Métaphore de la partie d'échecs
Métaphore de la partie d'échecsImaginez le plateau d'un jeu d'échecs qui ne serait pas limité à 8 cases sur 8 mais qui s'étendrait à l'infini dans toutes les directions comme un plan. Et sur ce plateau, comme les pièces du jeu d'échecs, vos «événements privés» : Pensées, images, sensations physiques. On peut en gros les classer en deux équipes. Il y a les blancs : En général, les bonnes pensées ne sont pas très loin des images sympa et des sensations physiques agréables. Et puis les noirs. Les mauvaises pensées font équipe avec les images qu'on préfère ne pas regarder et les sensations physiques désagréables. Comme dans le jeu d'échecs, les deux équipes luttent pour contrôler le terrain. (On peut choisir n'importe quel autre jeu opposant deux équipes, en fonction des intérêts du patient et des siens propres. Je propose souvent l'exemple d'un match de football.) Est-ce que vous avez remarqué en vous une lutte de ce genre ? Depuis combien de temps dure-t-elle ? Est-ce que vous tenez pour une des deux équipes ? Et que faites-vous, dans cette partie ? Où êtes-vous ?
En général, le patient remarque qu'il a une telle lutte et qu'il «tient» évidemment pour les blancs. Certains disent que la lutte est là depuis toujours. D'autres en situent le début avec le début de leur «problème». Un de mes patients s'est pourtant rendu compte qu'avant le début du «problème», il avait déjà un «match». Simplement, les blancs gagnaient régulièrement toutes les parties et c'était sympa d'être sur le terrain entre Beckham et Zidane... Les patients se rendent compte qu'ils sont DANS la partie. Je ne manque pas de leur dire que moi aussi, je passe énormément de temps DANS la mienne. Mais il peut y avoir des aspects problématiques à cela. Est-ce que c'est fatigant ? En général, les patients sont unanimes pour le dire. Est-ce que c'est déjà arrivé qu'une des deux équipes gagne définitivement ? Le foot est ici presque plus parlant que le jeu d'échecs. On peut se rappeler ces soirs où on était dans la tribune en train de brandir la coupe aux accents de «We are the champions». Le lendemain, il faut pourtant recommencer la partie. On se rappelle aussi, et c'est généralement plus fréquent, toutes les fois où on pleurait, effondré, sur le terrain pendant que les noirs ivres de triomphe faisaient leur tour d'honneur. Mais le lendemain aussi, la partie recommençait. A qui sont les blancs ? A moi bien sûr. Et les noirs ? A moi aussi. Comment voulez-vous gagner cette partie contre vous-même ?
Arrivés à ce point, il est temps de rendre le patient attentif au fait qu'il existe peut-être une autre position. Le plateau du jeu d'échec où le stade de foot ne subissent pratiquement aucune fatigue du fait de la partie qui s'y joue, ils ne tiennent pour aucune des deux équipes et sont en contact avec l'intégralité des pièces ou des joueurs. Nous aimerions lui donner les moyens d'occuper cette place-là, d'avoir ce type de rapport avec les pensées, les images et les sensations physiques qui l'habitent. Ce n'est pas facile et on ne peut jamais y rester longtemps. Notre mouvement naturel est de retrousser nos manches et de retourner sur le terrain. Dans beaucoup de situations ça ne pose pas de problèmes et c'est même souhaitable (c'est par exemple très utile pour la résolution des problèmes de réalité, ces problèmes «extérieurs à notre peau» qui forment l'essentiel de ceux que nous devons résoudre dans notre vie quotidienne et notre activité professionnelle.) Nous ne risquons pas de désapprendre à aller sur le terrain ou de ne plus en trouver le chemin. Mais nous pouvons apprendre à en sortir, au moins pour un moment, et nous pouvons apprendre aussi progressivement à reconnaître les situations et en particulier les pensées qui nous y «aspirent».
J'invite les patients à garder cette image avec eux et je pose parfois à brûle-pourpoint pendant la séance la question : Et cette pensée que vous venez d'avoir, c'est une pièce de quelle couleur sur votre jeu d'échecs ? La métaphore peut être utilement complétée par des exercices simples de pleine conscience comme celui où on visualise des feuilles se déplaçant lentement sur une petite rivière et où on dépose sur elles, au fur et à mesure qu'on les reconnaît, les pensées qui apparaissent avant de les regarder s'en aller et d'attendre la suivante. On va tôt ou tard «perdre le fil», partir avec une pensée au lieu de la laisser partir. Quand on s'en rend compte, on revient à l'exercice. Partir avec une pensée, c'est l'équivalent de «descendre sur le terrain».