Les trois chiffres, suite
Les trois chiffres, suite1... 2... et 3.
Vous les avez enregistrés ? Est-ce que vous vous en souviendrez encore la semaine prochaine ? Et dans 3 mois ? Dans une année ? Dans 3 ans, vous les aurez toujours ?
Avant de passer à la troisième étape, je vais vous proposer un petit interlude. On va voir si vous pouvez avoir les mêmes réactions que tout à l'heure quand je vous ai posé la question pour la première fois. Je me mets exactement dans la même position, je prends le même ton, j'utilise les mêmes mots.
(Monsieur X ou Madame Y) : Est-ce que vous connaissez les trois chiffres ?
Est-ce que vous arrivez à avoir les mêmes événements privés qu'il y a 5 minutes ? Qu'est-ce qui vient maintenant ?
Passons maintenant à la troisième étape :
Le million de dollars, c'était sympa. Malheureusement, c'était virtuel. Ce que nous allons faire maintenant est moins sympa. Heureusement, c'est virtuel aussi. Imaginez que votre fauteuil est une chaise électrique. Et que c'est moi qui ai le levier pour vous envoyer le 220 Volts. Oh, pas longtemps, un quart de seconde. Ça risque juste d'être désagréable. Mais je vais vous donner les moyens d'éviter ce désagrément. Je vais vous poser une question et vous devrez me répondre très vite. Si vous me donnez une réponse dans les trois secondes, je n'abaisserai pas le levier. Et vous devez faire attention à une chose : Dans votre réponse, vous pouvez me donner n'importe quels chiffres. Ils n'ont pas besoin d'être «justes». Mais il faut absolument éviter qu'il y ait 1, 2 ou 3 dans votre réponse si vous ne voulez pas recevoir de décharge. Alors, quels sont les 3 chiffres ?
Si vous réagissez comme mes patients, vous avez probablement dit : 4, 5, 6. Mais si maintenant je vous demande (j'ai débranché tous les fils, vous ne risquez plus rien), quels sont les premiers chiffres qui vous sont venus à l'esprit quand je vous ai posé la question ?
J'aime beaucoup cet exercice qui permet de faire vivre au patient l'expérience que nos pensées ne sont rien d'autre que la rencontre entre notre passé et le monde tel qu'il se présente maintenant à nous. J'y reviens souvent par la suite, à chaque fois que le patient se désole d'avoir telles pensées dans telles circonstances alors qu'il serait tellement plus agréable/«normal» d'en avoir d'autres. «Quels sont les trois chiffres ?» Et on a beau essayer de se convaincre, 4, 5, 6 ne fera jamais disparaître 1, 2, 3. On peut rajouter une couche mais jamais rien enlever. Les patients se rendent compte qu'il y a beaucoup de «réponses» qu'ils ont apprises comme ils ont appris les trois chiffres. Brigitte tu es... la réponse vient aussi vite que les trois chiffres : «Grosse et moche.» Quand on a perdu un bébé, la vision d'une poussette nous fera toujours... Quand on notre vie a basculé parce qu'une voiture nous a renversé sur un passage piétons, la vision de ces bandes jaunes sur la route nous fera toujours... Admettons que vous ne vouliez plus vivre avec ces maudits trois chiffres que cet idiot de Vuille (ça c'est mes trois chiffres à moi) vous a mis dans la tête et que vous décidiez de passe chaque matin un quart d'heure dans la salle de bains à vous regarder dans le miroir en vous répétant : «Les trois chiffres c'est 4, 5, 6.» Si on se revoit dans vingt ans et que je vous demande : «Quels sont les trois chiffres ?» Est-ce que vous ne saurez plus que les trois chiffres c'est 1, 2 et 3 ? Si on pouvait se défaire de quelque chose, qu'est-ce qui serait plus facile à oublier ? Les trois chiffres ou cette image de la voiture qui vient sur vous ?
C'est à dessein que je demande si le patient est d'accord de faire un exercice au terme duquel il ne sera peut-être plus la même personne. L'exercice permet en effet d'introduire un petit doute dans la certitude que nous sommes définis par notre programmation. Est-ce que d'avoir ce «contenu» psychique supplémentaire fait de moi une autre personne ? C'est indiscutablement vrai que je ne puis plus «redevenir» la personne qui ne savait pas quels étaient les trois chiffres et qui réagissait à la question avec perplexité. Mais d'une certaine manière je me rends rends compte que c'est toujours moi qui suis là, ici et maintenant. L'expérience de «soi comme contexte» diffère ce celle de «soi comme contenu».
Enfin, j'utilise aussi cet exercice pour illustrer le fait qu'accepter n'est pas quelque chose qu'on peut faire avec l'intelligence. Si c'est une pensée qu'on doit avoir, il en ira alors de même qu'avec toutes ces autres pensées qu'on aimerait bien avoir pour être une personne normale, équilibrée, pleine de confiance en soi etc. On a beau travailler toute la journée pour les avoir et surtout pour les garder, c'est rarement celles qu'on voudrait qui tiennent le devant de la scène. Je vais tenir à peu près ce discours :
Un million de dollars, c'est une récompense. Et une décharge électrique, c'est une punition. Dans les rapports que nous avons les uns avec les autres, nous nous dispensons rarement des récompenses et des punitions d'une telle intensité. Ça sera plutôt un sourire, une mimique bienveillante ou réjouie, ou alors une hésitation dans la voix, un froncement de sourcils ou simplement un silence. Que je le veuille ou non, je suis aussi un type intelligent donc un type qui n'arrête pas de porter des jugements et de penser que ceci est «bien» et cela «pas bien». Vous avez sûrement compris que je suis plutôt favorable à l'acceptation des événements privés désagréables. J'ai beau m'en défendre (parce que je pense aussi que ce n'est «pas bien» de vouloir vous infliger mes théories), vous voyez bien que, quand je vous demande si vous êtes d'accord d'avoir telle émotion ou telle pensée et que vous me dites «Non», il peut y avoir une nuance de désapprobation ou de déception dans le ton de ma voix ou dans mon regard. Mais si vous me dites «Oui» parce que vous préférez avoir en face de vous un thérapeute épanoui plutôt que frustré, c'est la même chose que quand vous me dites 4... 5... 6 pour ne pas recevoir de décharge. Vous savez très bien que la vraie réponse c'est «Non». Répondez-moi très vite : Vous êtes d'accord d'avoir cette nausée qui monte, cette impression que tout le sang se retire de vos membres, le coeur qui bat la chamade, la bouche sèche, la pensée que vous allez devenir fou ?