3.0.1 La rigidité psychologique

3.0.1 La rigidité psychologique

Un des objectifs d’ACT (« la thérapie de l’acceptation et de l’engagement ») est de diminuer l'emprise du langage et de la pensée sur les comportements de l’individu lorsque ceux-ci l’empêchent de se connecter à l’expérience du moment présent et/ou de considérer ce qui est utile dans l’expérience vécue pour aller dans le sens de ses valeurs personnelles. La rigidité psychologique — décrite ci-dessous par la fusion cognitive, l’évaluation, l’évitement d’expériences désagréables et la justification — illustre les limites du langage et de la pensée.

Inspiré du chapitre « The Act Model Of Psychopathology and Human Suffering » dans "Acceptance and Commitment Therapy" de Steven Hayes, Kirk Strosahl et Kelly Wilson (1999).

Cristel Neveu

1. La fusion cognitive

1. La fusion cognitive

La fusion cognitive est la tendance d'une personne à considérer le contenu de ses pensées comme s’il était le reflet de la réalité. Elle se traduit par une adhésion au contenu littéral de ses pensées. La communauté en général présente souvent le contenu des pensées comme un modèle de régulation des comportements, ce qui peut mener à confondre la pensée pour la réalité. Les comportements d'une personne deviennent alors le produit de relations dérivées entre stimuli et règles verbales (voir la théorie des cadres relationnels) et sont moins fondés sur l’expérience directe et l’utilité.

Le suicide peut être un bel exemple de comportement fondé sur l’adhésion à des pensées autant négatives que positives. Les gens formulent des conséquences à leur propre mort (aboutissement de la souffrance, constatations par autrui du mal ressenti, présence d’un meilleur monde ailleurs, d’une assurance-vie pour la famille, promesse d’un paradis, etc.). Ce contenu verbal renferme des termes à connotations positives (le paradis relié à une myriade d’événements positifs, l’absence de souffrance, l’espoir d’un meilleur monde). La personne refuse le contact avec la souffrance en imaginant un état sans souffrance, dans lequel elle aurait des pensées positives, des émotions agréables, des sensations confortables, et de tout ce qu’il faudrait qu’elle soit dans l’univers du « rationnel, positif, agréable, confortable, etc.». L’adhésion à ces règles verbales à connotations positives agit en renforçant la fuite de la souffrance et le comportement suicidaire (voir cadre d’opposition et d’équivalence de la théorie des cadres relationnels).

Il est possible d’assouplir cette adhésion aux règles verbales. Par exemple, en se disant « je suis nulle », la tendance naturelle d’une personne est d’adhérer à cette pensée comme si elle était la réalité. Elle oublie qu’une pensée n’est qu’une pensée et que selon le contexte actuel (quantité et qualité du sommeil, alimentation, neurotransmetteurs dans son cerveau, les personnes rencontrées dans la journée, etc.) et le contexte historique (entendre plusieurs fois par jour qu’elle était nulle dans son enfance, humiliation à l’école, ou tout autre possibilités, etc.), elle va avoir un certain type de pensée plutôt qu’un autre. En d'autres termes, ce n’est pas forcément parce que cette pensée remonte à la surface de son cerveau plus facilement qu’une autre qu’elle est plus réelle. Il est facile d'oublier qu’une pensée n’est qu’une pensée, une production du cerveau. L’objectif d’ACT est d’affaiblir cette domination verbale sur les comportements. Au lieu de se laisser guider aveuglément par le contenu des pensées pour percevoir le monde, il est possible de devenir conscient qu'une pensée est un processus du cerveau et alors trier, à partir de l’expérience vécue, ce qui est utile en fonction des valeurs. Quand une personne mentionne le contenu d’une phrase, comme par exemple, « je suis nulle », on peut demander « À quoi cela vous sert-il de vous dire cela? En quoi est-ce utile? Où est-ce que ce contenu vous amène? » On ne s’intéresse pas à savoir si le contenu est vrai (car trop arbitraire), mais en quoi il est utile à la personne (voir la section « approche contextuelle fonctionnelle versus approche mécaniste »). Malheureusement, la plupart du temps, la fusion cognitive incite à éviter les expériences désagréables alors que celles-ci peuvent rapprocher des valeurs (voir section « évitement des expériences désagréables »). Des exemples de fusion cognitive sont l’attachement à des principes, à des attentes, à des évaluations de type « avoir raison/avoir tort », bon/mauvais, etc. Par exemple, une personne qui cherche à tout prix à avoir raison dans une discussion plutôt qu’à reconnaître le point de vue d’autrui procède par fusion cognitive.

Voici d’autres exemples de fusion cognitive:

Fusion avec « l’histoire de vie » ou avec des souvenirs traumatisants du passé: en pensant ou évoquant verbalement un traumatisme passé, les mêmes émotions présentes lors de l’événement traumatisant réapparaissent. La personne perd alors contact avec son environnement actuel.

Fusion avec des événements futurs envisagés: une pensée d’inquiétude par rapport au futur est perçue comme un reflet exact du futur à venir plutôt qu’une production du cerveau émergeant dans le moment présent.

Fusion avec un passé, présent, futur conceptualisé: la pensée « la vie ne vaut pas la peine d’être vécue » est perçue comme une conclusion réelle à propos de la vie et de ses qualités plutôt qu’un processus d’évaluation verbale produit par notre cerveau (l’adhésion au contenu de cette conclusion produira alors une perte de vitalité, de sens à la vie, et de plaisir de vivre, consolidant à son tour la fusion à cette conclusion et engendrant un effet de rétroaction positive).

Fusion avec les évaluations (voir section suivante).

Cristel Neveu

2. L'évaluation versus la description

2. L'évaluation versus la description

L'évaluation versus la description: Si on demande à une personne de décrire une chaise, elle peut dire par exemple « elle est grise, en métal, de forme carrée, etc. » Si cette personne sort de la pièce et qu'elle revient un peu plus tard, la description sera la même. Si une autre personne décrit cette chaise, il y a de bonnes chances d’obtenir des descriptions semblables. Si on lui demande «est-ce une bonne ou une mauvaise chaise?», et si elle n'a pas de problème de dos, elle pourrait dire « oui, elle est confortable ». Si au contraire, elle a des problèmes de dos ou elle a mal dormi, elle pourrait répondre « je la trouve inconfortable ». Selon la personne qui va s’asseoir sur la chaise et l’histoire de ses expériences avec les chaises (habitude de s’asseoir sur des chaises ergonomiques ou pas, etc.), l’évaluation sera différente et donc, arbitraire.

La souffrance peut résulter de l'évaluation que la douleur est inacceptable. Par exemple, l’évaluation peut prendre la forme d'une lutte ou d'une non-acceptation de "ce qui est" par des jugements sur soi ou les autres, des accusations, etc. En fait, l’évaluation, quand elle n’est pas utile peut être une manière de fuir le contact direct avec les expériences de la vie, une forme d’évitement de vivre l’expérience vécue telle qu’elle se présente (aussi désagréable soit-elle). Il arrive d'observer ce phénomène lorsqu'une personne exprime à une autre un sentiment désagréable. La personne qui reçoit la plainte peut alors chercher à s'en défendre en rejetant le blâme sur l'autre ou se culpabiliser elle-même de n'être jamais adéquate, etc. Ce type d'évaluation empêche la résolution du conflit puisque la personne est plus occupée à évaluer la situation qu'à la régler ou à entendre le sentiment de l'autre.

Il existe différentes formes d’évaluation, dont les suivantes (inspiré du livre « Act On Life Not On Anger » de Eifert, Mckay, Forsyth) :

Le jugement (approprié/pas approprié, bon/mauvais, adéquat/inadéquat, normal/pas normal, etc.) : le cerveau cherche à mettre les gens ou soi-même dans des catégories prédéterminées par une norme (une étiquette), comme si c’était une vérité objective;

Les accusations: le cerveau a de la difficulté à composer avec la souffrance, donc il cherche à blâmer quelqu’un ou soi-même comme responsable de cette souffrance;

Prêter des intentions aux autres : le cerveau a de la difficulté à tolérer l’ambiguïté. Il cherche avidement à donner un sens aux comportements d’autrui et c’est ainsi qu’il attribue des intentions aux autres. Cela devient un problème lorsque ces conclusions sont prises pour des certitudes à propos de l’autre personne et qu'elles en dirigent les actions.

Cristel Neveu

3. L'évitement des expériences désagréables

3. L'évitement des expériences désagréables

Voici un exemple clinique d'évitement d'expérience désagréable: Une personne se présente avec un vide existentiel dans sa vie. Elle habite près de sa mère dans un appartement et elle n’a jamais eu de relation amoureuse, d’enfant ou de travail. Elle mentionne avoir refusé récemment une invitation pour une activité de fin de semaine. Elle ajoute qu’elle se serait sentie trop coupable d’abandonner ainsi sa mère. Sa mère n'a pas d'incapacité ou de limitation particulière.

Une question se présente alors : « Est-ce cette personne va attendre de ne pas se sentir coupable pour commencer à vivre sa vie? » De façon plus générale, est-ce qu'une personne doit attendre de n'être plus anxieuse, agressive, triste, coupable pour faire ce qu'elle souhaite faire de sa vie? il est possible que le problème ne soit pas tant l’angoisse, la culpabilité, la tristesse ou la colère, mais plutôt la réponse de cette personne à la présence de ses émotions (pensées, sensations, images, souvenirs, etc.) désagréables…

Il arrive que des gens restent coincés à l’intérieur d’un patron relationnel pour se protéger de ne pas ressentir des émotions désagréables. Par exemple, pour ne pas ressentir l’intensité de la culpabilité résultant de ne pas être disponible pour sa mère, la personne ci-dessus mentionnée semble prête à sacrifier tous ses projets de vie. Il est cependant possible d’apprendre à apprivoiser ces émotions désagréables progressivement en commençant par un contact à petite dose avec l’émotion désagréable. Au lieu de partir une fin de semaine au complet, cette personne peut se permettre de faire une activité personnelle une fois dans la semaine. Par exemple, elle peut décider d’inviter au cinéma une connaissance qu’elle rencontre régulièrement au parc. Si sa mère l’appelle 15 minutes avant la représentation du film pour lui demander un service (aller chercher du lait au magasin), elle peut lui exprimer poliment qu’elle aimerait bien répondre à sa demande, mais malheureusement, elle a un rendez-vous prévu et elle ne peut lui rendre ce service. Il est possible que la mère réagissent mal, malgré la manière respectueuse du refus de sa fille, peut-être parce qu'elle n’est pas habituée à la voir s’affirmer. Elle peut par exemple lui répondre en la blâmant ou encore, en lui raccrochant au nez. Le réflexe naturelle de la fille pourrait être de rappeler sa mère, de s’excuser et de lui dire « je vais répondre à ta demande, on ne va pas se disputer pour cela » afin d’éviter de ressentir la culpabilité. Dans ce cas, le risque est d'être prise de nouveau dans la spirale habituelle selon laquelle elle choisit le confort à court terme pour éviter les émotions désagréables accompagnant son évolution vers une plus grande autonomie.

Arrivé à la frontière de l’inconfort, là où une impasse commence, la tendance d'une personne peut être de se dire « oh non, non, je ne veux pas me sentir coupable, anxieux, rejeté, triste » et la spirale du confort à court terme l'emporte, même si à long terme, sa vie n’est pas ce qu'elle souhaite. Il est possible que pour avancer, il faille justement accepter d’apprendre à porter les inconforts, aussi intenses soient-ils, plutôt qu’à les éviter, les supprimer ou les fuir. Autrement, il est possible que ce ne soit plus la personne elle-même qui mène sa vie, mais la lutte contre l’inconfort et donc, l’inconfort lui-même. En passant ce temps à contrôler ses états intérieurs, cette personne est peut-être en train de perdre le contrôle de sa vie.

L’évitement des expériences désagréables est donc cet acharnement à fuir, éviter ou supprimer les occasions d’éprouver la présence de réactions intérieures désagréables (i.e., pensées dérangeantes, émotions, souvenirs, sensations physiques, etc.) lorsque celles-ci accompagnent les étapes nécessaires à l’accomplissement des choix de vie. Il existe plusieurs formes d’évitement. La suppression consiste à contrôler ou éliminer les états intérieurs désagréables (par exemple, l’utilisation d’alcool, de drogue pour réduire l’inconfort) et l’évitement des situations consiste à restreindre le répertoire des comportements pour éviter l’inconfort (l’isolement d’une personne, refus de faire des activités). En général, l’évitement a le désavantage de renforcer la répétition du malaise par un effet de boucle d’amplification. Des recherches ont démontré que ceux qui utilisent la suppression comme stratégie d’adaptation ont un plus haut niveau de symptômes dépressifs ou obsessionnels. Sur un ensemble de 1100 études quantitatives, une recherche a conclu qu’être en contact et ouvert aux émotions était corrélé à un meilleur résultat thérapeutique (Orlinski et Howard).

L’évitement expérientiel est un exemple de comportement gouverné par les règles verbales. Un tel comportement peut avoir un effet soulageant à court terme, mais c’est un éternel recommencement. Il est probable que s’il était si facile de se débarrasser des inconforts, tout le monde serait heureux! Souvent, quand une personne se dit « débarrasse toi de la pensée X », les mots inclus dans cette règle sont en relation bidirectionnelle (voir théorie des cadres relationnels). La règle crée elle-même la pensée X, juste par le fait de la nommer. En essayant d’éliminer certaines pensées et émotions, cette personne augmente leur emprise à déterminer ses comportements. Par exemple, l’anxiété n’est pas juste un état d’inconfort physique, car une évaluation hautement désagréable s’y ajoute. À cause de la bidirectionnalité du langage, le cerveau crée l’illusion que « mauvais » est une qualité intrinsèque à l’émotion. La tendance est de dire « c’est une mauvaise émotion » et non de constater qu’il s’agit d’une émotion à laquelle on attribue l’évaluation « mauvaise ».

Nous pourrions donc poser la question : serait-ce davantage le refus de vivre l’expérience avec tout ce qu’elle contient (par l’application de processus d’évitement et de fusion cognitive), c’est-à-dire l'attitude ou la relation d'une personne face à ses états intérieurs désagréables, qui serait responsable des symptômes psychologiques (dépression, anxiété, alcoolisme, etc) plutôt que la présence en soi d’états intérieurs ou d’événements extérieurs désagréables?

Cristel Neveu

4. La justification

4. La justification

LA JUSTIFICATION :

On pourrait se demander "pourquoi la personne ci-dessus mentionnée (voir la section "l'évitement des expériences désagréables") se sentait-elle coupable?" (Merci au cerveau de chercher la vraie réponse parmi les infinités de réponses possibles). Le cerveau a la capacité de tisser divers liens et de nombreuses possibilités du pourquoi, du comment, de tous les programmes enregistrés lors de ses interactions avec les environnements utérin, familial, scolaire, social, culturel, etc. L'esprit aime souvent entretenir la conviction qu’il va trouver LA CAUSE du problème par l’exploration, l’analyse rationnelle et il peut facilement oublier qu’il n'a pas forcément accès à tout le matériel dont il a besoin pour comprendre. Exposés à des millions d’informations à chaque instant, il est possible que l'être humain soit limité dans sa capacité à rassembler l’ensemble des influences pouvant expliquer un comportement. De plus, même si une raison est vraie, elle ne peut constituer qu’une partie infime de la vérité. En connaissant tous les faits de l’histoire de vie d’une personne, il y a énormément de liens possibles entre eux. Si on s’en tenait à cela, on pourrait célébrer la créativité du cerveau! Malheureusement, il arrive souvent que cette habileté fournisse des excuses et des raisons afin de ne pas respecter ce qui est valorisé par la personne. En effet, il peut être facile de s’en tenir à toutes ces raisons plutôt qu’au fait que la personne ne va pas dans la direction de ses choix de vie.

L’alternative proposée à la rigidité psychologique peut être résumée par la question fondamentale de l’ACT: Cette personne est-elle prête à accueillir tout le contenu intérieur qui l'habite et la traverse, complètement et sans s'en défendre, pour ce qu’il est (un processus interne) et non pour ce qu’il lui raconte, ET à faire ce qu’il est utile et nécessaire de faire dans sa vie, au moment présent et dans la situation, pour aller dans le sens de ses valeurs?

L’objectif d’ACT n’est pas de « se sentir mieux », mais de « mieux sentir » en transformant la relation qu'entretient la personne à son contenu intérieur. La manière d’exprimer un malaise psychologique est souvent comme suit : « Si je n’étais pas si anxieux, déprimé, dépendant, etc., je pourrais avoir une promotion, être en relation, etc. ». Il est prétendu qu’après avoir enlevé l’inconfort (les mauvaises émotions, pensées, sensations etc.), les engagements pourront se maintenir. Cela ne semble pas fonctionner parce qu'il est difficile de contrôler l’émergence ou l’apparition des états intérieurs. Ils sont souvent déjà présents en soi lorsqu'une personne prend conscience de leur existence. De plus, le fait d’aller dans la direction de ses choix de vie va mener à toutes sortes de réactions intérieures automatiques (angoisse, insomnie, désirs, déceptions, blessures, etc.). Le fait d'éviter ces réactions intérieures désagréables, risque d’éviter l’évolution et le changement. Bien qu’il soit difficile de contrôler l’apparition du contenu intérieur, il est possible pour la personne de choisir ce qu’elle va « faire avec ce contenu » ensuite. Si ce contenu est utile en fonction de ses valeurs, elle peut alors choisir de lui obéir. On pourrait dire que c’est ce qu’une personne choisit de faire avec son contenu intérieur qui détermine le SOI plutôt que son obéissance à ce contenu intérieur (une identité souvent arbitraire non choisie).

Cristel Neveu