3.2. La relation thérapeutique

3.2. La relation thérapeutique

Skinner a montré l'origine sociale de l'expérience de soi, dont Kohlenberg et Tsai proposent une remarquable analyse en termes behavioristes radicaux. Les changements que nous voulons favoriser ne sont possibles que si le contexte des comportements du patient est modifié. Les expériences qu'il a faites dans le passé représentent un aspect important de ce contexte. Nous ne pouvons pas modifier ce passé mais l'interaction thérapeute-patient va inévitablement ajouter du nouveau «passé» et à ce titre modifer le contexte futur des actions du patient. On rejoint ici le concept d'expérience émotionnelle correctrice dont Alexander et French (1) ont souligné l'importance dans la thérapie psychanalytique.

Les implications du modèle théorique ACT rendent la relation thérapeutique fondamentalement égalitaire. La thérapie n'est pas la rencontre entre une personne défectueuse, déséquilibrée, «inférieure» et un être «supérieur» dont l'évolution serait «réussie», qui détiendrait une sagesse et des compétences le mettant à l'abri des aspects douloureux de la condition humaine. Comme le patient, le thérapeute est constamment confronté aux pièges impliqués par la capacité à élaborer des constructions verbales, que ce soit dans son travail de thérapeute ou dans sa vie en-dehors du cabinet de consultation.

Le thérapeute efficace ne se reconnaît pas à l'application mécanique de métaphores, d'exercices et de concepts mais à sa sensibilité à la situation du patient vue dans une perspective ACT. Lors de leur premiers contacts avec le modèle ACT, les thérapeutes ont tendance à s'enthousiasmer pour les interventions spécifiques que nous avons décrites dans les chapitres précédents, par les métaphores, les exercices expérientiels, le type de tâches assignées que nous proposons, à se laisser griser par l'aspect iconoclaste de la mise en question des a priori transmis par la communauté verbale. Le processus de la thérapie d'acceptation et d'engagement va cependant bien au-delà de ces interventions et de ces stratégies. Pour qu'elles déploient le type d'efficacité que nous souhaitons, le thérapeute doit être d'accord d'entrer avec le patient dans une relation ouverte, acceptante et cohérente, d'une manière qui concorde avec les principes ACT. (Hayes, S.C. et al. 1999) p. 268.

Le thérapeute va inévitablement être lui-même confronté, dans le cours de la thérapie, à des émotions et à des pensées désagréables : Il pourra se sentir irrité, frustré, ennuyé, désorienté. Il pourra avoir des pensées comme «je suis en train de me planter complètement». Si, à ce moment, il se «rattrape» avec une métaphore, un exercice ou une explication pour, en quelque sorte, «reprendre la main», son intervention sera inappropriée. Même si elle ressemblera, d'un point de vue topographique, à une intervention ACT, elle correspondra, d'un point de vue fonctionnel, à l'évitement d'une expérience désagréable. Le modèle offert au patient est alors à l'opposé de celui que nous aimerions lui donner et le processus thérapeutique risque de s'enliser. Ressentir de telles émotions, avoir de telles pensées et se laisser entraîner par elles «sur le terrain» n'est pas en soi une «mauvaise chose», ce n'est pas «quelque chose qui ne doit pas arriver à un bon thérapeute ACT». Adhérer à un tel credo représenterait d'ailleurs l'exemple même du fait d'«acheter» une pensée, d'entrer en «fusion» avec elle. Être un thérapeute ne signifie pas être immunisé contre ce genre de processus. L'expérience du thérapeute lui permettra cependant de reconnaître de plus en plus souvent et de plus en plus rapidement ce type de mouvement et d'y répondre d'une manière qui puisse apporter du grain à moudre au processus thérapeutique, par exemple en parlant au patient de la confusion qu'il ressent, des pensées qui lui viennent, et en s'engageant éventuellement avec lui dans un exercice de défusion. Le modèle ainsi donné est celui de la position d'observateur dans laquelle les expériences privées comme des pensées ou des sensations physiques ne sont pas rationalisées et justifiées mais appréciées avec du recul, de la même manière qu'on recule de quelques pas pour admirer un tableau. Il peut être particulièrement utile pour le patient de voir le thérapeute reconnaître ouvertement des phénomènes témoignant de sa vulnérabilité dans des situations où il aurait été facile de s'engager dans des comportements d'évitement. En appliquant les principes ACT à sa propre expérience, le thérapeute montrera aussi une bonne tolérance devant l'incertitude, l'ambiguïté, le paradoxe. Construire une vie riche et heureuse n'est pas une entreprise logique, il n'est pas nécessaire que nous ayons résolu verbalement toutes les contradictions par lesquelles nous pouvons nous sentir habités pour nous mettre en route. Nous ne voulons en rien cacher au patient que l'entreprise dans laquelle nous souhaitons qu'il puisse s'engager – la vie – est une affaire à hauts risques ni le protéger contre l'anxiété qu'un tel engagement va inévitablement mobiliser.

Steve Hayes a résumé dans une page que nous avons traduite les points principaux de l'attitude thérapeutique ACT.

(1) Alexander F. et French T.M. (1946), Psychoanalytic therapy: principles and application, N.Y. Ronald Press.

Philippe Vuille

3.2.1. L'attitude du thérapeute dans l'ACT

3.2.1. L'attitude du thérapeute dans l'ACT

Cette page est la traduction de la page ACT Therapeutic Posture

  • Quelle que soit l'expérience du patient, elle n'est pas un ennemi. Ce qui est blessant et traumatisant, c'est de se battre contre l'expérience du moment.
  • Vous ne pouvez pas épargner à vos patients les difficultés et les risques liés au fait de grandir et d'avancer dans la vie.
  • Refusez – toujours avec compassion – les bonnes raison du patient. Ce qui est important, c'est de savoir qu'est-ce qui l'aide à faire de sa vie ce qu'il voudrait qu'elle soit, pas ce qui est cohérent et raisonnable.
  • Si le patient se sent pris au piège, frustré, confus, effrayé, fâché ou angoissé, tant mieux. C'est exactement là-dessus qu'il faut travailler et c'est là maintenant. Saisissez cet obstacle comme une chance.
  • Si vous vous sentez vous-même pris au piège, frustré, confus, effrayé, fâché ou angoissé, tant mieux : vous êtes dans le même bateau que votre patient cela donnera une dimension plus humaine à votre travail.
  • Dans des domaines comme l'acceptation, la défusion, le soi et les valeurs, il est plus important en tant que thérapeute d'agir de manière conforme à ce que vous proposez plutôt que de donner des conseils au patient quant à la manière dont il devrait agir.
  • N'essayez ni d'argumenter, ni de convaincre. Ce qui compte, c'est la vie du patient et les expériences du patients, pas vos opinions et vos croyances. Vos croyances ne sont pas vos amies.
  • Vous êtes dans le même bateau. Ne tentez jamais de vous protéger en vous mettant en position de supériorité.
  • Ce qui compte, c'est toujours la fonction d'un comportement, pas sa forme ni sa fréquence. Si vous êtes dans le doute, vous pouvez toujours vous demander ou demander au patient : «Au service de quoi est cette action ?»
Philippe Vuille