil, il s'agit d'apprendre à bien s'en servir et à se rappeler qu'il n'est pas le capitaine, sans le consentement de la personne, du navire de sa propre vie.

Cristel Neveu

3.1. L'analyse fonctionnelle

3.1. L'analyse fonctionnelle

Cette page constitue la traduction de la page Functional Analysis

L'analyse fonctionnelle classique s'organise au fil des étapes suivantes :

1. Dans un premier survol, les caractéristiques potentiellement relevantes du patient, de son comportement et du contexte dans lequel il prend place sont identifiées pour réunir les données à partir desquelles une analyse pourra s'ébaucher. Ce qui va précisément se passer dans cette première étape sera dicté par les présupposés philosophiques et théoriques (habituellement implicites) du clinicien et des préjugés informels basés sur les informations déjà obtenues (qu'elles aient été données par un le collègue qui lui a éventuellement adressé le cas ou obtenues lors d'un entretien préliminaire).

2. Les informations réunies dans la première étapes sont organisées de manière à former une analyse préliminaire des difficultés du patient en termes de principes comportementaux afin d'identifier des relations causales importantes susceptibles d'être modifiées. Le processus de l'analyse fonctionnelle a été comparé à un entonnoir (Hawkins, 1979). Dans la deuxième étape d'une analyse fonctionnelle traditionnelle, le clinicien va resserrer le champ de son évaluation. Certains aspects (par exemple la forme d'un comportement, des opérations motivationnelles, le contexte dans lequel le comportement est émis) sont privilégiés par rapport à d'autres et les caractéristiques du cas sont organisées en classes. Cette analyse s'oriente en fonction de principes comportementaux, l'accent n'étant pas tant mis sur la structure des phénomènes observés mais davantage sur leur fonction, sur la manière dont ils interviennent dans la dynamique d'un système.

3. Dans la troisième étape, des informations supplémentaires basées sur l'analyse articulée lors de la deuxième étape sont réunies et une analyse conceptuelle est finalisée. Des outils spécifiques d'évaluation peuvent être appliqués ou créés pour les besoins du cas en fonction de l'analyse préliminaire effectuée lors de l'étape 2, qui s'en trouvera affinée voire modifiée jusqu'au moment où le clinicien disposera d'une analyse conceptuelle stable de la relation entre les actions du patient et leur contexte, de données mesurées relatives aux composantes primaires de cette analyse et des outils nécessaires pour l'évaluation de l'évolution du cas.

4. Mise au point d'une intervention basées sur l'analyse résultant de l'étape 3. Une des caractéristiques principales de l'approche comportementale réside dans le lien étroit (au moins conceptuel quand il n'est pas empirique) entre évaluation et traitement. Comme les principes comportementaux sont explicitement pragmatiques (c'est le fait que leur mise en oeuvre a permis de prédire et d'influencer des comportements qui en garantit habituellement la validité), l'analyse fonctionnelle pointe souvent les événements concrets de la vie du patient qui ont établi et qui maintiennent le problème auquel on s'intéresse. Quand ces événements sont accessibles à une manipulation à la portée du travail clinique, l'analyse fonctionnelle est complétée par la définition d'une intervention spécifique. Ainsi, la 4e étape consiste à élaborer un traitement basé sur la 3e étape.

5. Mise en oeuvre du traitement, évaluation des changements intervenus. Pour la plupart des cliniciens comportementalistes, l'évaluation n'intervient pas qu'au début du traitement, c'est plutôt un processus continu et l'analyse fonctionnelle intègre ainsi une évaluation permanente des progrès du patient.

6. Si le résultat n'es pas conforme à ce qu'on attendait, on reviendra à l'étape 2 ou à l'étape 3. L'échec d'une intervention thérapeutique est habituellement considéré comme signalant des défauts dans l'analyse fonctionnelle qui a servi à l'élaborer et qui devra alors être corrigée. Il suffira parfois d'y apporter des changements mineurs mais il faudra parfois aussi la revoir complètement.

ACT et la TCR sont entièrement compatibles avec l'approche que nous venons de décrire. La TCR offre une analyse fonctionnelle générale des opérants relationnels et ACT une analyse fonctionnelle générale de leur impact, qui doivent cependant toujours être intégrées dans une analyse fonctionnelle globale du problème présenté, dont certains aspects peuvent découler de contingences directes.

Philippe Vuille

3.2. La relation thérapeutique

3.2. La relation thérapeutique

Skinner a montré l'origine sociale de l'expérience de soi, dont Kohlenberg et Tsai proposent une remarquable analyse en termes behavioristes radicaux. Les changements que nous voulons favoriser ne sont possibles que si le contexte des comportements du patient est modifié. Les expériences qu'il a faites dans le passé représentent un aspect important de ce contexte. Nous ne pouvons pas modifier ce passé mais l'interaction thérapeute-patient va inévitablement ajouter du nouveau «passé» et à ce titre modifer le contexte futur des actions du patient. On rejoint ici le concept d'expérience émotionnelle correctrice dont Alexander et French (1) ont souligné l'importance dans la thérapie psychanalytique.

Les implications du modèle théorique ACT rendent la relation thérapeutique fondamentalement égalitaire. La thérapie n'est pas la rencontre entre une personne défectueuse, déséquilibrée, «inférieure» et un être «supérieur» dont l'évolution serait «réussie», qui détiendrait une sagesse et des compétences le mettant à l'abri des aspects douloureux de la condition humaine. Comme le patient, le thérapeute est constamment confronté aux pièges impliqués par la capacité à élaborer des constructions verbales, que ce soit dans son travail de thérapeute ou dans sa vie en-dehors du cabinet de consultation.

Le thérapeute efficace ne se reconnaît pas à l'application mécanique de métaphores, d'exercices et de concepts mais à sa sensibilité à la situation du patient vue dans une perspective ACT. Lors de leur premiers contacts avec le modèle ACT, les thérapeutes ont tendance à s'enthousiasmer pour les interventions spécifiques que nous avons décrites dans les chapitres précédents, par les métaphores, les exercices expérientiels, le type de tâches assignées que nous proposons, à se laisser griser par l'aspect iconoclaste de la mise en question des a priori transmis par la communauté verbale. Le processus de la thérapie d'acceptation et d'engagement va cependant bien au-delà de ces interventions et de ces stratégies. Pour qu'elles déploient le type d'efficacité que nous souhaitons, le thérapeute doit être d'accord d'entrer avec le patient dans une relation ouverte, acceptante et cohérente, d'une manière qui concorde avec les principes ACT. (Hayes, S.C. et al. 1999) p. 268.

Le thérapeute va inévitablement être lui-même confronté, dans le cours de la thérapie, à des émotions et à des pensées désagréables : Il pourra se sentir irrité, frustré, ennuyé, désorienté. Il pourra avoir des pensées comme «je suis en train de me planter complètement». Si, à ce moment, il se «rattrape» avec une métaphore, un exercice ou une explication pour, en quelque sorte, «reprendre la main», son intervention sera inappropriée. Même si elle ressemblera, d'un point de vue topographique, à une intervention ACT, elle correspondra, d'un point de vue fonctionnel, à l'évitement d'une expérience désagréable. Le modèle offert au patient est alors à l'opposé de celui que nous aimerions lui donner et le processus thérapeutique risque de s'enliser. Ressentir de telles émotions, avoir de telles pensées et se laisser entraîner par elles «sur le terrain» n'est pas en soi une «mauvaise chose», ce n'est pas «quelque chose qui ne doit pas arriver à un bon thérapeute ACT». Adhérer à un tel credo représenterait d'ailleurs l'exemple même du fait d'«acheter» une pensée, d'entrer en «fusion» avec elle. Être un thérapeute ne signifie pas être immunisé contre ce genre de processus. L'expérience du thérapeute lui permettra cependant de reconnaître de plus en plus souvent et de plus en plus rapidement ce type de mouvement et d'y répondre d'une manière qui puisse apporter du grain à moudre au processus thérapeutique, par exemple en parlant au patient de la confusion qu'il ressent, des pensées qui lui viennent, et en s'engageant éventuellement avec lui dans un exercice de défusion. Le modèle ainsi donné est celui de la position d'observateur dans laquelle les expériences privées comme des pensées ou des sensations physiques ne sont pas rationalisées et justifiées mais appréciées avec du recul, de la même manière qu'on recule de quelques pas pour admirer un tableau. Il peut être particulièrement utile pour le patient de voir le thérapeute reconnaître ouvertement des phénomènes témoignant de sa vulnérabilité dans des situations où il aurait été facile de s'engager dans des comportements d'évitement. En appliquant les principes ACT à sa propre expérience, le thérapeute montrera aussi une bonne tolérance devant l'incertitude, l'ambiguïté, le paradoxe. Construire une vie riche et heureuse n'est pas une entreprise logique, il n'est pas nécessaire que nous ayons résolu verbalement toutes les contradictions par lesquelles nous pouvons nous sentir habités pour nous mettre en route. Nous ne voulons en rien cacher au patient que l'entreprise dans laquelle nous souhaitons qu'il puisse s'engager – la vie – est une affaire à hauts risques ni le protéger contre l'anxiété qu'un tel engagement va inévitablement mobiliser.

Steve Hayes a résumé dans une page que nous avons traduite les points principaux de l'attitude thérapeutique ACT.

(1) Alexander F. et French T.M. (1946), Psychoanalytic therapy: principles and application, N.Y. Ronald Press.

Philippe Vuille

3.2.1. L'attitude du thérapeute dans l'ACT

3.2.1. L'attitude du thérapeute dans l'ACT

Cette page est la traduction de la page ACT Therapeutic Posture

  • Quelle que soit l'expérience du patient, elle n'est pas un ennemi. Ce qui est blessant et traumatisant, c'est de se battre contre l'expérience du moment.
  • Vous ne pouvez pas épargner à vos patients les difficultés et les risques liés au fait de grandir et d'avancer dans la vie.
  • Refusez – toujours avec compassion – les bonnes raison du patient. Ce qui est important, c'est de savoir qu'est-ce qui l'aide à faire de sa vie ce qu'il voudrait qu'elle soit, pas ce qui est cohérent et raisonnable.
  • Si le patient se sent pris au piège, frustré, confus, effrayé, fâché ou angoissé, tant mieux. C'est exactement là-dessus qu'il faut travailler et c'est là maintenant. Saisissez cet obstacle comme une chance.
  • Si vous vous sentez vous-même pris au piège, frustré, confus, effrayé, fâché ou angoissé, tant mieux : vous êtes dans le même bateau que votre patient cela donnera une dimension plus humaine à votre travail.
  • Dans des domaines comme l'acceptation, la défusion, le soi et les valeurs, il est plus important en tant que thérapeute d'agir de manière conforme à ce que vous proposez plutôt que de donner des conseils au patient quant à la manière dont il devrait agir.
  • N'essayez ni d'argumenter, ni de convaincre. Ce qui compte, c'est la vie du patient et les expériences du patients, pas vos opinions et vos croyances. Vos croyances ne sont pas vos amies.
  • Vous êtes dans le même bateau. Ne tentez jamais de vous protéger en vous mettant en position de supériorité.
  • Ce qui compte, c'est toujours la fonction d'un comportement, pas sa forme ni sa fréquence. Si vous êtes dans le doute, vous pouvez toujours vous demander ou demander au patient : «Au service de quoi est cette action ?»
Philippe Vuille

3.3. Le déroulement de la thérapie

3.3. Le déroulement de la thérapie

L'analyse fonctionnelle demeure l'instrument privilégié du thérapeute et l'un des buts de la thérapie est d'apprendre au patient à l'utiliser lui-même en situation.

Dans un premier temps, on fera l'inventaire des efforts que le patient a déployés et continue à mettre en oeuvre au quotidien pour essayer de se débarrasser des sensations physiques et des pensées désagréables. Quelle en a été l'efficacité ? Ont-ils abouti de manière durable au but recherché ? Ont-ils aidé le patient à faire de sa vie ce qu'il aimerait en faire ? Quel en a éventuellement été le coût ? La thérapie fait constamment appel à l'expérience du patient et il est encouragé à croire son expérience plutôt que les théories, que ce soit celles qu'il a apprises ou celles de son thérapeute. Si le patient fait l'expérience que ses stratégies de contrôle et de maîtrise fonctionnent d'une façon qui lui convient, la thérapie peut s'arrêter là. L'ACT s'adresse surtout aux cas dans lesquels les stratégies de contrôle finissent toutes par aggraver dans un deuxième temps les difficultés qu'elles étaient censées résoudre et deviennent donc elles-mêmes un problème puisque le patient doit mettre à leur service de plus en plus d'efforts et abandonner ou remettre à plus tard la réalisation du projet de vie qui lui tient à coeur.

Des stratégies d'acceptation sont ensuite proposées comme une issue plus constructive dans un climat respectant la difficulté qu'il y a à les mettre en oeuvre. S'il était si facile de «lâcher prise», le patient ne serait pas en face de nous. Donner aux sensations physiques désagréables et aux pensées «catastrophisantes» la permission d'être présentes ne peut pas résulter d'une opération intellectuelle mais procède d'un choix que nous voulons rendre possible en donnant au patient les compétences nécessaires. Les processus de conditionnement relationnel ubiquitaires chez l'être humain permettent aux sonorités d'un mot (puis au simple fait de le penser) d'acquérir les fonctions de l'objet qu'il désigne. Nous parlons de «fusion» pour décrire les situations dans lesquelles ce processus domine l'expérience du sujet au détriment d'autres fonctions potentiellement disponibles dans son monde intérieur ou extérieur. Nous proposons donc au patient l'acquisition de stratégies de défusion qui lui permettront de renoncer plus facilement aux comportements d'évitement jusqu'alors habituellement mis en oeuvre. La domination des processus verbaux exerce des effets particulièrement problématiques dans le domaine de l'expérience de soi. Là-aussi, nous cherchons à promouvoir et à développer par des exercices faisant appel à l'expérience plutôt qu'au raisonnement un sens de soi comme d'un contexte inaltérable et permanent susceptible d'offrir un espace de sécurité à partir duquel le patient pourra s'exposer à des contenus psychologiques douloureux quand la direction qu'il souhaite donner à sa vie le demandera.

L'ACT repose sur deux stratégies d'intervention qui se sont avérées parmi les plus efficaces en thérapie comportementale : L'exposition et l'activation comportementale, qui ne sont cependant pas visées comme des buts en soi mais que nous cherchons toujours à mettre au service des valeurs propres du patient, des principes directeurs en fonction desquels il souhaite orienter son existence. Entrer en contact avec ses valeurs peut représenter une expérience douloureuse surtout si l'on a subi des traumatismes précoces et/ou qu'on a durant des années dû sacrifier ou remettre à plus tard ce qui nous tient vraiment à coeur. Le travail sur les valeurs constituera une partie importante de la thérapie dont le but fondamental est de permettre l'engagement dans des activités allant dans le sens des valeurs propres du patient.

Philippe Vuille

3.4. La futilité de la lutte

3.4. La futilité de la lutte

Ce n'est généralement qu'au bout d'une démarche longue et pénible que le patient décide de consulter un psychothérapeute, après avoir fait tout son possible pour tenter de régler lui-même les problèmes avec lesquels il se débat. La question de savoir ce qu'il attend de la thérapie représente souvent une bonne porte d'entrée dans l'analyse fonctionnelle. Il pourra mentionner des résultats qu'il souhaite obtenir comme de réussir à étudier, à voyager ou à établir une relation amoureuse mais insistera le plus souvent sur ce qui lui apparaît comme la condition indispensable à toute réussite existentielle : réussir à «gérer» son anxiété, à garder son calme, augmenter son «estime de soi», se débarrasser de ses sentiments d'infériorité et de ses doutes, en résumé : réussir à se sentir bien.

Nous nous intéressons alors à tout ce qu'il a fait jusqu'à présent pour essayer d'arriver lui-même à ce résultat. Nous passons en revue les diverses stratégies mises en oeuvre et regardons quelles en ont été l'efficacité et le coût. Ce travail permet habituellement de dégager les caractéristiques communes aux différents avatars de l'évitement d'expérience : On ne parvient que rarement, de façon incomplète et pour peu de temps à l'expérience de sérénité recherchée, il faut sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier et les coûts sont élevés en termes d'efforts galvaudés et de renoncements. A ce stade, le patient avance souvent l'idée que s'il n'a pas réussi, c'est parce qu'il n'est pas assez intelligent, trop «névrosé», paresseux etc. Nous reconnaissons la remarque comme logique et nous gardons de la mettre en question autrement qu'en rendant attentif le patient entre la discordance qu'il peut y avoir entre ce que lui dit son intelligence et ce que lui dit son expérience. Parler de «l'intelligence» comme d'une entité distincte introduit une des conventions de langage par lesquelles nous cherchons à atténuer la dominance des processus verbaux, à aider le patient à voir ses pensées pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles disent qu'elles sont.

L'exercice de l'allumette illustre comment les stratégies d'évitement d'expérience peuvent fonctionner lorsqu'elles sont appliquées à des pensées, des images et des sensations physiques modérément désagréables mais vont à fins contraires dès que l'intensité de l'inconfort dépasse un certain seuil. L'exercice des trois chiffres, la métaphore de la personne tombée dans le trou, la métaphore «nourrir le tigre» ou celle de la chambre pleine de toile adhésive peuvent également être utiles à ce stade de la thérapie.

Cette phase du traitement est parfois appelée «désespoir créatif». Elle peut être difficile pour le thérapeute qui doit renoncer à l'attitude de «réassurance positive» que le simple bon sens propose à quiconque veut venir en aide à une personne qui souffre. A y regarder de plus près, le désir de rassurer s'inscrit dans une logique d'évitement par le thérapeute des émotions pénibles auxquelles il va devoir faire face devant la souffrance d'autrui : «Ne ressens pas ce que tu ressens pour que je n'aie pas à ressentir ce que je ressens quand tu ressens ce que tu ressens.» Si le travail thérapeutique est bien mené, le patient va se sentir moins seul, réaliser qu'il n'est pas «détraqué», défectueux ou fou mais simplement pris dans un piège que les efforts qu'il fait pour s'en libérer ne font que resserrer autour de lui. L'exercice des menottes chinoises illustre ce point, il permet aussi de suggérer une autre attitude que nous cherchons à décrire avec des termes comme «donner son accord».

Philippe Vuille

3.5. Les stratégies de défusion

3.5. Les stratégies de défusion

Le concept de fusion cognitive fait référence aux situations dans lesquelles ce sont les fonctions dérivées par des processus de cadrage relationnel (donc les fonctions verbales) qui l'emportent, dans la régulation du comportement, sur les fonctions psychologiques directement disponibles dans l'environnement. Le monde verbalement construit est alors confondu avec le monde «réel», qu'il s'agisse du monde extérieur ou de la personne même de l'individu. Le mot, l'événement qu'il désigne et le sujet qui le décrit s'amalgament dans des formules comme : «je panique» ou «je suis déprimé». Dans le contexte de littéralité ainsi établi, les pensées et les émotions vont se trouver en quelque sorte «en prise directe» sur le comportement et fonctionner de manière à en apparaître comme les causes.

On connaît la boutade : «J'ai longtemps cru que mon intelligence était mon organe le plus important jusqu'à ce que je comprenne qui me disait ça.» Nous avons l'habitude de confondre nos pensées avec ce qu'elles nous disent qu'elles sont. Pour beaucoup d'opérations mentales, un tel raccourci est fort utile et, dans les situations d'urgence, il peut nous sauver la vie. Il vaut mieux fuir une fois de trop... Les réglages par défaut d'un système affiné par des millénaires de sélection évolutive pour assurer la survie, et la programmation que notre passé peut y avoir inscrite font cependant qu'il peut s'avérer de mauvais conseil quand il s'agit de conduire notre vie de manière qu'elle puisse s'épanouir. On pense à ces conducteurs qui ont suivi la voix synthétique de leur GPS plutôt que de regarder la route et dont le véhicule a fini coincé dans une impasse ou immergé dans un cours d'eau.

Les exercices de défusion ont pour but de développer la capacité de voir les pensées pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles nous disent qu'elles sont, la capacité d'observer les processus de cadrage relationnel en train de se faire plutôt que de nous laisser emporter par leur résultat.

La stratégie de défusion la plus simple consiste en une convention de langage. On peut s'exercer à utiliser une formule comme «j'ai la pensée que...» pour créer un effet de distanciation. Les pensées sont comme une «radio dans la tête» et chacun de nous peut identifier les programmes qui passent le plus souvent à l'antenne : Radio-catastrophe, Radio-t'es moche, Radio-t'as fait tout faux... En répétant inlassablement sur le mode de l'exercice «chocolat, chocolat» une pensée difficile, on peut faire l'expérience qu'il ne reste plus qu'un amalgame de sons vidés de leur pouvoir d'évocation. On peut s'exercer à altérer différents aspects du langage en prononçant les mots très lentement, avec un accent étranger ou avec la voix d'un personnage de dessin animé ou celle d'un homme politique. La métaphore des représentants de commerce ou celle du bus, qui illustre en outre la notion de valeurs, sont souvent utiles à ce stade.

Philippe Vuille

3.6. Soi comme contexte

3.6. Soi comme contexte

L'ACT distingue trois variantes de l'expérience de soi :

1. «Soi comme contenu» désigne le soi conceptualisé que nous construisons constamment pour donner un sens à notre histoire. Cette notion se rapproche du concept de scénario de vie. Le besoin de maintenir la cohérence de l'histoire ainsi construite favorise l’interprétation des expériences éventuellement susceptibles de la modifier dans un sens où elles vont en fin de compte la confirmer. L'ACT vise à mettre en cause cette construction, à la démonter non pas en l'attaquant mais en affaiblissant la domination des processus verbaux et le contexte de littéralité qui contribuent à lui donner le pouvoir d'orienter les choix du sujet.

2. «Soi comme processus» désigne la faculté d'établir une relation d'équivalence entre un ensemble aux contours mal définis de sensations corporelles, de prédispositions comportementales et de pensées, et le nom d'une «émotion». Notre orientation dans la complexité des situations de la vie en société dépend du processus continu d’élaboration verbale de nos états intérieurs qui fait la différence entre la peur de l’animal et l’angoisse de l’être humain. Pour établir et consolider cette faculté qui correspond à ce que d’autres orientations psychothérapeutiques appellent la capacité d'être «proche de ses émotions» ou d'avoir «accès à ses émotions», il faut que les réponses de l'environnement précoce soient correctes et appropriées à ce que l’enfant ressent. Elle sera donc insuffisamment développée en cas de carences et de traumatismes précoces et tout particulièrement dans les situations d'abus où le feed-back de l'environnement a été mensonger («tu aimes ça»). Les personnes qui ne savent pas appliquer des catégories émotionnelles de manière adéquate ont beaucoup de peine à faire des choix qui leur soient profitables. L’ACT s'efforce d'établir un climat thérapeutique favorable au développement de cette capacité.

3. « Soi comme contexte » est une notion difficile à saisir. Dans un articlepublié en 1984, Steve Hayes a décrit l'expérience de soi comme une perspective ouverte et sans limites. Comme c'est toujours depuis là que je regarde, je ne peux pas voir cette «chose» (qui n'est pas une chose puisqu'elle n'a pas de limites) mais seulement l'expérimenter d'une manière restant le plus souvent fugace. Cet aspect de la subjectivité humaine est à la base des expériences de transcendance et de spiritualité, il est d’une importance fondamentale pour la thérapie. Nous cherchons à le développer grâce à des exercices et des métaphores. Faire l'expérience qu'il y a au moins un fait immuable et stable à propos de soi-même qui n'est ni une croyance ni un espoir ni une idée (toutes notions constitutives du « soi comme contenu ») peut représenter une ressource, un lieu sûr permettant au patient d'accepter la confrontation avec des expériences extrêmement douloureuses en sachant que, quoi qu'il arrive, cette réalité restera inchangée. Pour utiliser un langage imagé : quelle que soit l'intensité de la tempête, le ciel lui-même n'en est pas affecté.

Afin de favoriser l’engagement dans des comportements orientés par lesvaleurs l'ACT s'efforce de développer le sens de «soi comme contexte» comme un lieu sûr depuis où l'exposition devient possible et des stratégies de «défusion» par lesquelles nous voulons rendre visible le processus d'élaboration verbale plutôt que ses résultats. Nous cherchons à modifier le contexte de littéralité des pensées plutôt que leur contenu, à les voir pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles disent qu'elles sont. Le simple fait d’encourager, dans l’analyse fonctionnelle, une distinction entre pensées, images et sensations physiques va déjà dans le sens de la défusion.

La métaphore de la partie d'échecs permet d'illustrer la notion de «soi comme contexte». D'autres métaphores peuvent également être appropriées comme une maison en tant que cadre immuable pour tout ce qui s'y passe. L'exercice de la position d'observateur et d'une manière plus générale toutes les techniques de pleine conscience permettent de développer le sens de «soi comme contexte».

Philippe Vuille

3.7. La notion de valeurs

3.7. La notion de valeurs

Il s'agit certainement du concept qui m'a donné – et qui me donne encore – le plus de fil à retordre dans mon travail d'assimilation du modèle sous-tendant l'ACT. Une des difficultés vient sans doute du fait que ce concept fait appel à des dimensions de l'expérience difficiles à rendre avec des mots.

Commençons par un résumé : Les comportements qu'un animal va émettre dans une situation donnée sont fonction de ses expériences passées. L'acquisition du langage change la donne pour l'être humain, dont les comportements pourront aussi être fonction de constructions verbales et qui pourra ainsi agir dans un but. La notion de valeurs fait référence à des constructions verbales plus abstraites que les buts. On peut dire qu'une valeur fonctionne comme l'organisatrice d'une succession de buts dans un «pattern» qui leur donne une cohérence et un sens. Valuer est une action comparable à un choix et non à un jugement ou à une décision raisonnée. Il faut des compétences verbales pour pouvoir valuer mais les processus verbaux peuvent aussi interférer avec l'action de valuer. Valuer représente un processus particulièrement intime et personnel.

Les sources de l'élaboration qui va suivre sont essentiellement manuel d'ACT de 1999 et le livre ACT for chronic pain. Elle doit aussi beaucoup aux contributions publiées sur le forum de discussion international.

Quelques précautions de langage, encore, avant de commencer : Quand nous parlons de valeurs (ou, pour utiliser l'expression de Hank Robb, de «principes directeurs») pour désigner ce dont nous voulons parler ici, nous utilisons destermes cliniques dont nous ne pouvons – pour le moment – pas fournir de définition opérationnelle. Une définition opérationnelle de la notion de valeurs passera par un compte-rendu complet des concepts du comportement gouverné par des règles dans les termes de la TCR.

Par sa tendance à «chosifier» des actions, le langage favorise une conception mentaliste et mécaniste de la condition humaine. Il serait souvent plus approprié de parler de l'action de «valuer» et il m'arrivera donc d'utiliser ce verbe.

Hank Robb compare la vie à une jungle dans laquelle nous avançons : Si nous regardons en arrière, nous voyons un chemin, celui que nos actions ont tracé. Mais si nous regardons devant nous, il n'y a pas de chemin car personne n'a jamais vécu notre vie avant nous. L'ACT part du principe que chaque être humain, quelle que soit les troubles dont il souffre ou la difficulté de la situation de réalité dans laquelle il se trouve, a tout ce qu'il faut pour définir une direction dans laquelle il veut orienter la suite de sa vie.

«Qu'est-ce que la vie attend de vous ?» aimait à demander Viktor Frankl à ses patients. La lecture de son livreDécouvrir un sens à sa vie avec la logothérapie est recommandée à quiconque souhaite approfondir la notion de valeur. Nous devons chaque jour faire des dizaines et des dizaines de choix qui vont contribuer à donner une forme, un visage à notre vie. Chacun de ces choix va contribuer à définir le fils ou la fille, le ou la camarade, époux(se), parent, professionnel, collègue, etc. que nous sommes. Nous ne devons pas nous leurrer : quelle que soit la hauteur de nos «bonnes intentions», la pureté et l'intensité de nos sentiments, notre conjoint, nos enfants, nos amis, nos patients ne se souviendront pas de ce que nous avons pensé, ressenti ou «voulu» mais de ce que nous avons fait (et dit), et c'est cela qui définit sans doute le mieux qui nous «sommes». Alexandre Jollien raconte comment les philosophes de l'antiquité lui ont appris qu'on pouvait «sculpter sa vie pour en faire une oeuvre d'art» et il s'emploie à en faire la démonstration au quotidien.

Skinner a défini le comportement opérant comme le champ même de l'action dirigée et de l'intention. Quand nous disons qu'un rat presse un levier «dans le but» de recevoir un granule de nourriture nous interprétons dans les termes du langage courant un phénomène dont l'analyse scientifique nous dit que ce sont les expériences passées du rat (le fait que ce type d'action a été dans le passé suivi par l'apparition de nourriture) qui déterminent ce que nous interprétons comme un comportement orienté vers un but futur. Le «futur» dont nous lui prêtons ainsi la conception n'est que l'actualisation présente d'expériences passées. D'où la formule : L'intention d'un organisme non-verbal, c'est le passé en tant que futur dans le présent (Hayes, 1992).

Grâce à des cadres relationnels de type «si-alors» et «avant-après», l'être humain est capable de construire les conséquences verbales de ses actions. La capacité de cadrer relationnellement de cette manière a bien été apprise dans le passé mais les conséquences que nous construisons aujourd'hui peuvent être des conséquences dont nous n'avons jamais fait l'expérience. Notre comportement n'est donc pas uniquement régulé par les conséquences dont nous avons fait directement l'expérience dans le passé, mais aussi par celles que nous sommes capables de construire verbalement. Cela nous permet d'agir dans un but, c'est-à-dire pour que survienne un événement spécifique que nous avons désiré. Réussir un examen, acheter une maison, avoir un enfant sont des buts qui peuvent être réalisés.

Les valeurs correspondent à une catégorie de constructions verbales se situant à un niveau différent. Nous aurions beaucoup de peine à nous satisfaire d'une vie qui ne serait vécue que pour accomplir des buts. Dans une telle vie, les seuls moments où nous recevrions un renforcement pour nos actions seraient les moments où nous atteignons un but concret et l'instant présent n'aurait donc pas d'autre valeur que son rôle dans l'accomplissement d'un but futur. Une telle vie ne pourrait être que fade et vide. De plus, nos compétences verbales nous confrontent tôt ou tard à l'idée de la mort. Non seulement nous savons que nous allons mourir mais nous savons que tous ceux que nous aimons vont mourir aussi et que tout ce que nous aurons réalisé finira par disparaître. Nous avons donc besoin d'autre chose que de réaliser des buts. Le raisonnement que nous venons d'esquisser aboutit à la constatation autour de laquelle Viktor Frankl a construit le système de psychothérapie qu'il a appelé «logothérapie» : L'homme a besoin de sens. Nous pouvons faire davantage que d'orienter nos actions en fonction de buts concrets. Nous pouvons choisir maintenant, tout de suite, de donner de l'importance à certaines qualités des «patterns» d'action en cours. Ce n'est alors plus seulement le but qui est important mais aussi le chemin. La capacité de donner un sens émerge ainsi comme une action naturelle de l'être humain. Le «fait» que nous allons mourir et que tout ce à quoi nous tenons va disparaître ne peut rien enlever au choix que nous faisons dans le moment présent de valuer, d'accorder de l'importance à une direction, à une manière de faire ce que nous faisons.

Réussir un examen n'a de sens que dans une perspective plus large, plus abstraite, celle du professionnel qu'on voudrait être. Acheter une maison prend son sens dans la perspective de fournir aux personnes que l'on aime un cadre de vie sûr et agréable et/ou dans celle de construire et d'aménager un espace personnel. Avoir un enfant s'inscrit dans le contexte de la manière dont on voudrait jouer le rôle de parent. Les valeurs apparaissent ainsi comme des «buts de buts» à caractère abstrait qui, contrairement à des buts concrets, ne peuvent jamais être atteints et qui continuent sans cesse à générer et à organiser d'autres buts. Elles donnent une cohérence et un sens à la succession de nos choix. Les buts successifs que nous nous fixons ne sont pas sans rapport les uns avec les autres, nous ne les choisissons pas au hasard dans l'infini des options possibles – pour autant que nous ne soyons pas pris dans lalogique fallacieuse de la nécessité d'échapper à un inconfort ou d'éviter qu'il ne survienne, puisque l'impératif prioritaire devient alors celui de s'en aller de la position qu'on occupe, quelle que soit la destination.

L'ACT définit les valeurs comme des directions de vie verbalement construites, globales, désirées et choisies. Elles peuvent se manifester à travers certains comportements mais jamais possédées comme on possède un objet. La valeur d'«être un professionnel compétent» n'est pas apparue le jour de l'examen. Elle était déjà là le jour où nous nous sommes inscrits à l'université ou dans une école professionnelle. Si nous regardons en arrière, nous pouvons voir comment elle a organisé depuis longtemps certains de nos comportements. Même celui qui reçoit le prix Nobel va continuer à construire des buts orientés par ses valeurs professionnelles. «Être un parent aimant, disponible et présent» ne s'arrête ni le jour où mon enfant atteint la majorité civile ni quand il quitte la maison ou quand il devient lui-même parent. «Prendre soin de ma santé» ou «construire une relation de couple basée sur l'amour et la confiance» ne sont pas des tâches que l'on peut terminer; elles peuvent de plus commencer n'importe où, n'importe quand et organiser le comportement dans n'importe quelle situation. Si je me procure des seringues propres pour m'injecter de l'héroïne, c'est déjà prendre soin de ma santé, et si je commence à me laver régulièrement pour augmenter mes chances de trouver une partenaire, j'ai déjà commencé à «construire une relation de couple basée sur l'amour et la confiance».

Nous qualifions les valeurs de «globales» parce qu'elles sont toujours disponibles. Valuer, c'est toujours ici et maintenant, et c'est toujours dans l'action. Les valeurs confèrent à notre action du moment un sens, une vitalité liée à l'impression que notre vie prend la forme que nous souhaitons lui donner. Il est aussi difficile de décrire cette sensation avec des mots qu'il serait difficile de décrire une couleur à une personne qui ne l'aurait jamais vue. C'est pourquoi l'ACT préfère utiliser des techniques permettant au patient de faire des expériences plutôt que de donner des «explications» verbales. De la même manière qu'on ne peut apprendre à un enfant la différence entre le rouge et le vert qu'en lui faisant voir des objets de ces deux couleurs, la différence entre une action valuée au sens où nous venons de le décrire et une action visant à échapper à des sensations et des pensées désagréables – ou à obtenir des sensations et des pensées agréables, ce qui est souvent pratiquement équivalent – peut difficilement être apprise autrement qu'en ayant un contact direct et personnel avec les sensations qu'il s'agit de discriminer. C'est pour la même raison que les ateliers expérientiels occupent une place de choix dans la formation en ACT.

Valuer, ce n'est pas juger ou décider rationnellement, valuer c'est choisir. L'ACT repose sur une vision contextualiste fonctionnelle du monde dans laquelle c'est le fonctionnement réussi qui sert de critère de véracité. Pour savoir si un fonctionnement est réussi, nous devons savoir dans quelle direction nous voulions aller. Les valeurs ont donc un rôle fondamental puisque ce sont elles qui fournissent l'étalon de référence, le «mètre» avec lequel nous allons mesurer le résultat de nos actions. Ce «mètre» ne peut être que choisi, il ne peut pas faire l'objet d'un jugement ou d'une évaluation raisonnée. Juger, c'est en effet appliquer une métrique verbale pour choisir entre différents cours d'action. On aboutit à un paradoxe logique si l'on veut évaluer les valeurs de cette manière puisqu'il nous faudrait pour ce faire disposer d'un étalon de référence et que ce sont les valeurs qui le fournissent. Si nous voulons évaluer nos valeurs, avec quel autre jeu de valeurs le ferons-nous ?

Valuer représente donc un processus intime et personnel, un libre choix de l'individu. Le lecteur attentif du matériel présenté sur ce site objectera que, puisque nous nous inscrivons dans une philosophie déterministe, nous ne pouvons pas parler de «libre choix». Je répondrai que nous le faisons ici dans le contexte du langage clinique. D'un point de vue scientifique, nous adhérons à la thèse développée par Dawkins qui a montré dans «Le gène égoïste» comment les valeurs d'altruisme chez l'être humain ont été sélectionnées par l'évolution. Le fait que l'action de valuer corresponde au résultat d'une sélection génétique puis culturelle et soit, de ce fait, déterminée par des facteurs extérieurs n'enlève rien au fait qu'au moment où nous devons nous-même choisir nos valeurs, nous ne pouvons que le faire de l'intérieur, sans chercher à nous protéger par des raisonnements verbaux. Pour un organisme non-verbal, un choix correspond simplement à une sélection entre différents cours d'action. En ce sens, chaque action est un choix. Pour l'être humain, le fait de choisir est compliqué par l'intervention des processus verbaux. Son intelligence va immédiatement construire toutes sortes de «raisons» verbales en faveur ou en défaveur des différents cours d'action envisageables. Si la sélection qu'il va faire entre différents cours d'action est justifiée et expliquée par ce type de raisonnement, elle procédera d'un jugement. Si par contre la personne remarque la présence des «pour et contre» verbaux que toute situation de choix entraîne inévitablement chez l'être humain et qu'elle «sélectionne simplement» un cours d'action, en présence de ces raisons mais pas pour ces raisons, alors nous parlons d'un choix. Dans ce sens particulier, les valeurs sont un choix. Nous avons vu que, comme les valeurs livrent la métrique de base servant à toute évaluation, elles ne peuvent pas elle-même être déterminées par une évaluation verbale. L'opération que nous venons de décrire (choisir en présence de raisons mais pas pour des raisons) nécessite des compétences de défusion cognitive et devient très difficile pour l'être humain quand il se laisse emprisonner dans les pièges de la logique verbale. On arrive à ce paradoxe apparent : Pour pouvoir valuer, il faut des compétences verbales. Celles d'un enfant de 6 ans y suffisent sans doute. Mais les processus verbaux peuvent aussi faire obstacle à l'action de valuer. Chez l'adulte, le travail sur les valeurs passera ainsi le plus souvent par des stratégies d'affaiblissement de la dominance des processus verbaux.

Philippe Vuille

Travail sur les valeurs avec des patients «difficiles»

Travail sur les valeurs avec des patients «difficiles»

Il suffit de demander à une personne agoraphobe ce qui changerait dans sa vie si par miracle son problème anxieux disparaissait pour voir s'ouvrir devant soi tout un catalogue d'aspirations.

Le problème est beaucoup plus complexe chez les populations réputées difficiles à soigner : Patients douloureux chroniques, «troubles de la personnalité» (nous préférons parler, dans l'ACT, de «patients à problèmes multiples»), évolutions toxicomaniaques. Plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Après des années passées à essayer de ne plus souffrir ou à rechercher l'extase que donnent les toxiques, il peut être très difficile et surtout très douloureux pour une personne d'entrer en contact avec ce qui compte vraiment pour elle, avec les valeurs qui lui sont les plus chères. Les personnes qui ont connu des expériences précoces de négligence et/ou d'abus (on retrouve ici probablement un grand nombre de patients «à problèmes multiples») ont très tôt fait l'expérience que, quand elles exprimaient ouvertement ce qui comptait le plus pour elles, elles étaient régulièrement confrontées à beaucoup de souffrance et de déception.

Valuer est un processus très intime. Si je vous dis ce qui compte vraiment le plus pour moi, je me mets en position de vulnérabilité devant vous puisqu'il vous sera facile alors d'avoir barre sur moi. Il faut donc procéder avec beaucoup de délicatesse et de respect lorsqu'on veut avancer dans ce domaine. Dans le travail sur les valeurs, nous allons approcher des zones douloureuses puisque c'est en allant là où il y a de la vulnérabilité que nous pouvons trouver les valeurs avec lesquelles nous voulons travailler. Nous le faisons toujours avec beaucoup de précautions et en demandant explicitement, à chaque nouveau pas, au patient de nous donner la permission d'aller de l'avant. Nous appliquons ainsi un principe béhavioriste bien établi expérimentalement : les êtres humains – et en cela ils ne diffèrent pas des organismes non-verbaux – préfèrent les événements aversifs qu'ils peuvent contrôler à ceux qu'ils ne peuvent pas contrôler.

Le 2 octobre 2003, Kelly Wilson avait répondu ce qui suit à un thérapeute qui demandait comment appliquer l'ACT chez des toxicomanes envoyés par une autorité. A l'époque, il rédigeait avec Michelle Byrd un chapitre («ACT for Substance Abuse and Dependence») pour le recueil A practical guide to Acceptance and Commitment Therapy.

Quand un patient est contraint de vous voir (...) il va se défendre. Dans de tels cas, la première chose qu'il vous faut c'est trouver une place où vous pouvez vous rencontrer et travailler ensemble.

(...) Souvent, les patients toxicomanes arrivent braqués, ils ne veulent pas être là. Ils ne voient pas où est le problème, ne comprennent pas pourquoi on se mêle de leur vie. Après tout c'est leur problème. Je pense qu'il faut vraiment aller à la rencontre du patient et si c'est là qu'il est, c'est là qu'il faut aller et essayer de saisir comment c'est d'être à sa place. Si vous n'arrivez pas à saisir, de l'intérieur, à quel point ça le gonfle d'être là, comment c'est de vivre une vie où vous êtes le mouton noir, vous aurez de la peine à faire votre travail.

Dans un tel cas, je commencerais avec les plaintes, le mécontentement, le ras le bol, la colère. Si vous allez trop vite vers les valeurs avec quelqu'un qui est à cran, il le vivra comme (1) intrusif (il ne vous a pas donné la permission) ou (2) rien qu'une nouvelle situation où il passe en jugement ou (3) vous obtiendrez de la pseudo-compliance braquée (Kelly utilise le terme «pissed off pseudo-compliance») par opposition à de la pseudo-compliance non-braquée, voir la transcription ci-dessous.

Le travail sur les valeurs est une affaire intime et vous ne pouvez pas entrer dans une relation d'intimité avec quelqu'un sans qu'il vous en ait donné la permission. Essayez donc de devenir intime avec la personne qui est derrière vous dans la file d'attente à l'épicerie et vous verrez ce que je veux dire (...) Avec les personnes qui sont dans la douleur, il vous faut aussi demander la permission, quand bien même il y a une sorte de permission implicite dans la vulnérabilité avec laquelle ils se présentent (je préfère malgré tout demander explicitement leur permission et c'est ce que je fais).

Commencez donc par le mécontentement du patient d'être là. Commencez avec ce qui l'amène. Comment ça va ? Est-ce que sa femme lui casse les pieds ? Ou son patron ? Comment est-ce que ça le gonfle ? Une plainte est toujours un bon point de départ parce que si vous suivez la piste de la plainte elle vous amènera toujours à une vulnérabilité et que derrière une vulnérabilité il y a une valeur (sinon il n'y aurait pas de plainte). Dans un certain sens, on est là dans un registre d'ACT standard : vous pouvez commencer où vous voulez à condition que ce soit là où le patient est. Allez où il est. Mettez-vous à sa place. Renvoyez-lui ce que vous avez vu et voyez avec lui si c'est bien ça.

Vous trouverez ci-dessous un extrait du chapitre. Le profil du patient est celui d'un toxicomane pseudo-compliant non-braqué. Je suis sûr que vous voyez des patients comme ça (...) Principe de base : Allez où il se trouve. Vous devez aller où il y a de la vulnérabilité pour travailler sur les valeurs. Ces patients qui vous donnent du fil à retordre sont massivement défendus. Vous devez d'abord aller où ils sont. Il n'y a que depuis là que vous pourrez partir en voyage avec eux.

L'entrée en traitement d'une personne est souvent entourée d'événements coercitifs. Dans le cas le plus extrême, le patient reçoit l'ordre de suivre un traitement sous la menace d'être incarcéré. Même dans ces cas extrêmes, une relation thérapeutique solide et un contrat thérapeutique sont typiquement possibles. Pour qu'un tel contrat puisse être établi, tout ce qu'il faut c'est une valeur partagée entre le thérapeute et le patient qui puisse donner du sens et de la dignité au travail thérapeutique. La capacité du patient à prendre lui-même les décisions à propos de la manière dont il veut mener sa vie représente très souvent une valeur à propos de laquelle thérapeute et patient peuvent se mettre d'accord. C'est peut-être paradoxal mais je ne crois pas que ce soit discordant : Je peux moi-même, en tant que thérapeute, travailler très dur avec un patient pour qu'il puisse avoir la liberté de mettre fin au traitement. (Franchement, est-ce que vous aimeriez ça ? Même si vous saviez que vous avez besoin d'aide, est-ce que ça vous plairait d'être contraint de suivre un traitement sous la menace ?)

Thérapeute : J'ai bien compris que vous venez en traitement par ordre du tribunal. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais moi je n'aime pas qu'on me donne des ordres. Alors je veux que vous sachiez que je m'attends à ce que vous ayez des réactions négatives devant le fait d'être ici. Personnellement, je détesterais qu'on me commande comme ça.

Patient : Non. J'ai dit au juge que je voulais vraiment faire un traitement. J'ai eu trop de problèmes à cause de la défonce.

Thérapeute : Tant mieux. Si c'est clair pour vous que de vous défoncer ne vous aide pas à aller de l'avant avec votre vie, alors je veux vous aider à travailler là-dessus. Malgré tout, j'aimerais que ce soit tout-à-fait clair pour vous que nous pouvons faire un travail très important ensemble même si vous détestez l'idée d'être obligé de venir. En fait, si vous êtes furax ou si vous avez des sentiments mélangés à propos de votre présence ici, ça sera très utile si vous le dites sans détours. Je veux prendre un certain nombre d'engagements devant vous, ici et maintenant : D'abord, je m'engage à ne pas me plaindre aux autorités que vous ne suivez pas bien le traitement si vous me dites que vous êtes furax d'être ici. En fait, je pourrais même dans un tel cas dire que le traitement avance bien parce que ça voudra dire que nous sommes en train de parler de ce qui compte pour vous, de ce que vous voulez faire de votre vie, et c'est bien de ça qu'il s'agit dans le traitement. Je m'engage aussi, ici et maintenant, à ne pas essayer de vous convaincre que le traitement est bon pour vous ou même que c'est mal de consommer des drogues et que vous devriez arrêter. Je ne considère pas que ce soit mon boulot de vous dire de telles choses. Bien sûr je pourrais penser que, si j'étais à votre place, je chercherais à faire un traitement, mais qu'est-ce que nous en avons à faire ? Quelle différence est-ce que ce que je pense va faire ? C'est votre vie, ce n'est pas la mienne et ce sera votre direction que nous prendrons, pas la mienne. Je suis sûr que le juge n'était pas la première personne à vous dire comment vous devriez mener votre vie. Si ce genre de conseil était efficaces, il y a longtemps que ça aurait marché. Je veux plutôt que ce traitement soit à propos de vos désirs les plus chers. Je ne m'attends pas nécessairement à ce que vous croyiez ce que je suis en train de vous dire maintenant. Ce que j'attends, c'est que vous puissiez faire l'expérience ici d'une impression que votre vie a un sens, une direction, et que vous puissiez vous rendre compte que notre travail est utile pas sous forme d'une pensée mais sous la forme de l'expérience directe que vous faites de l'avance dans votre vie.

Attitude en face des cognitions et de émotions «négatives»

Cette discussion préliminaire contient un certain nombre de composantes de l'ACT. Les réactions négatives au traitement ne sont pas notre ennemi. De même, des sentiments d'ambivalence envers l'usage de la drogue ne sont pas notre ennemi. Le patient ne s'en rendra pas compte à ce stade du traitement. Néanmoins, nous avons commencé à planter le décor dans cette conversation initiale. Il pourra être important de remarquer les pensées et les émotions, mais ce ne sont pas elles qui seront décisives dans le traitement. Le traitement sera plutôt centré sur les valeurs, l'engagement, et sur l'expérience directe du patient à propos de ce qui marche et de ce qui ne marche pas.

«One-Up, One-Down» : Le pouvoir dans la relation thérapeutique

Il y a beaucoup de lutte pour le pouvoir dans le monde du traitement des personnes toxico-dépendantes. C'est en partie à mettre sur le compte d'une réaction défensive des thérapeutes. Les toxico-dépendances peuvent s'avérer incroyablement résistantes au traitement. Ça fait mal de voir nos patients échouer. Quand nous nous trouvons en face d'événements douloureux incontrôlables, notre tendance naturelle est d'augmenter nos efforts de contrôle. Quand le toxicomane échoue dans le traitement, nous cherchons les raisons de cet échec. Si on leur donne le choix entre blâmer quelqu'un d'autre et se blâmer eux-mêmes, la plupart des gens vont préférer blâmer quelqu'un d'autre. Le toxicomane est la cible idéale. Beaucoup de personnes dans sa vie (y compris lui-même) l'ont blâmé et c'est facile de se mettre dans la position de celui qui est moralement supérieur et de le traiter comme celui qui est en bas.

Dans cette interaction, nous avons explicitement commencé à cultiver une relation de collaboration. Certains éléments de la collaboration sont évidents dans le fait que le thérapeute prend l'engagement de travailler pour les désirs les plus chers du patient. Ce n'est pas une attitude typique dans le monde du traitement des toxico-dépendances. Ce qui est beaucoup plus typique, c'est de mettre en place un jeu de règles sévères pour le traitement et d'avertir le patient que toute transgression aura pour conséquence l'exclusion de la thérapie et un rapport défavorable au juge qui l'a adressé.

Dans ce courriel, Kelly disait n'avoir pas le temps de présenter encore le cas un peu plus ardu du client non-compliant «braqué» («pissed-off»). On le trouve dans le chapitre cité plus haut, en page 159 :

Patient : Ça m'emm... d'être ici.

Thérapeute : Oui, je ne peux pas non plus dire que j'aime qu'on me dise ce que je dois faire. C'est probablement pour ça que je fais ce boulot. Au moins pendant que je suis entre ces 4 murs, je suis mon propre patron. Je détesterais qu'on me force à venir voir un type comme moi. J'aimerais pourtant qu'une chose soit bien claire. Ici, je travaille pour vous. Tant que vous n'aurez pas quitté ce traitement, je vais travailler sans relâche et sans concessions à votre service. Je suis sûr que nous trouverons au moins une chose à propos de laquelle nous pourrons nous mettre d'accord comme but du traitement. En ce moment précis, vous êtes obligé d'être ici sans quoi vous seriez mis en prison. Je n'aime pas qu'on me dise ce que je dois faire et je n'aime pas non plus que qui que ce soit soit obligé de faire des choses qu'il ne veut pas faire. Il me semble donc que ce serait un résultat formidable si notre travail vous permettait d'arriver à une position ou vous pourriez choisir si vous voulez ou non faire une thérapie. Je ne m'attends pas à ce que vous me croyiez quand je vous dis ça. Après tout, je fais partie du système qui restreint votre liberté. Et pourtant, ici et maintenant, je déclare que je travaille pour vous servir et la seule façon dont vous pourrez m'en empêcher c'est de partir et de ne pas revenir. Je ne vous demande pas de me croire. Ce n'est pas de ce que vous croyez et de ce que vous ne croyez pas qu'il est question ici. Ce que je vous dis, c'est ce qui compte pour moi. Regardez-moi. Laissez votre propre expérience vous dire du côté de qui je suis ici. Laissez-moi vous demander une chose. Imaginez que vous avez un interrupteur, ici. Si vous l'actionnez, être en traitement sera entièrement votre choix. Ce n'est pas un interrupteur qui vous met dans le traitement ou dehors du traitement, c'est juste un interrupteur qui fait que d'être en traitement sera entièrement votre choix. Est-ce que vous actionneriez cet interrupteur ? Si c'était possible que ce que je vous ai dit corresponde exactement à mes intentions et que de travailler comme ça pour vous pouvait aboutir à ce que ça puisse être un choix pour vous d'être ici, est-ce que ça serait quelque chose d'important pour vous ?

Les auteurs du chapitre concluent la présentation de ces deux situations problématiques en début de traitement avec les commentaires suivants :

L'hypothèse sous-jacente, ici, c'est que ces répertoires, à la fois surcompliant et méfiant, n'ont pas fonctionné. Si vous en tant que thérapeute renforcez un comportement trop compliant ou si vous essayez de contrer une attitude de défiance butée, vous allez probablement répondre comme le fait habituellement la communauté juridique et thérapeutique et vous arriverez sans doute aux mêmes mauvais résultats. Notre hypothèse de travail dans l'ACT c'est que même les patients toxicomanes les plus chroniques sont capables de valuer et de choisir. Si nous voulons réussir le traitement, le toxicomane doit «sortir du bois», identifier quelles sont les directions de vie qu'il value et faire des choix. Toute la question de savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas est liée à la question de savoir quels sont les résultats de vie qui sont valués. Si vous croyez que le toxicomane chronique est une personne «défectueuse», incapable d'entrer en contact avec des valeurs et de faire des choix, ce message infiltrera de manière implicite votre interaction thérapeutique.

En juin 2003, une discussion à propos du travail sur les valeurs sur le forum de discussion international d'ACT est partie de la question de savoir qui soutiendrait dans ses valeurs un homme dont le rêve serait de faire autant de mal que possible à des êtres humains et à des animaux sans défense.

Laurie Greco avait répondu :

Je ne le soutiendrais évidemment pas (...) J'ai parfois trouvé que les valeurs déclarées d'un patient et les actions qui les soutiennent étaient fonctionnellement équivalentes à : Je veux être un [vous pouvez remplacer ici par la formule de votre choix : névrosé, toxicomane, anorexique, tueur de petits chiens, réfractaire à l'école, délinquant...] plus efficace. Voilà mon choix et ma valeur, est-ce que vous pouvez m'aider s'il vous plaît ? (...)

J'avais un patient adolescent qui était très attaché à cette «valeur» et ne jurait que par elle : Être quelqu'un dont les autres ont peur (essentiellement, il voulait continuer à cultiver et à développer un statut de terreur de haut niveau). Est-ce que je l'ai soutenu dans son programme pour l'aider à avancer dans la direction qui lui était chère ? Bien sûr que non. Je ne lui ai pas non plus dit qu'il avait tort, qu'il était stupide, immature ou ce genre de choses. Nous nous sommes plutôt engagés dans un travail d'exploration de cette valeur, ouvertement et en pleine conscience (sans jugement et sans défense), nous imprégnant de comment c'était d'être craint, d'être une terreur, en revenant toujours à «et après ? Et après qu'est-ce qui va se passer quand tu seras le roi des terreurs et que tout le monde et sa mère seront morts de peur rien qu'à l'idée de croiser ton chemin au point que plus personne n'osera te défier ?» Et nous poursuivons comme ça, en regardant bien de très près (les exercices de pleine conscience sont très utiles ici), enlevant une couche après l'autre et pour finir... [Tout au fond de cet adolescent hargneux je trouve un côté «plan-plan»] Et finalement sa valeur déclarée d'être «une terreur/être craint» pourrait n'être qu'une version déguisée de «Je veux être respecté par les membres de ma famille et par ceux de mon groupe de pairs.» Ou peut-être «Je voudrais pouvoir exercer un contrôle sur certains domaines de ma vie où ce n'est simplement pas possible.» Maintenant nous avons un endroit où aller. OK, il y a des valeurs qui comptent pour lui dans les domaines de la famille et du groupe des pairs. Je peux soutenir ce programme. Qu'est-ce qu'il a essayé, et comment ça a marché ? (Peut-être que le désespoir créatif revient sur la table à ce moment-là).

J'aime ce genre de cas parce que le travail sur les valeurs y est si intense. Un processus terriblement astreignant pour tous ceux qui y sont impliqués et certainement un défi posé à mes capacités d'acceptation comme thérapeute (ce qui représente une motivation importante pour moi à continuer mon propre travail d'acceptation.)

Philippe Vuille

3.8. Donner son accord et s'engager

3.8. Donner son accord et s'engager

Un mot comme «acceptation» est chargé de connotations négatives. Il suggère une attitude défaitiste, passive, résignée. Nous parlons plus volontiers de «donner la permission» ou de «donner son accord». Russ Harris propose d'utiliser le terme «expansion» plutôt que de parler d'acceptation, pour souligner l'aspect actif d'une démarche où il s'agit de «s'agrandir» pour «faire la place» aux événements privés indésirables. Le mouvement que nous aimerions rendre possible comme un choix différent des stratégies de contrôle inefficaces ou destructrices revient à embrasser activement les événements privés indésirables, à leur donner la permission d'être là. On peut le comparer à la posture du skieur qui doit apprendre à mettre le poids de son corps sur le ski aval, donc à se pencher vers le vide alors que le mouvement naturel est de chercher réconfort et réassurance en se penchant vers l'amont. Il est pratiquement impossible de skier de cette manière et on court paradoxalement davantage de risques de tomber et de se blesser. Se lancer encore et encore dans la pente est également la métaphore avec laquelle Marsha Linehan décrit (dans un chapitre paru en 1994 dans le recueil Acceptance and change : Content and context in psychotherapy) ce qu'elle appelle l'acceptation radicale:

L'acceptation radicale est une action de la personne donnant à la réalité de ce moment présent la permission d'être ce qu'il est. C'est un acte sans discrimination. En d'autres termes, il ne s'agit pas de choisir entre ce qu'on va accepter et ce qu'on va refuser ou essayer de changer. Il n'est pas question d'opérer une distinction entre ce qu'on va accepter et ce qu'on ne va pas accepter comme s'il y avait des pensées, des images, des émotions et des sensations physiques qui sont acceptables et d'autres non. La notion d'acceptation radicale est celle d'une entière permission donnée à l'instant présent d'être ce qu'il est. Il ne s'agit donc pas simplement d'une activité de la pensée ou d'une attitude intellectuelle; c'est un acte total. C'est comme de sauter dans le vide depuis une crête rocheuse. Il vous faut sauter encore et encore parce que vous ne pouvez accepter que dans l'instant présent. En conséquence, vous devez continuer à accepter activement, encore et encore, à chaque instant. Si l'acceptation radicale est comparable au fait de sauter dans le vide depuis une crête rocheuse, on peut étendre la comparaison en disant qu'il y a toujours un tronc d'arbre auquel on peut se raccrocher à peine la chute commencée si bien qu'on est aussi toujours en train de se rétablir sur une nouvelle crête en se demandant peut-être comment on est arrivé là et dont il faudra à nouveau sauter. L'acceptation radicale est ce processus de sans cesse sauter dans le vide, elle comprend aussi l'acceptation sans émettre de jugement du fait qu'on s'accroche sans cesse de nouveau aux branches.

Le fonctionnement verbal omniprésent chez l'être humain rend difficile un tel mouvement. L'intelligence verbale de l'être humain est un outil de protection et d'adaptation qu'il est impossible de «débrancher». Il fonctionne en continu, toujours au service des mêmes objectifs : assurer le confort, le bien-être, éviter le danger, l'inconfort, avec un biais permanent en faveur de ce qui est familier, connu, sûr, logique. Dans cette phase du traitement, on voit à tout moment l'intelligence du patient tenter de «reprendre la main». Avec par exemple la pensée qu'accepter représente enfin le «truc» qu'on a cherché depuis si longtemps pour enlever leur impact négatif aux événements privés désagréables. Mais si l'acceptation est utilisée dans le but de ne plus ressentir d'inconfort, elle va connaître le même sort que les stratégies habituelles de contrôle et d'évitement d'expérience. Le mouvement que nous cherchons à favoriser ne peut pas être effectué avec l'intelligence. C'est une posture ou une attitude qu'on peut adopter, et non une pensée qu'il s'agit d'avoir. Il ne s'agit ni d'aimer ce qui est désagréable ni de se convaincre qu'il «faut» l'accepter ou de se s'évertuer à penser qu'on est d'accord de l'éprouver. A tous moments, on va se retrouver dans la lutte, «au niveau des pièces» du jeu d'échecs. La mise en oeuvre de stratégies de défusion est donc indispensable pour réussir au moins par moments à adopter une posture acceptante et ouverte qui nous permettra aussi de prendre le risque de nous engager dans des actions mises au service du sens que nous souhaitons donner à notre vie.

L'intelligence va aussi interférer avec les processus de prise de risque et d'exposition inhérents à l'action d'accepter la réalité du moment présent en proposant des précautions, des aménagements, des demi-mesures et des garde-fou. L'acceptation est alors vidée de son sens d'acte total. Pas plus qu'on ne peut être vivant à 50, 80 ou même 99%, on ne peut accepter partiellement. Accepter, c'est comme sauter : Il y a un moment où les deux pieds sont dans le vide. On peut sauter depuis un escabeau, mais il est aussi possible de réduire la prise de risques en descendant par un pas, en posant un pied sur le sol avant que le second ait quitté son support. Nous cherchons dans le traitement à favoriser l'engagement dans des actions comparables à un saut plutôt qu'à un pas. Nous sommes certes favorables à une prise de risques progressive; toutefois, même si la «hauteur de saut» est faible, il est important que le mouvement d'abandon total et sans défense au moment présent puisse être exercé.

Les valeurs du patient impliquent des buts désirés et des actions pour les atteindre. Un mouvement d'acceptation dans lequel il va pouvoir faire de la place aux événements privés désagréables faisant obstacle à l'engagement dans de telles actions sera nécessaire pour qu'il puisse infléchir le cours de sa vie dans le sens qui lui est cher.

La question qui se pose ici est la suivante : pouvez-vous prendre un engagement et vous y tenir ? Est-ce qu'il vous est possible de dire : «Ma vie marcherait mieux si je faisais cette action, donc je la fais» et ensuite de la réaliser ? Et si vous faites marche arrière ou que vous vous plantez, pouvez-vous y retourner et vous y mettre une fois encore ? (...) Ce n'est pas de la vie ou des objectifs de quelqu'un d'autre qu'il est question ici mais de vous et de votre vie. Ce que je suis en train de vous proposer ne sera pas forcément une partie de plaisir. Je peux même vous dire que la première chose que vous allez probablement rencontrer sur votre chemin (si ça n'a pas déjà commencé) ce sont les mises en garde et les critiques de votre intelligence qui va vous dire que vous êtes incapable, que vous n'y arriverez jamais, etc. Voici ma question : Sachant que tout cela va arriver et que vous ne pourrez probablement pas réussir tous les jours à vivre votre engagement, est-ce que vous êtes à 100\% d'accord de prendre cet engagement ? Est-ce que vous êtes d'accord de faire ce que vous avez à faire pour que votre vie aille dans le sens qui vous est cher et d'accueillir toutes les pensées, toutes les émotions et tous les souvenirs qui vont venir quand vous le ferez ? Qu'est-ce qui s'oppose à ce que vous régliez maintenant, en ce moment précis, votre niveau d'acceptation sur «haut» ? (Manuel ACT de 1999, p. 242)

Les patients sont souvent réticents à prendre un engagement parce qu'ils craignent de ne pas pouvoir le tenir. Il est important de souligner que les échecs et les déceptions font partie du voyage. De même qu'il n'est pas possible d'apprendre à skier sans tomber, l'apprentissage de la construction progressive d'un répertoire toujours plus large et flexible d'actions efficaces et constructives ne pourra se faire sans faillir. «Personne ne peut vous apprendre à skier sans jamais tomber. C'est vrai que quand on tombe on se fait mal, c'est vrai aussi qu'on peut parfois se blesse. Ce qui compte, ce n'est pas tant de ne pas tomber, mais de se relever encore et encore, dès que possible. Tant que vous vous relevez une fois de plus que vous êtes tombé, le voyage continue.»

En fonction de la situation clinique, il m'arrive ici d'emprunter une approche de Hank Robb : «La seule façon de reprendre possession de votre vie, c'est d'accepter le risque de la perdre, ce qui finira de toutes manière par arriver. C'est vrai par exemple que la seule manière d'être sûr qu'on ne va pas mourir en voiture, c'est de ne jamais monter dans une automobile. Ce n'est qu'en acceptant que vous pourriez perdre votre vie que pourrez la vivre plutôt que de survivre en attendant votre fin.»

Philippe Vuille

3.9. Métaphores et exercices

3.9. Métaphores et exercices

Cette section regroupe la descripition des métaphores et des exercices expérientiels que nous utilisons dans la thérapie. Il n'y a pas de limites à la créativité des thérapeutes dans ce domaine. Il est important d'adapter métaphores et exercices aux particularités de la situation du patient et de ne jamais perdre de vue le contexte de la relation thérapeutique.

L'utilité du recours à la métaphore est bien expliquée en p. 83-84 du livre ACT de 1999 :

(1) Une métaphore, c'est juste une histoire. Elle ne comporte pas de prescription ou de directive. Elle se prête donc particulièrement bien à affaiblir les phénomènes de «pliance» qui jouent un rôle important dans beaucoup de problèmes. Il va être difficile pour le patient, en réponse à une métaphore, de savoir quoi faire pour «faire juste».

(2) Davantage qu'au registre du discours linéaire et logique, la métaphore appartient à celui de l'image. La réalité que la métaphore veut décrire est souvent difficile à cerner par des constructions morales ou verbales. Une métaphore bien présentée peut représenter un véritable exercice expérientiel pour le patient. L'usage de métaphores aide à faire du champ thérapeutique un nouveau contexte social/verbal dans lequel le fait de s'appuyer exagérément sur des constructions rationnelles est remis en question en même temps qu'on accorde davantage de valeur au type de sagesse résultant du contact direct avec les contingences.

(3) Il est facile de se souvenir d'une métaphore si bien qu'elle va accompagner le patient dans de nombreux domaines où l'on souhaite qu'il puisse changer de comportement. En ramenant sur le terrain du bon sens des aspects paradoxaux de la théorie qui ne pourraient être expliqués que par de longs discours qui leur feraient perdre leur substance, les métaphores permettent d'obtenir une meilleure adhésion des patients au modèle.

Philippe Vuille

Exercice de l'allumette

Exercice de l'allumette
J'aime bien illustrer l'aspect potentiellement problématique de l'évitement d'expérience par un petit exercice : J'allume une allumette et je demande au patient de l'éteindre avec une méthode simple, rapide et intelligente. Je n'ai encore rencontré personne qui ait utilisé un autre moyen que de souffler dessus. Je propose ensuite d'imaginer une situation de début d'incendie de ma bibliothèque, avec des flammes de 50 cm de haut et j'encourage le patient a essayer de les éteindre en utilisant la même méthode simple, rapide et intelligente. Il est facile de se rendre compte qu'on ne va ainsi qu'attiser le feu.
Philippe Vuille

Exercice de la position d'observateur

Exercice de la position d'observateur

La notion de «soi comme contexte» n'est pas d'un abord facile. Dans ce petit exposé pratique en partie basé sur l'approche de Hank Robb j'ai utilisé le terme de position d'observateur. Il prend la forme d'un courriel adressé à un patient présentant un «trouble anxieux» après une première séance pour lui suggérer un exercice en rapport avec les points abordés durant la séance. C'est d'ailleurs dans ce contexte que la majeure partie en a été rédigée.

Essayez le plus souvent possible d'adopter une position d'observateur de vos «événements privés». Il est vraisemblable que personne ne peut, même avec des années d'entraînement, y parvenir plus de quelques minutes par jour. Mais même quelques secondes peuvent faire une grande différence, suivant le moment.

Une position d'observateur, qu'est-ce que cela veut dire ?

Il peut être utile de distinguer les pensées, les images et les sensations. Vos pensées sont comme un programme de radio dans votre tête. Les images sont comme une photo ou comme un film (avec ou sans le son). Comme sensations physiques, vous pouvez percevoir le battement de votre coeur, un vertige, une douleur, une impression de chaleur ou de froid, etc. Même si nous pouvons avoir un certain contrôle sur nos pensées, nos images et nos sensations, elles nous «viennent» la plupart du temps sans que nous leur ayons rien demandé. Vous pouvez bien sûr décider de faire venir maintenant telle ou telle pensée. Mais le plus souvent, les «événements privés» se produisent spontanément.

Pour trouver la position d'observateur, il suffit de vous concentrer sur un objet (votre montre, un stylo, etc.) Vous remarquerez qu'il ne vous est jamais possible de vous concentrer sur cet objet au point que vous ne pouvez plus remarquer que vous êtes là en train de concentrer votre attention sur lui. La position d'observateur, c'est l'endroit depuis où vous remarquez que vous êtes en train de le faire.

Vous prouvez pratiquer (il suffit de quelques minutes par jour) l'exercice suivant qui vous donnera une meilleure idée de ce que c'est que la position d'observateur et qui vous permettra ensuite de progressivement la développer comme une ressource à laquelle vous pourrez avoir accès dans les moments difficiles. Attention ! Les moments difficiles le sont précisément parce que, pendant ces moments-là, la position d'observateur est particulièrement difficile à garder. Ils ne constituent donc pas une très bonne occasion de s'exercer. Vous risquez fort de vous décourager rapidement. Si vous voulez apprendre à skier, vous n'allez pas faire vos premiers essais sur la neige glacée d'une piste escarpée et difficile un jour de blizzard. Il vaut mieux s'entraîner par beau temps sur la petite pente ensoleillée derrière l'hôtel.

Asseyez-vous, laisser vos yeux se fermer et regardez les pensées, les images et les sensations physiques aller et venir comme vous regarderiez évoluer un paysage. Quand vous remarquez que vous avez une pensée, identifiez-la en vous disant : J'ai la pensée que... Faites-en de même avec les images (j'ai l'image que...) et avec les sensations physiques. Si vous avez la pensée qu'il ne vous vient pas de pensée, c'est déjà une pensée dont vous pouvez prendre note.

Vous pouvez aussi pratiquer de manière informelle. J'essaie par exemple de garder cette position d'observateur quand je descends à pied de la gare jusqu'à mon cabinet le matin. Il est rare que j'y parvienne plus de quelques dizaines de secondes. A tout moment, je me retrouve «dans ma tête», à jongler avec les rendez-vous, les lettres que je devrais écrire, ce que je ferai le week-end, etc. et je peux ainsi marcher plusieurs centaines de mètres en «pilotage automatique». Vous connaissez sans doute bien cette impression. Quand on remarque qu'on est ainsi «perdu», on peut toujours reprendre la position d'observateur. Il suffit de porter son attention sur certains aspects de l'environnement qui sont toujours présents. La respiration en est un. Je sais, c'est une drôle de notion de l'environnement. Mais depuis l'endroit où j'exerce cette position d'observateur, ma respiration est quelque chose de périphérique, une chose que je peux observer de la même manière que des réalités physiquement plus lointaines comme les sons et d'autre plus proches encore comme les pensées. Porter son attention sur le paysage sonore, sur les sensations auditives comme un sous-groupe des sensations physiques, est également un bon moyen de retrouver la position d'observateur dans laquelle, vous l'avez compris, il est difficile de rester longtemps. Il est particulièrement difficile de rester en position d'observateur vis-à-vis des pensées. Pourtant les pensées font aussi, depuis la position de l'observateur, partie de l'environnement. Elles sont cependant habiles à vous la faire quitter, en vous proposant d'entrer dans un débat ou de vous absorber dans l'élaboration d'un projet. Si vous avez voyagé en Afrique du Nord, vous avez dû faire l'expérience, dans les ruelles d'une Médina, de ces enfants qui s'accrochent à vos basques en voulant à tout prix vous servir de guide. Il y a les petits qui n'ont pas encore beaucoup de force et qui n'arrivent pas à nous faire dévier de notre route. Mais les grands peuvent exercer une force de traction considérable ! De la même manière, certaines pensées ont davantage de force, d'autres en ont moins. C'est également une dimension qu'il est possible, avec de l'exercice, d'observer.

Vous remarquerez peut-être que depuis cette position, vous pouvez remarquer et voir énormément de choses. Par contre, il est difficile de la voir puisque c'est depuis là que vous voyez ! Depuis elle, vous pouvez observer la tempête. Si la «météo» que vous observez quand vous regardez le «paysage» de vos événements privés peut être très changeante, il ne peut rien arriver à la position de l'observateur, qui reste accessible et inchangée quel que soit le déchaînement des éléments. On s'y trouve parfois comme dans cette partie centrale du cyclone où la vitesse du vent reste nulle et qu'on appelle «l'oeil».

Philippe Vuille

Exercice des trois chiffres

Exercice des trois chiffres

Cet exercice prend quelques minutes, il se déroule en plusieurs étapes. Quand je veux être tout-à-fait honnête, je préviens la personne qu'elle ne sera peut-être plus tout-à-fait la même après l'exercice. Êtes-vous d'accord de le faire avec moi ?

Il faut pour commencer que je vous explique un terme technique. Les psychothérapeutes ne peuvent pas s'empêcher de créer des termes compliqués pour parler de choses simples. Quand je bouge mes mains comme ça, c'est un événement public. Vous et moi pouvons le voir et nous mettre d'accord sur ce qui s'est passé. Même si je le fais quand je suis seul dans mon bureau, ça reste un événement public puisque, si une autre personne était là, elle pourrait comme moi observer ce qui se passe.

Il existe aussi des événements privés, qui ne peuvent avoir qu'un seul observateur : Si j'ai mal aux dents, je suis le seul à savoir vraiment comment est la sensation. Quand j'ai la pensée que vous devez vous demander chez quel cinglé de psy vous avez atterri, je suis le seul à pouvoir observer ma pensée. Je puis bien sûr vous en parler et ça c'est de nouveau public. Même si vous avez vous aussi parfois eu mal aux dents ou l'impression d'être «à côté de la plaque», vous ne pourrez pas observer comme je le fais moi-même mes pensées ou mes sensations physiques.

Dans la première étape de notre exercice, je vais vous poser une question. Vous allez bien sûr essayer d'y répondre. Mais je vous demanderai aussi, en même temps, de garder un oeil sur vos événements privés, de remarquer quelles sont les pensées, les images et les sensations physiques qui vont venir quand je vous poserai cette question.

Vous êtes prêt(e) ? Voilà la question :

(Monsieur X ou Madame Y) : Est-ce que vous connaissez les trois chiffres ?

Quelles sont les pensées, les images et les sensations physiques qui vous sont venues ? Souvent, les patients décrivent des pensées du genre : «Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Où veut-il en venir ? Comment, je devrais savoir ces trois chiffres ? De nouveau un truc que je ne sais pas...» Quant aux sensations physique, ce sont souvent celles qui accompagnent l'étonnement, la suprise. Quand il y a des images, ce sont souvent des images de... chiffres.

Est-ce que vous voulez bien prendre note de la réaction que vous venez d'avoir et l'enregistrer comme on enregistre un document sur le disque dur d'un ordinateur. Essayez de garder en mémoire comment vous avez réagi ce lundi 2 avril à 10 heures 30 quand je vous ai posé cette question pour pouvoir vous en rappeler plus tard. Nous allons maintenant passer à la deuxième étape de l'exercice.

Imaginez que je suis Bill Gates. Vous savez qu'il est très riche et qu'il a essayé divers moyens de faire oeuvre utile et charitable. Après bien des tâtonnements, il a fini par comprendre que le plus simple, c'était de descendre dans la rue, de trouver une personne qui lui paraissait sympathique et de lui offrir un million de dollars. Alors voilà, c'est tombé sur vous. Voici le chèque. Il va être à vous. Bon, pas tout de suite, il y a quand même une petite tâche à accomplir. Je vais vous dire trois chiffres et si vous vous en souvenez encore dans trois ans, le chèque sera à vous. Vous êtes d'accord ? Alors, écoutez bien, il y a beaucoup d'argent en jeu, c'est important que vous vous rappeliez bien. Les trois chiffres c'est... cliquez ici pour enfin les connaître !

Philippe Vuille

Les trois chiffres, suite

Les trois chiffres, suite

1... 2... et 3.

Vous les avez enregistrés ? Est-ce que vous vous en souviendrez encore la semaine prochaine ? Et dans 3 mois ? Dans une année ? Dans 3 ans, vous les aurez toujours ?

Avant de passer à la troisième étape, je vais vous proposer un petit interlude. On va voir si vous pouvez avoir les mêmes réactions que tout à l'heure quand je vous ai posé la question pour la première fois. Je me mets exactement dans la même position, je prends le même ton, j'utilise les mêmes mots.

(Monsieur X ou Madame Y) : Est-ce que vous connaissez les trois chiffres ?

Est-ce que vous arrivez à avoir les mêmes événements privés qu'il y a 5 minutes ? Qu'est-ce qui vient maintenant ?

Passons maintenant à la troisième étape :

Le million de dollars, c'était sympa. Malheureusement, c'était virtuel. Ce que nous allons faire maintenant est moins sympa. Heureusement, c'est virtuel aussi. Imaginez que votre fauteuil est une chaise électrique. Et que c'est moi qui ai le levier pour vous envoyer le 220 Volts. Oh, pas longtemps, un quart de seconde. Ça risque juste d'être désagréable. Mais je vais vous donner les moyens d'éviter ce désagrément. Je vais vous poser une question et vous devrez me répondre très vite. Si vous me donnez une réponse dans les trois secondes, je n'abaisserai pas le levier. Et vous devez faire attention à une chose : Dans votre réponse, vous pouvez me donner n'importe quels chiffres. Ils n'ont pas besoin d'être «justes». Mais il faut absolument éviter qu'il y ait 1, 2 ou 3 dans votre réponse si vous ne voulez pas recevoir de décharge. Alors, quels sont les 3 chiffres ?

Si vous réagissez comme mes patients, vous avez probablement dit : 4, 5, 6. Mais si maintenant je vous demande (j'ai débranché tous les fils, vous ne risquez plus rien), quels sont les premiers chiffres qui vous sont venus à l'esprit quand je vous ai posé la question ?

J'aime beaucoup cet exercice qui permet de faire vivre au patient l'expérience que nos pensées ne sont rien d'autre que la rencontre entre notre passé et le monde tel qu'il se présente maintenant à nous. J'y reviens souvent par la suite, à chaque fois que le patient se désole d'avoir telles pensées dans telles circonstances alors qu'il serait tellement plus agréable/«normal» d'en avoir d'autres. «Quels sont les trois chiffres ?» Et on a beau essayer de se convaincre, 4, 5, 6 ne fera jamais disparaître 1, 2, 3. On peut rajouter une couche mais jamais rien enlever. Les patients se rendent compte qu'il y a beaucoup de «réponses» qu'ils ont apprises comme ils ont appris les trois chiffres. Brigitte tu es... la réponse vient aussi vite que les trois chiffres : «Grosse et moche.» Quand on a perdu un bébé, la vision d'une poussette nous fera toujours... Quand on notre vie a basculé parce qu'une voiture nous a renversé sur un passage piétons, la vision de ces bandes jaunes sur la route nous fera toujours... Admettons que vous ne vouliez plus vivre avec ces maudits trois chiffres que cet idiot de Vuille (ça c'est mes trois chiffres à moi) vous a mis dans la tête et que vous décidiez de passe chaque matin un quart d'heure dans la salle de bains à vous regarder dans le miroir en vous répétant : «Les trois chiffres c'est 4, 5, 6.» Si on se revoit dans vingt ans et que je vous demande : «Quels sont les trois chiffres ?» Est-ce que vous ne saurez plus que les trois chiffres c'est 1, 2 et 3 ? Si on pouvait se défaire de quelque chose, qu'est-ce qui serait plus facile à oublier ? Les trois chiffres ou cette image de la voiture qui vient sur vous ?

C'est à dessein que je demande si le patient est d'accord de faire un exercice au terme duquel il ne sera peut-être plus la même personne. L'exercice permet en effet d'introduire un petit doute dans la certitude que nous sommes définis par notre programmation. Est-ce que d'avoir ce «contenu» psychique supplémentaire fait de moi une autre personne ? C'est indiscutablement vrai que je ne puis plus «redevenir» la personne qui ne savait pas quels étaient les trois chiffres et qui réagissait à la question avec perplexité. Mais d'une certaine manière je me rends rends compte que c'est toujours moi qui suis là, ici et maintenant. L'expérience de «soi comme contexte» diffère ce celle de «soi comme contenu».

Enfin, j'utilise aussi cet exercice pour illustrer le fait qu'accepter n'est pas quelque chose qu'on peut faire avec l'intelligence. Si c'est une pensée qu'on doit avoir, il en ira alors de même qu'avec toutes ces autres pensées qu'on aimerait bien avoir pour être une personne normale, équilibrée, pleine de confiance en soi etc. On a beau travailler toute la journée pour les avoir et surtout pour les garder, c'est rarement celles qu'on voudrait qui tiennent le devant de la scène. Je vais tenir à peu près ce discours :

Un million de dollars, c'est une récompense. Et une décharge électrique, c'est une punition. Dans les rapports que nous avons les uns avec les autres, nous nous dispensons rarement des récompenses et des punitions d'une telle intensité. Ça sera plutôt un sourire, une mimique bienveillante ou réjouie, ou alors une hésitation dans la voix, un froncement de sourcils ou simplement un silence. Que je le veuille ou non, je suis aussi un type intelligent donc un type qui n'arrête pas de porter des jugements et de penser que ceci est «bien» et cela «pas bien». Vous avez sûrement compris que je suis plutôt favorable à l'acceptation des événements privés désagréables. J'ai beau m'en défendre (parce que je pense aussi que ce n'est «pas bien» de vouloir vous infliger mes théories), vous voyez bien que, quand je vous demande si vous êtes d'accord d'avoir telle émotion ou telle pensée et que vous me dites «Non», il peut y avoir une nuance de désapprobation ou de déception dans le ton de ma voix ou dans mon regard. Mais si vous me dites «Oui» parce que vous préférez avoir en face de vous un thérapeute épanoui plutôt que frustré, c'est la même chose que quand vous me dites 4... 5... 6 pour ne pas recevoir de décharge. Vous savez très bien que la vraie réponse c'est «Non». Répondez-moi très vite : Vous êtes d'accord d'avoir cette nausée qui monte, cette impression que tout le sang se retire de vos membres, le coeur qui bat la chamade, la bouche sèche, la pensée que vous allez devenir fou ?

Philippe Vuille

Exercice «chocolat, chocolat»

Exercice «chocolat, chocolat»

Prononcez lentement le mot «chocolat» et observez ce qu’il éveille en vous; vous pourrez pratiquement sentir l’odeur qui vous monte aux narines après que vous avez déchiré dans un bruissement le papier d’alu entourant la tablette, sentir la réaction de vos glandes salivaires devant l’explosion du goût doux-amer dans votre bouche, la dureté du carré s’amollir en fondant avant de glisser vers votre gorge, etc.

Essayez maintenant de répéter le mot «chocolat» à haute voix, sans interruption, pendant une minute ou deux. Quand vous l’aurez répété plusieurs centaines de fois, vous n’entendrez plus que le son étrange que votre voix produit en disant ce mot. Où est passé le chocolat ? Ce n’est qu’un mot mais les mots ont le pouvoir de porter avec eux les caractéristiques des choses qu’ils désignent et ils ne cessent de le faire que si nous mettons en oeuvre des techniques visant à ne plus les entendre que comme le son qu’ils sont en réalité.

Chocolat est un exemple amusant mais que se passe-t-il avec des mots comme «je suis nul(le)» ou «j’en peux plus» quand ils vous viennent en même temps qu'une intense émotion de dégoût de soi ou de désespoir ? Votre esprit peut se montrer très convaincant quand il vous dit que ces mots-là sont la vérité vraie. Est-ce que votre expérience vous envoie le même message simpliste ? Comme avec le chocolat, le pouvoir d’évocation des mots pâlit quand vous vous concentrez sur l’expérience réelle et que vous lui donnez la place de s’épanouir comme elle est réellement et non comme votre intelligence vous dit qu’elle est. Les sensations ne vont pas disparaître pour autant, et les mots souvent non plus, mais l’expérience sera toujours différente de ce que votre esprit vous dit qu’elle est. Si ce n’est pas le cas, c’est en général un indicateur assez sûr du fait que vous êtes en train de lutter contre l’expérience, que vous ne la laissez pas prendre la place qu’elle demande avant de s’en aller et de laisser la place à d’autres sensations, à d’autres émotions, à d’autres pensées.

Philippe Vuille

L'alternative au contrôle --- La métaphore des deux boutons de réglage

L'alternative au contrôle --- La métaphore des deux boutons de réglage

Imaginez deux boutons de réglage comme celui du « volume » et de l'« équilibrage de haut-parleurs » d'une chaîne stéréo. Le bouton du « volume » représente votre souffrance (dépression, anxiété, etc..) et se déplace de 0 à 10.

Vous vous dites actuellement en venant me voir « cette souffrance est trop élevée, elle est à 10, je veux la diminuer et vous aller m'aider à le faire. » Vous cherchez à baisser le volume de votre souffrance (levez la main droite haut dans les airs et servez-vous de la main gauche pour la tirer vers le bas).

Et s'il existait un autre bouton, caché et difficile à voir? Un bouton pouvant lui aussi aller de 0 à 10.

D'ailleurs, jusqu'à présent, nous avons graduellement préparé le terrain pour que vous puissiez découvrir l'existence de cet autre bouton. Parlons-en et regardons-le. Si c'était le plus important des deux? Celui qui est le seul à faire une différence, car le seul sur lequel vous pouvez agir.

Appelons-le, le bouton de « l'accueil de ce qui m'arrive ». Il répond à la question: À quel point suis-je ouvert à vivre mon expérience du moment telle qu'elle se présente, sans chercher à la manipuler, l'éviter, la fuir, la changer, etc. ?

Lorsque votre souffrance est au degré le plus élevé de 10 (lever la main droite pour le représenter) et vous cherchez de toutes vos forces à la contrôler, à la faire baisser ou à l'enlever, alors vous refusez de vous ouvrir à cette expérience et votre degré d'accueil est à 0.

Parce-que vous ne voulez vraiment pas ressentir de la souffrance, il est probable que ce refus de vivre cette souffrance devienne lui-même une autre souffrance. La souffrance étant élevée et l'accueil étant bas, la souffrance reste bloquée, coincée là et il y a encore plus de souffrance ajoutée.

Vous avez cherché depuis longtemps à contrôler votre souffrance et cela ne fonctionne pas. Ce n'est pas que vous n'êtes pas assez intelligent ou que vous n'avez pas fait assez d'effort, c'est peut-être tout simplement parce-que ça ne fonctionne pas comme cela.

Et qu'en est-il de ce bouton d'accueil? Différemment du bouton de réglage de la souffrance, sur lequel il n'y a pas de contrôle, le bouton de réglage de l'accueil peut bouger tel que vous le choisissez. Cette attitude d'accueil de ses expériences n'est pas une réaction, comme une émotion ou une pensée, c'est plutôt un choix que vous faites.

Ce bouton de réglage de l'accueil était à un degré plutôt bas jusqu'à présent. Le fait de venir en thérapie pourrait être en soi une indication qu'il était réglé au degré le plus bas. Et si on l'augmentait?

En arrêtant d'agir sur le bouton de réglage de votre souffrance, votre souffrance sera basse -- ou élevée. Quand elle est basse, elle sera basse jusqu'à ce qu'elle remonte.... et qu'elle ne soit plus basse.... pour qu'elle redevienne élevée. Quand elle est élevée, elle sera élevée jusqu'à ce qu'elle ne soit plus élevée.... et qu'elle redevienne basse. Cette vague description est le mieux qu'on puisse faire pour décrire le fait d'avoir le bouton de réglage de l'accueil élevé. Il n'y a pas de mot pour le décrire.

Une des chose que votre expérience vous confirme si vous voulez agir sur le bouton de réglage de la souffrance est de mettre le bouton de réglage de l'accueil à très très bas et tôt ou tard lorsque la souffrance arrive, elle reste bloquée et coincée et vous avez encore plus de souffrance. C'est très prévisible. Tout cela alors que vous voulez la baisser. Si vous mettez le bouton de réglage de l'accueil au degré élevé, alors la souffrance aura la liberté de bouger. Parfois, elle sera basse, parfois elle sera élevée, et dans les deux cas, vous resterez à l'extérieur d'une lutte inutile et frustrante qui ne vous amène que dans une seule direction. Ne croyez pas ce que je vous dis, mais ce que votre expérience vous indique jusqu'à présent.

Il pourrait être tentant de vous servir du bouton de réglage de l'accueil pour vous dire que c'est une autre façon indirecte de contrôler la souffrance. Rappelez-vous toutefois que ce que vous ne voulez pas, vous l'avez. Si vous êtes prêt à l'avoir pour vous dire que c'est une manière de vous en débarrasser, alors ce n'est pas « être ouvert à votre expérience ». En accueillant votre souffrance sans chercher à la fuir ou l'enlever --- qu'elle monte ou descende --- vraiment, cela n'a pas d'importance.

Encore une fois, cette attitude d'accueil n'est pas une pensée ou une émotion. Vous ne la trouverez pas non plus en suivant une règle de comment la trouver. Vous la trouverez en le faisant---- en faisant le choix de le faire.

(adapté de "Two scales metaphor" du protocole de "General therapy manual" de Zettle par Cristel Neveu, psychologue)

Cristel Neveu

L'alternative au contrôle --- Métaphore du livre

L'alternative au contrôle --- Métaphore du livre

Ce livre représente toutes les pensées, émotions qui vous dérangent (être spécifique pour le client: dépression, soucis, mauvais souvenirs).

Maintenant, je souhaiterais que vous le mettiez devant vous, collé à votre nez. Comment pouvez-vous avoir une conversation avec moi en ce moment. Vous sentez-vous engagé, en contact à moi? Que se passe t-il dans le reste de la pièce quand toute votre attention est centrée sur ces pensées et émotions? Donc, quand vous êtes absorbé par tout cela, vous vous déconnectez du monde autour de vous. Vous ne pouvez pas être présent, ici avec moi, quand vous êtes préoccupé par votre contenu intérieur.

(Se mettre debout pendant que le client reste assis) Mettez le livre devant vous, au bout de vos mains et pousser le livre le plus loin possible (pendant que le thérapeute pousse de son côté contre le livre). Alors vous voilà en train de pousser le plus loin possible ces pensées et émotions désagréables. Bien sûr, vous les maintenez à la distance d'un bras, mais qu'est-ce que cela vous coûte de faire cela? Comment vous le sentez dans vos épaules? Et après une heure ou une journée complète à faire Ça? Tout en poussant toujours, et si je vous demandais de conduire une auto, de câliner votre bébé ou d'embrasser quelqu'un que vous aimez, pendant que vous faites cela, pourriez-vous le faire? Et comment avoir une conversation avec moi en ce moment? (arrêter de pousser et reprendre le livre).

OK. Essayons autre chose. Placez le livre sur vos genoux. N'est-ce pas plus facile? Comment sont vos épaules en ce moment? Si je vous demande de faire les mêmes choses que tantôt, comment c'est d'avoir une conversation avec moi, plutôt que de faire (mimer pousser) ou de l'avoir juste collé sur vous (mimer en mettant ses mains collées au visage). Dans un monde idéal, vous souhaiteriez probablement faire ça (faire semblant de jeter le livre par terre). Mais vous l'avez essayé depuis plusieurs années (garder le livre dans les mains), vous avez essayez A'B'C'D' (dire 5-6 stratégies de contrôle utilisées par le client) et c'est encore là (pointer du doigt le livre).

Rendu à ce point, on peut se demander, depuis quand est-ce que vous luttez avec ces pensées et émotions? (souvent depuis l'enfance) donc ce contenu est apparu depuis que vous avez 15 ans (selon le cas, mettre l'âge d'apparition). Et maintenant, quel âge avez-vous? 36? Donc depuis 21 ans vous luttez contre ce contenu et c'est encore là.

Je ne sais pas comment vous pouvez faire pour empêcher que ce contenu arrive, du moins à long terme. Même si vous l'éloignez pour un temps, un jour ou l'autre il revient encore. Qu'est-ce que votre expérience vous dit? Et il y a une bonne raison à ça, c'est que vous êtes un être humain. La vie est parfois difficile et donc, nous vivons tous des pensées et émotions douloureuses. Bien sûr, certaines personnes en vivent plus que d'autres, mais ça ne change en rien que ce contenu va toujours revenir d'une manière ou d'une autre, vous n'avez pas de choix. Vous avez toutefois le choix de décider ce que vous allez en faire quand il apparaît. Est-ce que vous faites cela (mains collées sur nez) ou cela (tenir le livre éloigné) ou sur vos genoux. Quel est le plus facile? Quel est celui qui vous donne le plus de liberté d'agir et demande le moins d'effort?

Maintenant, pourriez-vous vous lever? (on se place devant le client et on lui dit qu'il imagine que derrière lui se trouve une vie riche et pleine de sens. Se mettre debout avec le livre et lui demander de pousser à nouveau en reculant un peu pour le faire avancer faire soi quand il pousse) Maintenant, dans quelle direction allez-vous? Allez-vous vers plus de vitalité?

Donc, si vous voulez de la vitalité, du sens, où devez-vous aller? (le client pointe derrière lui) OK, tournez-vous et faites quelques pas dans cette direction. (l'arrêter aussitôt en disant) attendez, vous avez oubliez quelque chose (lui remettre le livre) Vous ne pouvez pas laisser ça derrière vous. Cela fait partie de vous. Ce sont vos pensées, émotions, souvenirs, partout où vous allez, ils y vont aussi. La question c'est: comment voulez-vous les porter? (le prend en dessous de ses bras) Bien. Donc vous pouvez les amener, et ils ne vous empêchent pas de faire ce que vous voulez faire.

→ Lorsque le client veut maintenir sa volonté de contrôler son intérieur lui demander: Depuis combien de temps essayez-vous de vous débarrasser de cela? Combien de temps, d'énergie, d'effort avez-vous dépensez pour y arriver? Qu'est-ce que cela vous a coûté en terme de santé, vitalité, relation à lutter contre cela? Combien d'énergie dépensée à contrôler?

(adapté de ACT in a nutshell de Russ Harris par Cristel Neveu, psychologue)

Cristel Neveu

Métaphore de la maison

Métaphore de la maison

Imaginez que vous êtes une maison. De la même manière que la maison offre de l'espace pour ses habitants, pour tous les meubles et les objets qu'elle contient, nous sommes un espace pour nos pensées, nos sensations physiques, nos émotions et nos expériences. Les gens dans la maison vont et viennent, ils peuvent même déménager et être remplacés par d'autres, le mobilier et les autres objets peuvent changer de place. Peu importe qui l'habite et comment elle est décorée, la maison reste la même. La maison ne se soucie pas de savoir qui sont ses habitants et comment ils mènent leur vie. Elle leur offre simplement l'espace nécessaire pour que leur vie puisse se dérouler.

De la même manière, un théâtre offre un espace où peuvent se dérouler des drames ou des comédies, où les acteurs peuvent s'entretuer ou se congratuler, les spectateurs rire ou pleurer sans que le théâtre lui-même en soit affecté. Et une cuisine n'est pas modifiée par la nature ou la qualité des plats qui y sont préparés.

Le rapport entre le ciel et la météo offre encore une possibilité de rendre présente la distinction entre contenant et contenu. Qu'il fasse beau, qu'il pleuve ou qu'il neige, le ciel est immuable.

Philippe Vuille

Métaphore de la partie d'échecs

Métaphore de la partie d'échecs

Imaginez le plateau d'un jeu d'échecs qui ne serait pas limité à 8 cases sur 8 mais qui s'étendrait à l'infini dans toutes les directions comme un plan. Et sur ce plateau, comme les pièces du jeu d'échecs, vos «événements privés» : Pensées, images, sensations physiques. On peut en gros les classer en deux équipes. Il y a les blancs : En général, les bonnes pensées ne sont pas très loin des images sympa et des sensations physiques agréables. Et puis les noirs. Les mauvaises pensées font équipe avec les images qu'on préfère ne pas regarder et les sensations physiques désagréables. Comme dans le jeu d'échecs, les deux équipes luttent pour contrôler le terrain. (On peut choisir n'importe quel autre jeu opposant deux équipes, en fonction des intérêts du patient et des siens propres. Je propose souvent l'exemple d'un match de football.) Est-ce que vous avez remarqué en vous une lutte de ce genre ? Depuis combien de temps dure-t-elle ? Est-ce que vous tenez pour une des deux équipes ? Et que faites-vous, dans cette partie ? Où êtes-vous ?

En général, le patient remarque qu'il a une telle lutte et qu'il «tient» évidemment pour les blancs. Certains disent que la lutte est là depuis toujours. D'autres en situent le début avec le début de leur «problème». Un de mes patients s'est pourtant rendu compte qu'avant le début du «problème», il avait déjà un «match». Simplement, les blancs gagnaient régulièrement toutes les parties et c'était sympa d'être sur le terrain entre Beckham et Zidane... Les patients se rendent compte qu'ils sont DANS la partie. Je ne manque pas de leur dire que moi aussi, je passe énormément de temps DANS la mienne. Mais il peut y avoir des aspects problématiques à cela. Est-ce que c'est fatigant ? En général, les patients sont unanimes pour le dire. Est-ce que c'est déjà arrivé qu'une des deux équipes gagne définitivement ? Le foot est ici presque plus parlant que le jeu d'échecs. On peut se rappeler ces soirs où on était dans la tribune en train de brandir la coupe aux accents de «We are the champions». Le lendemain, il faut pourtant recommencer la partie. On se rappelle aussi, et c'est généralement plus fréquent, toutes les fois où on pleurait, effondré, sur le terrain pendant que les noirs ivres de triomphe faisaient leur tour d'honneur. Mais le lendemain aussi, la partie recommençait. A qui sont les blancs ? A moi bien sûr. Et les noirs ? A moi aussi. Comment voulez-vous gagner cette partie contre vous-même ?

Arrivés à ce point, il est temps de rendre le patient attentif au fait qu'il existe peut-être une autre position. Le plateau du jeu d'échec où le stade de foot ne subissent pratiquement aucune fatigue du fait de la partie qui s'y joue, ils ne tiennent pour aucune des deux équipes et sont en contact avec l'intégralité des pièces ou des joueurs. Nous aimerions lui donner les moyens d'occuper cette place-là, d'avoir ce type de rapport avec les pensées, les images et les sensations physiques qui l'habitent. Ce n'est pas facile et on ne peut jamais y rester longtemps. Notre mouvement naturel est de retrousser nos manches et de retourner sur le terrain. Dans beaucoup de situations ça ne pose pas de problèmes et c'est même souhaitable (c'est par exemple très utile pour la résolution des problèmes de réalité, ces problèmes «extérieurs à notre peau» qui forment l'essentiel de ceux que nous devons résoudre dans notre vie quotidienne et notre activité professionnelle.) Nous ne risquons pas de désapprendre à aller sur le terrain ou de ne plus en trouver le chemin. Mais nous pouvons apprendre à en sortir, au moins pour un moment, et nous pouvons apprendre aussi progressivement à reconnaître les situations et en particulier les pensées qui nous y «aspirent».

J'invite les patients à garder cette image avec eux et je pose parfois à brûle-pourpoint pendant la séance la question : Et cette pensée que vous venez d'avoir, c'est une pièce de quelle couleur sur votre jeu d'échecs ? La métaphore peut être utilement complétée par des exercices simples de pleine conscience comme celui où on visualise des feuilles se déplaçant lentement sur une petite rivière et où on dépose sur elles, au fur et à mesure qu'on les reconnaît, les pensées qui apparaissent avant de les regarder s'en aller et d'attendre la suivante. On va tôt ou tard «perdre le fil», partir avec une pensée au lieu de la laisser partir. Quand on s'en rend compte, on revient à l'exercice. Partir avec une pensée, c'est l'équivalent de «descendre sur le terrain».

Philippe Vuille

Métaphore de la personne dans le trou

Métaphore de la personne dans le trou

Imaginez que la vie c'est comme ça : On vous bande les yeux, on vous met en bandoulière un sac contenant un outil et on vous dit «Va ma fille, c'est ta vie». Vous apprenez à faire votre chemin, à reconnaître le bruit de la rivière pour éviter de vous mouiller les pieds, à mettre les bras devant vous pour repérer les arbres avant de vous taper la tête contre eux. Ce qu'on ne vous a pas dit c'est que, çà et là, il y a des trous dans le terrain. De la même manière que certains gagnent des millions à la loterie, il est bien possible que l'un ou l'autre chanceux fasse toute la route en évitant par simple hasard les trous qu'il ne peut pas voir. Mais tôt ou tard la plupart d'entre nous faisons l'expérience de la chute dans un trou et c'est ce qui vous arrive. Que faites-vous alors. Vous enlevez le bandeau ? Pourquoi pas. Vous déballez l'outil ? C'est l'occasion de réaliser que c'est une pelle. Que faites-vous à ce moment-là ?

La plupart des patients donnent des réponses très intelligentes comme de façonner des marches d'escalier ou de creuser un tunnel pour rejoindre la surface en diagonale. C'est intelligent mais est-ce que ça marche ? Quelle est votre expérience, depuis le temps que vous essayez de sortir du trou avec des méthodes intelligentes ? Pendant qu'on taille des marches ou qu'on creuse un tunnel, on a des ampoules aux mains, mal au dos et de la sueur dégoulinant sur le visage mais au moins on a l'impression de faire quelque chose. Est-ce que tous vos efforts vous ont permis de sortir du trou ? Est-ce que vous n'avez pas dû constater en fin de compte que le terrain est friable, un véritable gruyère, qu'il y a toujours ce coup de pelle de trop qui ouvre un nouveau vide sous vos pieds, vous précipitant dans un trou toujours plus grand, selon la logique voulant qu'avec une pelle, en fin de compte, on ne peut que creuser. Comme la plupart des gens qui consultent un thérapeute, vous pensez sans doute qu'il possède un outil meilleur que le vôtre, une pelle à lame de titane, avec micro-processeur intégré. Je dois vous décevoir : Même en admettant que ma pelle soit meilleure que la vôtre, on ne peut aussi l'utiliser que pour creuser. Il nous faudra trouver autre chose.

Philippe Vuille

Métaphore de la tante Irma (adaptation de la métaphore du clochard à la porte - bum at the door)

Métaphore de la tante Irma (adaptation de la métaphore du clochard à la porte - bum at the door)

Tante Irma

Imaginez que vous venez d’acheter une nouvelle maison et que vous avez décidé de pendre la crémaillère en famille. Au dessus du porche de votre nouvelle maison vous avez accroché un signe : « Bienvenue à tous ! » Dans votre famille, tout le monde est sympa et bien élevé. Tout le monde, sauf tante Irma. Irma c’est le mouton noir, le cauchemar de toute la famille. Elle. Pour tout dire elle sent mauvais, est sale, grossière, goinfre, mal fagotée, parle trop fort, prend la mouche pour un rien et, vraiment, vous ne pouvez pas la voir. En fait, vous n’avez jamais pu la supporter. La plupart des gens qui la connaissent sont d’accord pour dire qu’elle est répugnante. Donc vous avez invité toute la famille. Sauf elle. Vos invités arrivent. Tout se passe bien et bientôt la fête bât son plein. Tout le monde s’amuse. Soudain, on sonne à la porte. Vous regardez par le judas et qui voyez-vous ? Tante Irma qui s’impatiente et commence même à tambouriner à la porte. Mon Dieu mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Comment a-t-elle su pour la fête? Quelles sont vos options ? Ne pas ouvrir et alors elle va s’entêter et faire un scandale dans la rue. La fête risque alors de s’arrêter et tout le monde va se préoccuper d’Irma. Ouvrir et essayer de l’empêcher d’entrer ? Même résultat, vous le savez d’expérience. Essayer de la raisonner? Même pas la peine, vous le savez bien. Elle va simplement pointer vers le signe “bienvenue à tous” et se mettre à vous hurler dans les oreilles. Une autre possibilité, c’est de lui ouvrir grand la porte, lui souhaiter la bienvenue, vous excuser d’avoir oublié de l’inviter et lui indiquer où se trouve le buffet. Vous pouvez faire cela sans pour autant avoir à l’aimer ou l’apprécier, sans avoir à être d’accord avec ses opinions ridicules, sans avoir à apprécier sa goinfrerie, sa saleté, ni ses mauvaises manières. Votre opinion est entièrement distincte du fait que vous puissiez être disposé à la recevoir dans votre maison. Si vous choisissez une des autres options, votre fête va changer de nature et se centrer entièrement sur Irma. Que vous essayez de l’empêcher de rentrer ou que vous cherchiez à surveiller son comportement une fois qu’elle sera rentrée, le résultat sera le même pour vous. Au lieu d’une fête de famille au milieu des gens que vous aimez, vous vous retrouverez entièrement accaparé par Irma et ses défauts. Si vous l’accueillez sans sincèrement lui souhaitez la bienvenue, c’est ce qui va se passer, vous allez plus ne penser qu’à elle et la surveiller du coin de l’œil. Ça ne sera plus vraiment une fête mais plutôt une véritable corvée. Dans cette métaphore, Irma c’est bien sûr les émotions et les pensées que vous n’aimez pas et qui apparaissent dans votre esprit sans crier gare comme Irma à la porte. La question c’est l’attitude que vous adoptez par rapport à vos pensées et émotions. Sont-elles les bienvenues ? Pouvez-vous choisir de les accueillir, même si vous n’aimez pas le fait qu’elles soient venues ? Et si vous refusez de les accueillir, comment pensez-vous que va se passer votre fête ?

L’illusion c’est bien souvent qu’en n’étant pas disposé à les accueillir, on a plus de chance d’avoir l’esprit tranquille. La réalité est exactement le contraire. En fait la plupart des clients remarque que quand on fait tout pour empêcher une réaction de se joindre à la fête, d’autres réactions indésirables font leur entrée sur ses talons, ce qu’un thérapeute a pu appeler « les potes d’Irma ».

benjamin schoendorff

Métaphore des deux potentiomètres

Métaphore des deux potentiomètres

Imaginez un appareil de radio dont le programme est parfois harmonieux mais trop souvent désagréable, avec des sons stridents et dysharmonieux. A chaque fois que c'est le cas, vous vous ruez sur le potentiomètre de réglage pour essayer de trouver un programme plus plaisant mais vos efforts ne sont que rarement récompensés. En fait, tout se passe comme si ce bouton n'avait pratiquement aucun effet. Bien sûr le programme finit parfois par redevenir agréable après que vous vous êtes longtemps escrimé à manipuler les réglages, mais ne le serait-il pas aussi redevenu si vous n'aviez rien fait ? Et vous savez à quel point il est angoissant de constater que vos efforts pour contrôler ce que vous pensez et ressentez n'ont aucune prise.

En fait, il y a sur la face cachée de l'appareil un autre potentiomètre. Celui-là ne change pas le programme mais il est beaucoup plus important parce que vous pouvez le contrôler. C'est le potentiomètre de l'acceptation et vous pouvez décider si oui ou non vous voulez le régler sur «haut». Tant qu'il est réglé sur «bas», une anxiété de niveau 4 va augmenter jusqu'au niveau 6 et une anxiété de niveau 6 va augmenter jusqu'au niveau 9 et ainsi de suite dans un mouvement auto-amplifié poussant au maximum toutes vos sensations et vos pensées désagréables. Vous connaissez ces clefs à cliquet fonctionnant de manière à ce que tout mouvement que vous leur imprimez ne peut avoir qu'un effet, celui de serrer davantage, quel que soit le sens dans lequel vous agissez. C'est ainsi que fonctionne le système quand le niveau de l'acceptation est bas. Quand vous décidez de régler le potentiomètre de l'acceptation sur «haut» et que vous choisissez de rester ouvert à votre expérience, sans tenter de la modifier, de l'éviter, de lui échapper etc., votre anxiété (ou votre dépression, votre colère, etc.) sera basse quand elle sera basse et elle sera haute quand elle sera haute et dans les deux cas vous serez libéré de la lutte inutile et contre-productive pour essayer de la faire diminuer. Votre anxiété pourra évoluer librement et vous pourrez vous occuper d'autre chose que de tourner inlassablement un bouton inefficace qui vous fait rester tout près du récepteur, en contact étroit avec ce que vous cherchez à fuir, contraint à remettre à plus tard les actions qui vous permettraient de faire de votre vie ce que vous aimeriez en faire.

Philippe Vuille

Métaphore des représentants de commerce

Métaphore des représentants de commerce

Elaborée dans mon travail avec un commerçant, cette métaphore peut être adaptée en fonction des particularités de la situation du patient.

Vous pouvez imaginer que vos pensées sont comme des représentants de commerce. Certains sont plus doués, plus persuasifs et plus tenaces que d'autres. Si vous cherchez à vous en débarrasser, il vous en coûtera beaucoup d'énergie et vous passerez beaucoup de temps à vous occuper d'eux et donc au contact du message qu'ils veulent vous délivrer. Même si vous refusez de leur donner un rendez-vous ou faites répondre par votre secrétaire que vous n'êtes pas disponible, ils finiront toujours par refaire surface, dans les couloirs ou sur le parking, et par vous imposer leur boniment. Vous ne pouvez pas les empêcher de le faire mais c'est à vous de décider si vous voulez ou non acheter ce qu'ils vous proposent. Regardez si vous pouvez reconnaître vos représentants, les saluer, observer ce qu'ils vous disent puis les laisser repartir sans discuter, sans argumenter avec eux et sans vous laisser dévier de la ligne de conduite que vous vous êtes fixée.

Philippe Vuille

Métaphore des sables mouvants

Métaphore des sables mouvants

Quand on est pris dans les sables mouvants, la réaction naturelle est de chercher à s'en échapper. En soulevant désespérément un pied dans le but de l'extirper, on ne fait qu'augmenter la pression exercée par l'autre pied sur lequel repose désormais tout le poids du corps et on s'enfonce davantage. Paradoxalement, la seule façon d'échapper à l'engloutissement consiste à se coucher dans le marécage puisqu'en augmentant ainsi la surface de contact avec la boue nauséabonde on diminue la pression exercée par le corps et on se donne une chance de flotter.

Êtes-vous d'accord de vous laisser aller de tout votre corps dans ce marécage d'angoisse (ou de dépression) ?

Philippe Vuille

Métaphore du GPS

Métaphore du GPS

J'aime bien voir cette voix que j'ai dans la tête, la voix de mon intelligence qui est toujours en train d'analyser le monde qui m'entoure et de me dire comment je dois m'y prendre pour m'y déplacer de façon sûre et efficace, comme un de ces systèmes GPS qu'on installe maintenant dans les voitures. Une voix vous dit de tourner à droite au prochain carrefour, de continuer tout droit, etc. Vous savez que ces systèmes sont perfectionnés et souvent très utiles. Pourtant, il vaut la peine de garder les yeux ouverts : Certains conducteurs se sont retrouvés dans l'eau parce qu'un pont avait été démoli et que le programme n'avait pas été mis à jour. Quelque part dans le Nord de l'Europe, un chauffeur routier s'est trouvé coincé entre deux maisons avec son camion. La rue dans laquelle il l'avait engagé menait bien là où il voulait aller mais elle était trop étroite pour un véhicule de cette largeur ! Des accidents se produisent parfois aussi parce qu'un conducteur s'occupe de manipuler l'appareil et néglige de regarder la route...

Ce que vous dit votre intelligence est forcément logique. Et elle vous dit que ce n'est pas seulement une pensée mais tout simplement la vérité. Mais est-ce que de faire ce qu'elle vous dit de faire va vous conduire dans la direction chère à votre coeur ? Ce n'est pas en tripotant les boutons de l'appareil que vous trouverez la réponse à cette question !

Philippe Vuille

Métaphore du bus

Métaphore du bus

Imaginez que votre vie est un bus. C'est vous qui tenez le volant dans vos mains. Les passagers, ce sont tous vos souvenirs, toute votre programmation, vos pensées, vos émotions, vos sensations physiques. Vous rappelez-vous du nom de votre institutrice durant la première année d'école ? Eh bien, Madame Campiche fait le voyage avec vous. Est-ce qu'elle vient souvent vous déranger ? Le plus souvent il s'agit d'un souvenir neutre et on peut dire qu'elle est assise quelque part au milieu du bus près d'une fenêtre, tranquille, regardant le paysage. A la différence du bus que nous prenons pour aller travailler dont le nombre de places est limité et dont les passagers montent et redescendent, celui de notre vie ne fait que s'allonger avec les années parce que les passagers qui sont montés ne redescendent jamais. En fait, ceux qui semblent être descendus ne sont jamais vraiment montés. Nous avons peut-être oublié le nom du camarade qui était notre voisin de pupitre dans la classe de Madame Campiche.

Mais il y a dans le bus un certain nombre de passagers qui ont une sale tête. Balafrés, menaçants, jouant avec un couteau à cran d'arrêt ou un coup de poing américain, ils boivent de la bière vautrés sur la banquette au fond du véhicule. Tant qu'ils y restent et ne se manifestent pas trop, nous pouvons nous sentir plus ou moins à l'aise si bien que nous sommes prêts à faire avec eux le compromis nécessaire pour qu'ils se tiennent tranquilles : renoncer à conduire le bus là où ils ne veulent pas aller. Ça ne pose pas trop de problèmes tant que la route est droite. Mais quand survient un carrefour, la question du choix de la direction se pose. Avec le temps, on finit par bien connaître les passagers menaçants et par savoir que, si on fait mine de s'engager dans telle ou telle direction, ils vont se précipiter dans le couloir et venir jusqu'à nous, tout près, nous menacer de leurs armes pour exiger que nous allions là où ils le veulent. Probablement que vous avez, comme moi, tout essayé : le plus logique est de tenter d'expulser les passagers du bus. Mais pour ça, il faut lâcher le volant. Là, notre vie n'avance plus. Et on finit toujours par constater qu'ils ont trouvé moyen de revenir par la porte de derrière quand on croyait s'en être débarrassé par devant. La seule manière d'être tranquille c'est finalement d'aller où ils veulent. Avec le temps, on peut les connaître si bien qu'on renonce même à actionner le clignoteur ou à toute autre velléité de s'écarter de la route tracée et on peut même finir par (presque) oublier la présence des importuns désormais calmés. Le prix à payer c'est que notre vie ne va plus dans la direction qui nous est chère. Est-ce que votre vie vous appartient ou est-ce que c'est celle de vos passagers, de la programmation dont votre passé vous a fait le dépositaire ? De quel métal les couteaux des passagers sont-ils faits ?

Philippe Vuille

Métaphore du tir-à-la-corde avec un monstre

Métaphore du tir-à-la-corde avec un monstre

La métaphore du tir-à-la-corde avec un monstre

La situation ressemble à une partie de tir à la corde avec un horrible monstre. Il est énorme, très vilain et d’une force peu commune. Entre vous et le monstre il y a un ravin qu’on dirait bien sans fond. Si vous perdez cette partie de tir-à-la-corde, vous allez tomber dans ce ravin et y disparaitre. Alors vous tirez tant et plus ; mais plus vous tirez fort, plus il vous semble que, de son côté, l’horrible monstre tire plus fort lui aussi. En fait, il vous semble bien que vous vous rapprochez de plus en plus dangereusement du bord du précipice. La chose la plus difficile à réaliser c’est que votre tâche n’est pas de gagner au tir-à-la-corde avec ce monstre. Votre tâche, c’est de lâcher la corde.

NB : le tir-à-la-corde (ou lutte-à-la-corde) est une discipline sportive qui n’est plus très populaire en France. Et pourtant elle a été discipline olympique de 1900 à 1920. En 1900, la France a même gagné la médaille d’argent. Il n’y avait cette année là que deux équipes en compétition, France et Suède.

benjamin schoendorff

Métaphore «La vie comme une course cycliste»

Métaphore «La vie comme une course cycliste»

D'une certaine manière, la vie, c'est comme une course cycliste. Du matin au soir, il faut pédaler. Et comme les coureurs du tour de France, chacun de nous porte un maillot sur lequel figurent des inscriptions, des mots qui disent pour qui nous roulons. Comme le disait un de mes patients : «Il faut savoir pour quelle maison on voyage, hein, Docteur !» Et comme le chantait Bob Dylan, qu'on le veuille ou non, on sert toujours un maître.

On peut penser que rien n'a d'importance, ou répondre «je ne sais pas» à l'excellente question de mon patient. Ça ne veut pas dire pour autant qu'on porte un maillot vierge de toute inscription. Il va plutôt porter des mots comme RIEN ou JE NE SAIS PAS. Et quel goût ça a, une vie où on pédale pour la maison RIEN ou la maison JE NE SAIS PAS ?

Imaginez maintenant un grand magasin avec des piles et des piles de maillots portant toutes sortes d'inscriptions. ÉLÉGANCE, GÉNÉROSITÉ, LOYAUTÉ, FAMILLE, SANTÉ, AMOUR, GENTILLESSE, HONNÊTETÉ etc. Et que vous pouvez choisir, gratuitement, celui que vous aimeriez porter. Lequel prendrez-vous ?

Et regardez ce qui se passe. Si vous réagissez comme moi, cette voix dans votre tête que vous connaissez si bien va immédiatement vous expliquer pourquoi aucun de ces maillots qui vous plairaient ne pourra convenir. « ÉLÉGANCE ? Non mais tu plaisantes ! Tu t'es déjà regardé dans la glace ?» Ou bien «GÉNÉROSITÉ ? Égoïste comme tu es !» Ou encore «AMOUR ? Pour en prendre plein la gueule encore une fois ?»

Est-ce que vous pourriez à la fois avoir toutes ces pensées ET prendre le maillot que vous trouvez vraiment chouette, celui qui portera la ou les qualités que vous choisirez de rendre importantes dans votre vie ? Une fois que vous l'aurez enfilé, trouvez un but, de préférence un petit but pas trop éloigné, une action simple qui vous ferait avancer dans la direction de cette valeur FAITES-LA. La fameuse voix sera bien sûr du voyage, vous pouvez compter sur elle pour essayer de vous ramener sur les routes anciennes où on ne risquait pas grand chose. Regardez si vous pouvez lui faire de la place, si vous pouvez la prendre avec vous sans essayer de la faire taire mais sans lui obéir non plus.

Philippe Vuille

Métaphore «Votre vie comme un film»

Métaphore «Votre vie comme un film»

Imaginez que votre vie est un film. Bien des épisodes ont déjà été tournés, ils sont «dans la boîte» et on ne peut plus rien y changer. Mais le film continue. A l'instant où vous me lisez, vous pouvez imaginer une caméra cadrant votre visage devant l'écran, ou vos mains sur la souris. Quand vous quitterez la pièce pour rejoindre ceux que vous aimez ou retrouver votre solitude dans un autre lieu, la caméra pourrait vous suivre.

Imaginez maintenant que vous n'êtes plus simplement un personnage dans ce film, mais la metteuse en scène. On vous met à disposition une actrice qui va jouer votre rôle, et vous pourrez lui donner les instructions que vous voudrez. Vous pourrez lui dire exactement comment elle devrait se déplacer, ce qu'elle devrait faire avec ses bras et avec ses mains, ce qu'elle devrait dire. Votre pouvoir sera toutefois limité : Vous ne pourrez pas aller voir le scénariste pour lui demander de revoir sa copie et de la rendre moins cruelle. Et vous ne pourrez pas diriger les autres acteurs. La maladie, le deuil, l'échec, vous n'y pourrez rien changer, pas plus que vous ne pourrez obtenir de votre mari, de vos enfants ou de votre patron qu'ils se comportent comme vous le souhaitez.

Dans cette situation difficile que la vie a mise devant vous, quelles instructions donneriez-vous à l'actrice pour que le film de votre vie ressemble davantage à ce que vous aimeriez en faire ?

Regardez si vous pouvez préparer, pour une situation problématique dont vous savez qu'elle revient souvent, des instructions pour l'actrice et, le moment venu, les suivre, même si la voix dans votre tête qui est souvent (mais pas toujours) de bon conseil vous dit «ce n'est pas le moment, pas cette-fois ci, il y aura sûrement une occasion plus favorable...» Vous pouvez aussi utiliser cette métaphore comme une sorte de «lampe d'Aladin» que vous pourriez frotter dans les situations difficiles pour vous donner un peu de distance, un peu d'espace, et prendre vous-même, en mode «manuel», le contrôle de vos jambes, de vos bras et de votre bouche plutôt que de laisser le «pilotage automatique» de vos pensées et de vos émotions vous enfermer dans la répétition d'un rôle qui ne correspond pas à ce qui est cher à votre coeur.

Ah, juste encore un truc. Quand je leur propose cette image, mes patients me disent souvent qu'ils diraient à l'acteur d'«avoir confiance en lui», d'«être détendu» ou «de se dire que tout ira bien». N'oubliez pas que vous pouvez piloter ses mouvements, et pas ce qu'il pense ou ce qu'il ressent. Il faudra faire semblant, alors ? Si vous avez eu cette pensée, pouvez-vous la reconnaître comme un passager venu du fond du bus pour s'assurer que vous allez bien continuer à tourner en rond sur les mêmes vieilles routes ? C'est sûr que quand on essaie pour la première fois des mouvements inhabituels, le résultat peut manquer de fluidité et paraître peu naturel. Si vous pratiquez encore et encore, vous devriez finir par gagner en spontanéité. Et si ce n'est pas le cas... Je vous propose de méditer cet aphorisme que nous devons (je crois) à la plume alerte de Hank Robb : Si une chose mérite d'être faite, il vaut la peine de la faire, même mal. Si une chose ne mérite pas d'être faite, il ne vaut pas la peine de la faire, même bien.

Philippe Vuille